segunda-feira, 16 de junho de 2025

Brésil, le géant entravé?


Mayeul Dousset

Lorsque l’on porte les yeux sur une carte de l’Amérique du Sud, un pays éclate par son immensité : le Brésil. Fort de ses 214 millions d’habitants, de son territoire immense, d’une agriculture massivement mécanisée, de sa présence au sein des BRICS et du G20, de son immense façade atlantique, on pourrait s’attendre à ce que le Brésil joue un rôle majeur dans les affaires de ce monde. Or, la réalité est autre. Les favelas, la violence, le carnaval et le football restent les images qui s’imposent à l’esprit lorsque le Brésil est évoqué. Cherchons à comprendre la faiblesse de ce pays méconnu en Europe.

LES FRACTURES DU GÉANT 

Le pays est profondément divisé entre un Sud plus prospère, plus pacifique, plus européen dans sa population et sa culture, et un Nord qui se paupérise et où les difficultés s’accumulent. Ce Nord a été façonné par les vagues massives d’émigration italienne (30 millions de descendants aujourd’hui) et allemande (5 millions de descendants aujourd’hui) au XIXe et au XXe siècles. Le pays est un des plus inégaux au monde, et il ne s’agit pas d’inégalités où les plus pauvres peuvent vivre dignement : 33 millions de Brésiliens souffrent d’insécurité alimentaire, quand les classes les plus riches se retranchent dans des résidences sur-protégées et se déplacent en hélicoptère pour fuir la criminalité.

À ces clivages ethniques, économiques et sociaux, il convient d’ajouter les clivages religieux. Le Brésil n’est plus, catholique : depuis 2022, majoritairement les évangélistes représentent désormais 40 % de la population du pays. Sur ce terreau de divisions, auxquelles il faut ajouter une corruption endémique et un civisme faible, prospère une narco-criminalité extrêmement violente.

En 2017, 64 000 Brésiliens ont été tués dans des guerres de gangs. D’une brutalité défiant l’imagination, les gangs assassinent, corrompent, torturent, violent. Les journalistes et les juges sont achetés ou réduits au silence. Pour répondre à la menace des milices se sont formées dans certaines régions, mais elles n’ont pas tardé à devenir des groupes criminels à leur tour, généralement à la solde d’un politicien local. La police et l’armée réagissent brutalement, mais l’absence de politique anti-corruption et anti-drogue d’ampleur bloque l’amélioration de la situation. L’Europe est concernée par cette situation.

En effet, les narco-trafiquants, partis du Brésil, déchargent au Sahel, avant de remonter en direction des grands ports européens : Anvers, Hambourg, Marseille. La situation est pire en Guyane française, où les activités des groupes criminels débordent. Les autorités brésiliennes sont peu actives, et rechignent à coopérer avec leurs homologues européens. La situation intérieure française pourrait être dégradée par l’incurie brésilienne, si nous n’y prenons pas garde.

UN PAYS PIONNIER

Les critiques occidentales sur la gestion de la déforestation sont mal vécues par la société brésilienne, qui y voit une attaque contre sa souveraineté. Ce problème s’explique en partie par l’existence d’une classe importante de paysans sans terre, qui défrichent la forêt pour obtenir des lopins à cultiver. Ces paysans finissent par être s’arrangent avec les autorités pour les faire déguerpir, par le recours à des milices parfois. Lesdits paysans vont alors s’installer un peu plus loin, et débroussaillent à nouveau.

Ce phénomène ancien – qui a certes permis au Brésil de devenir l’une des premières puissances agricoles du monde – touche la forêt amazonienne, mais aussi le Cerrado, la savane brésilienne. Pour mettre fin à cette situation, le pays s’efforce, depuis trente ans, d’industrialiser son économie. Mais les évolutions politiques récentes gênent ce processus.

