Mayeul Dousset
Lorsque l’on porte les yeux
sur une carte de l’Amérique du Sud, un pays éclate par son immensité : le
Brésil. Fort de ses 214 millions d’habitants, de son territoire immense, d’une
agriculture massivement mécanisée, de sa présence au sein des BRICS et du G20,
de son immense façade atlantique, on pourrait s’attendre à ce que le Brésil
joue un rôle majeur dans les affaires de ce monde. Or, la réalité est autre.
Les favelas, la violence, le carnaval et le football restent les images qui
s’imposent à l’esprit lorsque le Brésil est évoqué. Cherchons à comprendre la
faiblesse de ce pays méconnu en Europe.
LES FRACTURES DU GÉANT
Le pays est profondément divisé entre un Sud plus prospère, plus pacifique, plus européen dans sa population et sa culture, et un Nord qui se paupérise et où les difficultés s’accumulent. Ce Nord a été façonné par les vagues massives d’émigration italienne (30 millions de descendants aujourd’hui) et allemande (5 millions de descendants aujourd’hui) au XIXe et au XXe siècles. Le pays est un des plus inégaux au monde, et il ne s’agit pas d’inégalités où les plus pauvres peuvent vivre dignement : 33 millions de Brésiliens souffrent d’insécurité alimentaire, quand les classes les plus riches se retranchent dans des résidences sur-protégées et se déplacent en hélicoptère pour fuir la criminalité.
À ces clivages ethniques,
économiques et sociaux, il convient d’ajouter les clivages religieux. Le Brésil
n’est plus, catholique : depuis 2022, majoritairement les évangélistes
représentent désormais 40 % de la population du pays. Sur ce terreau de
divisions, auxquelles il faut ajouter une corruption endémique et un civisme
faible, prospère une narco-criminalité extrêmement violente.
En 2017, 64 000 Brésiliens ont
été tués dans des guerres de gangs. D’une brutalité défiant l’imagination, les
gangs assassinent, corrompent, torturent, violent. Les journalistes et les
juges sont achetés ou réduits au silence. Pour répondre à la menace des milices
se sont formées dans certaines régions, mais elles n’ont pas tardé à devenir
des groupes criminels à leur tour, généralement à la solde d’un politicien
local. La police et l’armée réagissent brutalement, mais l’absence de politique
anti-corruption et anti-drogue d’ampleur bloque l’amélioration de la situation.
L’Europe est concernée par cette situation.
En effet, les
narco-trafiquants, partis du Brésil, déchargent au Sahel, avant de remonter en
direction des grands ports européens : Anvers, Hambourg, Marseille. La
situation est pire en Guyane française, où les activités des groupes criminels
débordent. Les autorités brésiliennes sont peu actives, et rechignent à
coopérer avec leurs homologues européens. La situation intérieure française
pourrait être dégradée par l’incurie brésilienne, si nous n’y prenons pas
garde.
UN PAYS PIONNIER
Les critiques occidentales sur
la gestion de la déforestation sont mal vécues par la société brésilienne, qui
y voit une attaque contre sa souveraineté. Ce problème s’explique en partie par
l’existence d’une classe importante de paysans sans terre, qui défrichent la
forêt pour obtenir des lopins à cultiver. Ces paysans finissent par être
s’arrangent avec les autorités pour les faire déguerpir, par le recours à des
milices parfois. Lesdits paysans vont alors s’installer un peu plus loin, et
débroussaillent à nouveau.
Ce phénomène ancien – qui a
certes permis au Brésil de devenir l’une des premières puissances agricoles du
monde – touche la forêt amazonienne, mais aussi le Cerrado, la savane
brésilienne. Pour mettre fin à cette situation, le pays s’efforce, depuis trente
ans, d’industrialiser son économie. Mais les évolutions politiques récentes
gênent ce processus.
