Que se cache-t-il derrière le gilet le plus
porté de France ?
Du
fin fond de la Bretagne à l’Irak, le gilet jaune est devenu l’accessoire
symbole de la contestation sociale. Cette couleur traditionnellement peu
appréciée des syndicalistes exprime désormais un appel aux secours des
invisibles du monde entier.
On apprenait le
5 décembre que des « gilets jaunes » manifestaient… en Irak, à Bassorah, pour faire « comme les
Français ». Comment mieux montrer que le vieil universalisme
français, en matière révolutionnaire, de la Marseillaise au
drapeau tricolore en passant par le bonnet phrygien, exerce toujours la même
fascination ? Pourtant, cette fois, l’objet qui a envahi les images et les
discours frappe par sa banalité et son prosaïsme.
Une obligation de plus
Qu’était le gilet jaune, avant
novembre 2018, si ce n’est un objet du quotidien, sans aucun intérêt ? Il
est entré dans nos vies à tous le 13 février 2008, quand le comité
interministériel de la sécurité routière (CISR) a décidé de rentre obligatoire
la présence dans tout véhicule d’un gilet de sécurité. Il est donc assez
logique que cet objet ait été détourné de son utilité première pour devenir le
symbole d’une
protestation qui, a l’origine, s’élevait contre la hausse des
carburants pour les gens des zones périphériques, obligés d’utiliser des
véhicules vieillissants et menacés par un contrôle technique promis à devenir
encore plus draconien.
Il n’empêche, ce gilet jaune
est vite devenu, la colère grandissant, une métonymie et une mythologie.
La métonymie qui unit
Une métonymie, rappelons-le,
est cette figure de style qui consiste à désigner la partie pour le tout, par
glissement de sens. Le gilet jaune a résumé de manière explosive à la fois les
personnes qui le portaient et les revendications qui allaient avec. Compte tenu
de la diversité de ces mêmes personnes et de ces mêmes revendications, mais
aussi de l’absence de structure de ce mouvement, le gilet jaune a été la seule
manière d’unifier et d’identifier, sans nuances, un phénomène aussi
insaisissable qu’inédit malgré les tentatives des sociologues ou des historiens
de lui trouver des précédents. Ce n’est pas la première fois, d’ailleurs, que
la métonymie fonctionne avec un objet banal pour exprimer une lutte sociale et
politique. On se souviendra, par exemple, du mouvement des parapluies, à Hong
Kong en 2014, ou celui des casseroles en Argentine, lors du krach de 1998.
« Tout peut-il donc
être un mythe ? »
On en arrive là à la dimension
symbolique du gilet jaune. Comme les casseroles ou les parapluies, il est
devenu un mythe, au sens que Barthes donnait à ce mot dans ses Mythologies : « Tout
peut-il donc être un mythe ? Oui, je le crois, car l’univers est infiniment
suggestif. Chaque objet du monde peut passer d’une existence fermée, muette à
un état oral, ouvert à l’appropriation de la société. »
Signaler qu’on est en
danger
Ce que s’est approprié la
personne qui a enfilé un gilet jaune, c’est d’abord un vêtement que l’on met
pour deux raisons. D’abord signaler qu’on est en danger, au bord de la route où
l’on se retrouve abandonné et vulnérable. Ensuite, le gilet jaune sert à être
vu, signalé, pour que d’éventuels secours arrivent enfin. Il est aussi, paradoxalement,
le vêtement des travailleurs invisibles : ceux qui nettoient les villes,
transportent les bagages vers les soutes des avions, réparent les équipements
collectifs, autoroutes ou pylônes électriques, etc.
C’est aussi une couleur. Et
d’après l’historien Michel Pastoureau, celle qui est la plus mal
aimée : « Dans toutes les enquêtes sur la notion de couleur
préférée, le jaune est cité en dernier parmi les six couleurs de base. »
Décidément, le hasard n’existe
pas.
Titre, Image et Texte: Jerôme
Leroy, CAUSEUR,
nº 64, janvier 2019
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