LA POSTURE DIPLOMATIQUE BRÉSILIENNE

Internationalement, le Brésil aspire à être une puissance pacifique, au poids croissant, qui participe à la multipolarisation du monde. À ce titre, le pays s’investit dans un grand nombre d’organisations internationales, comme le G20 ou les BRICS. Mais son poids diplomatique reste faible : sa proposition de jouer les intermédiaires entre la Russie et l’Ukraine a été sèchement repoussée par la Russie. L’élection de Lula a rapproché le pays de la Chine et de la Russie, par anti-américanisme. Mais les investissements chinois dans le pays provoquent une forme de désindustrialisation : ces derniers cherchent surtout à obtenir l’exploitation des ressources naturelles du pays.

Le pays est entré sur une voie dangereuse de développement à rebours et redevient dépendant des exportations de matières premières, donc vulnérable aux aléas économiques mondiaux. Associée à tous les problèmes internes que nous avons cités, cette situation rend peu probable un succès du pays dans ses revendications pour  obtenir une place plus grande dans le concert des nations.

UN FUTUR INCERTAIN

Si le pire n’est jamais certain, il faut toujours l’envisager. Dans ce scénario, les autorités sont incapables de juguler la montée en force de la criminalité. C’est le scénario à la mexicaine, où l’État perd le contrôle de pans entiers du territoire et se retrouve terriblement affaibli par la puissance financière et militaire des gangs. Comme au Mexique, le pays garderait un attrait touristique et les entreprises continueraient de fonctionner, moyennant une taxe aux groupes criminels. Mais le développement du pays et ses ambitions internationales seraient contrariées, provoquant sans doute un exode massif vers les États-Unis. La frontière guyanaise deviendrait un enjeu très important pour la France, surtout que la Guyane a une importance considérable par la présence du centre spatial de Kourou : il faudrait prendre des mesures fortes pour empêcher la contagion à travers la frontière.

Le plus probable est la stagnation. Les choix stratégiques de Lula, qui se rapprochent d’un alignement silencieux sur la Chine et la Russie, risquent de mettre le pays dans la main de la puissance chinoise, dont les entreprises sont souvent le relais du parti. Des tendances séparatistes pourraient apparaître entre les régions les plus avancées et les autres.

Cela nous rappelle que la volonté de puissance, en relations internationales, est une aimable plaisanterie si le pays n’est pas prêt à mener les réformes et les dépenses nécessaires pour peser dans l’ordre international. Nous soulignons que choix du repli sur l’espace sud-américain et se contenter d’avoir les outils militaires, économiques et diplomatiques pour agir dans la région et pas au-delà.

L’ÂGE DES EMPIRES ?

Tous ces éléments nous invitent à une réflexion sur l’âge des États-continents, que bien des auteurs annoncent depuis la Seconde Guerre mondiale. La réalité est beaucoup plus nuancée. Seule la Chine et les États-Unis répondent vraiment à cette définition. La Russie, l’Inde et le Brésil, que la géographie et la démographie prédisposeraient à ce rôle, restent des puissances de second rang, dont l’influence ne s’étend guère au-delà de leur environnement régional. Plus que la masse, la qualité compte toujours.

 Les 214 millions de Brésiliens pèsent moins que les 70 millions de Français dans les affaires du monde. La cohésion d’une société, le règne de la loi, l’éthique collective, la prospérité économique d’une population tiennent une place considérable dans la capacité d’un pays à agir dans un monde de plus en plus instable. Les élites nationales doivent intégrer ces facteurs et formuler des ambitions et des stratégies conformes à la situation de leur pays.

Cela déterminera quelle nation survivra au XXIe siècle. Disons-le brutalement : depuis 1945, il fut rarissime qu’un État soit rayé de la carte par une défaite militaire. Ce temps est révolu. Il faudra de la fermeté et de la lucidité pour maintenir son rang dans le concert des nations. Cette leçon ne concerne pas que le Brésil : elle est la clé de l’avenir pour chaque peuple, dont le nôtre.

Titre et Texte: Mayeul Dousset, Écrits de Rome, nº 21, juin 2025 

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