Véra Nikolski
(…)
La mort des enfants touche
alors l’ensemble de la société, tous milieux sociaux confondus, et se présente
comme une fatalité devant laquelle les hommes et les femmes sont totalement
impuissants. “Dieu a donné, Dieu a repris”, dit le Livre de Job, un
incontournable des liturgies des funérailles – une idée qui nous est étrangère,
mais dont on conçoit la necessite pour des parentes fréquemment confrontés à la
mort de leurs enfants.
De l’époque antique à la fin
du XIXe siécle, les oeuvres artistiques – écrits et tableaux –
témoignent de cet état d’esprit. Montaigne evoque ainsi la mort de ses enfants
avec une mélancolie teintée de stoïcisme: “ils meurent tous en nourrice”,
remaque-t-il, de sorte qu’il ne lui reste que Léonor, “une seule fille qui est
échappée à cette infortune”. L’événement est malhereux mais banal: ”[J]’en ai
perdu, mais en nourrice, deux ou trois, sinon sans regret, au moins sans fâcherie.
Si n’est-il guère accident qui touche plus au vif des hommes.”
Philippe Ariès a problablement
raison de suggérer que la fréquence de la mort en bas âge devait émousser
quelque peu la sensibilité des parentes, car “[on] ne pouvait s’attacher trop à
ce qu’on considérait comme un éventuel déchet” – aujourd’hui encore, dans les
régions montagneuses d’Afghanistan, au mode de vie três rude, l’enfant ne
reçoit souvent son prénom officiel que lorsqu’il atteint l’âge de 7 ans –, mais
il souligne surtout “qu’on faisait plusieurs enfants pour en conserver
seulement Quelques-uns”.
Cette mentalité reste chevillée au corps jusqu’à la fin du XIXe siècle: Caroline, la jeune femme bougeoise dont Michelle Perrot étudie les carnets intimes dans Les Femmes ou les silences de l’histoire, se demande, en évoquant la mort de sa mère adorée en 1862, si son sourire, au moment du décès, était adressé à Jésus, à la Sainte Vierge ou à “un des deux anges que Dieu lui avait enlevés” – comme à la plupart des femmes.
Les tableaux tels que Le Jeune Malade d’Ary Scheffer (1824) [photo] ou L’Enfant malade d’Eugène Carrière (1885) sont lá pour rappeler à quel point la maladie d’un enfant était alors un moment d’angoisse.
Dans ce monde, le slogan
féministe “un enfant si je veux, quand je veux” ne pouvait pas avoir de sens:
si on reculait parfois lâge du mariage jusqu’à 25 ans, voire un peu plus, pour
ne pas multiplier démesrément le nombre d’enfants, on ne pouvait pas non plus
se permettre de différer trop les premières naissances.
La mortalité infantile était
lev errou qui interdisait aux femmes de n’avoir qu’un ou deux enfants, à
l’instar des mères d’aujourd’hui, en exposante celles qui faisaient ce choix ou
qui se retrouvaient dans cette situation contre leur grá au risque de voir
l’ensemble de leurs enfants mourir.
Cette mortalité ne commence à
véritablement reculer qu’au XIXe siècle, par étapes. En obstétrique,
le progrès est precoce puisque les premiers écrits éclairés sur l’art des
accouchements datent du XVIIe siècle. Il est le fait de quelques hommes,
chirurgiens qui rompent le tabou des accouchements comme domaine réservé aux
matrones, mais aussi de plusieurs sages-femmes qui laissent des manuels
précieux.
Qui, parmi les féministes,
connaît aujourd’hui les noms de François Mauriceau ou de Louise Bourgeois
dite Boursier, sage-femme de la reine Marie de Médicis?
Ils ont pourtant impulsé un
long processus qui allait délivrer les femmes de la terreur de l’accouchement,
jusque-là synonyme de douleur extrême et surtout de mort possible: celle de la
mère, celle de l’enfant. La diffusion des techniques est lente mais continue.
Si la maternité de l’Hôtel-Dieu, à Paris, est depuis longtemps un haut lieu de formation des sages-femmes, ce sont les cours itinérants d’Angélique du Coudray [photo], au XVIIe siècle, qui apportent le savoir dans les provinces, permettant aux sages-femmes de s’imposer peu à peu face aux matrones.
Enfin, en 1802 est créée la
première véritable école nationale de sages-femmes – l’actuelle école
Baudelocque de la maternité Port-Royal – sous l’impulsion de Marie-Louise
Lachapelle, femme d’exception consultée par le pouvoir révolutionnaire
comme napoléonien.
Qui, parmi les
féministes, connaît les noms de ces pionnières?
Elles ont pourtant plus fait
pour la condition des femmes que bien des militantes du passé et du présent.
(…)
Copie: JP, 21-7-2024
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