LA POSTURE DIPLOMATIQUE
BRÉSILIENNE
Internationalement, le Brésil
aspire à être une puissance pacifique, au poids croissant, qui participe à la
multipolarisation du monde. À ce titre, le pays s’investit dans un grand nombre
d’organisations internationales, comme le G20 ou les BRICS. Mais son poids
diplomatique reste faible : sa proposition de jouer les intermédiaires entre la
Russie et l’Ukraine a été sèchement repoussée par la Russie. L’élection de Lula
a rapproché le pays de la Chine et de la Russie, par anti-américanisme. Mais
les investissements chinois dans le pays provoquent une forme de
désindustrialisation : ces derniers cherchent surtout à obtenir l’exploitation
des ressources naturelles du pays.
Le pays est entré sur une voie
dangereuse de développement à rebours et redevient dépendant des exportations
de matières premières, donc vulnérable aux aléas économiques mondiaux. Associée
à tous les problèmes internes que nous avons cités, cette situation rend peu
probable un succès du pays dans ses revendications pour obtenir une place plus grande dans le concert
des nations.
UN FUTUR INCERTAIN
Si le pire n’est jamais
certain, il faut toujours l’envisager. Dans ce scénario, les autorités sont
incapables de juguler la montée en force de la criminalité. C’est le scénario à
la mexicaine, où l’État perd le contrôle de pans entiers du territoire et se
retrouve terriblement affaibli par la puissance financière et militaire des
gangs. Comme au Mexique, le pays garderait un attrait touristique et les
entreprises continueraient de fonctionner, moyennant une taxe aux groupes
criminels. Mais le développement du pays et ses ambitions internationales
seraient contrariées, provoquant sans doute un exode massif vers les
États-Unis. La frontière guyanaise deviendrait un enjeu très important pour la
France, surtout que la Guyane a une importance considérable par la présence du
centre spatial de Kourou : il faudrait prendre des mesures fortes pour empêcher
la contagion à travers la frontière.
Le plus probable est la
stagnation. Les choix stratégiques de Lula, qui se rapprochent d’un alignement
silencieux sur la Chine et la Russie, risquent de mettre le pays dans la main
de la puissance chinoise, dont les entreprises sont souvent le relais du parti.
Des tendances séparatistes pourraient apparaître entre les régions les plus
avancées et les autres.
Cela nous rappelle que la
volonté de puissance, en relations internationales, est une aimable
plaisanterie si le pays n’est pas prêt à mener les réformes et les dépenses
nécessaires pour peser dans l’ordre international. Nous soulignons que choix du
repli sur l’espace sud-américain et se contenter d’avoir les outils militaires,
économiques et diplomatiques pour agir dans la région et pas au-delà.
L’ÂGE DES EMPIRES ?
Tous ces éléments nous
invitent à une réflexion sur l’âge des États-continents, que bien des auteurs
annoncent depuis la Seconde Guerre mondiale. La réalité est beaucoup plus
nuancée. Seule la Chine et les États-Unis répondent vraiment à cette définition.
La Russie, l’Inde et le Brésil, que la géographie et la démographie
prédisposeraient à ce rôle, restent des puissances de second rang, dont
l’influence ne s’étend guère au-delà de leur environnement régional. Plus que
la masse, la qualité compte toujours.
Les 214 millions de Brésiliens pèsent moins
que les 70 millions de Français dans les affaires du monde. La cohésion d’une
société, le règne de la loi, l’éthique collective, la prospérité économique
d’une population tiennent une place considérable dans la capacité d’un pays à
agir dans un monde de plus en plus instable. Les élites nationales doivent
intégrer ces facteurs et formuler des ambitions et des stratégies conformes à
la situation de leur pays.
Cela déterminera quelle nation
survivra au XXIe siècle. Disons-le brutalement : depuis 1945, il fut rarissime
qu’un État soit rayé de la carte par une défaite militaire. Ce temps est
révolu. Il faudra de la fermeté et de la lucidité pour maintenir son rang dans
le concert des nations. Cette leçon ne concerne pas que le Brésil : elle est la
clé de l’avenir pour chaque peuple, dont le nôtre.
Titre et Texte: Mayeul Dousset, Écrits de Rome, nº 21, juin 2025
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