Et si le site de l’INA était la meilleure
chaîne de TV française ?
Thomas Morales
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L'actrice Marina Vlady,
invitée de Jacques Chancel dans l'émission "Radioscopie", sur France
Inter, mai 1972. Photo: ©Dominique Gonot
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Il n’y a pas que les jeunes
qui soient scotchés devant les écrans. Les vieux aussi sont accros à leurs
tablettes depuis que le site internet de l’Institut national de l’audiovisuel
(INA) a mis en ligne des millions d’archives. Cette addiction fait même des
ravages dans les couples. La virtualité nostalgique est un puissant
tue-l’amour. L’INA plus forte que le
Viagra ? Ses effets mettent des heures, voire des jours à s’atténuer sur
l’organisme. Si bien qu’il est impossible de décrocher. Vous commencez par
regarder un extrait de dix minutes et vous y passez la nuit entière. Parole de
camé.
Un voyage dans le (bon)
temps
Une spirale infernale qui vous
entraîne d’un reportage de guerre à une pièce de théâtre, d’une retransmission
sportive à « La famille Duraton », ou d’une dramatique à un
« Sacha Show ». L’éventail des vices télévisuels est immense. Le
plaisir toujours plus intense. Pour les drogués du PAF, l’INA propose même une offre premium : un pass illimité à 2,99 euros par mois et l’accès à un
catalogue quasi infini de séries, fictions, documentaires, concerts, etc. Ce
n’est plus Bry-sur-Marne (siège de l’INA), c’est Babylone-sur-Télé ! La
TNT et ses 27 chaînes gratuites peuvent couper le signal. Quand on a goûté aux
vapeurs de l’INA, le reste paraît aussi excitant que la mire, un soir d’hiver,
dans une chambre de bonne avec vue sur la gare de Vierzon. Le poste de papa est
définitivement mort. Mais on se régale avec la télé d’avant.
L’INA vous offre un voyage
dans le temps de votre sofa. Avertissement, carré blanc, appel au CSA, cette
machine à explorer le passé n’est pas sans risques pour les cœurs fragiles, les
émotifs et les sentimentaux. Car revoir une émission de notre enfance, une
actrice figée dans sa jeunesse éternelle ou un écrivain admiré procure un sentiment
ambigu, l’impression de se télétransporter dans une capsule douillette en
dehors des tracas du quotidien, mais également un désarroi face aux programmes
actuels. Comment autant d’intelligence et de finesse ont-elles pu être balayées
en une vingtaine d’années ? Faites l’expérience de l’INA pour constater
que la télé fut un laboratoire d’idées, une maison de la culture ouverte à tous
et un diffuseur de savoir. Cette télé qu’on nous racontait être sous
surveillance politique avait plus de génie que toutes les fausses libertés d’un
système soumis à la concurrence. La multiplication des canaux a contraint
l’expression et a nivelé vers le bas.
Jacques Chancel, Michel
Déon et Citroën SM
À la manière de la comptine des trois petits chats, « marabout, bout d’ficelle, selle de cheval… », l’INA se répand comme un rhizome, ses ramifications sont abyssales. Un week-end, il était 20 heures, j’avais abandonné l’idée de regarder les chaînes hertziennes. J’avais soif d’objectivité et d’aventures. Je me laisse donc guider par l’INA. Mon envie du moment était de revoir la Citroën SM à moteur Maserati. Je tombe en accès libre sur le journal « Provence Actualités » de 1970 où un journaliste essaye ce fleuron de l’industrie automobile française sur l’autoroute de l’Est. La voiture est blanche, immatriculée 75. Elle file sur la voie de droite, la prévention routière n’était pas dans le car régie. Le « pilote » parle d’allure rapide, de 16 chevaux fiscaux, d’un six cylindres en V et d’une consommation entre 13 et 21 litres sans sourciller. Je sens que la mélodie du bonheur va m’envahir. Je me dis que ces années 1970 fonçaient sans faux-semblants et sans cache-sexe.
Après la Citroën blanche, je
réécoute « Radioscopie » du 28 avril 1978, consacrée à Michel Déon.
Le générique composé par Georges Delerue me met déjà en transe. Jacques Chancel
peut démarrer l’interview. « J’ai toujours aimé voyager et
vivre à l’étranger », déclare l’auteur des Poneys
sauvages. Il ose même sur le service public cette phrase
insensée : « J’ai des réactions d’homme de droite. » Plus
tard, ce conseil me console : « Il ne faut pas qu’un écrivain
réussisse tout de suite. » J’imagine alors l’académicien repartir en
Irlande, juste après l’enregistrement à la maison de la Radio.
Z’avez pas vu Mirza ?
Je saute du coq à l’âne. Je me souviens vaguement que Nino Ferrer aimait les chevaux. L’INA permet ces sauts-de-mouton. Je tombe alors sur l’émission « 30 millions d’amis » diffusée le 26 mai 1979 dans sa propriété du Lot, près de Cahors. Nino chante au coin du feu, il n’est pas entouré de Mirza, mais de Vania, un dogue allemand, de Valentin, un berger des Abruzzes et de Siam, un lévrier afghan qu’il appelle affectueusement le « baron de la serpillière ». « Mes chiens chantent », dit-il.
Deux jours plus tôt, ce même
mois de mai, Alain Jérôme présentait « Il était une fois
Roland-Garros ». Le documentaire s’ouvre sur Borg replaçant
son bandeau au millimètre près, puis l’entrée sur le central de trois
mousquetaires en habits de ville, trois vieux messieurs, un hommage est rendu
ce jour-là à Henri Cochet, à René Lacoste et à Jean Borotra. C’est Claude
Brasseur qui raconte l’histoire du tournoi de tennis de la porte d’Auteuil.
Promenade dans
le Paris d’avant 1968
Du coup, par association
d’idées, je ne résiste pas alors à la gourmandise du dimanche soir :
revoir un épisode des « Nouvelles aventures de Vidocq » mises en
scène par Marcel Bluwal, notamment un épisode de 1973 avec Jacques François,
Dominique Zardi et l’inatteignable Marc Dudicourt. Je retrouve l’acteur dans
« Au théâtre ce soir », dans L’École des contribuables,
une pièce où il partage la scène avec Robert Manuel et Michel Roux. Je pense
immédiatement au théâtre Daunou, proche de l’Opéra et, de fil en aiguille,
j’arrive sur un court programme de l’ORTF datant de 1967 intitulé « Heures
de Paris », une sorte de déambulation à la manière de Blondin. Entre
20 heures et 4 heures, seulement soutenues par une musique
d’ambiance, les images défilent. Le quartier de l’Opéra, la boutique de bijoux
Burma, les publicités de cognac Martell, les cars de touristes stationnés, les
restaurants qui se remplissent, les vitrines qui scintillent, et la nuit qui
avance, les rues deviennent désertes, la caméra prend le chemin des Halles.
Et je me rends compte que le
soleil se lève dans mon appartement.
Thomas
Morales, Causeur,
nº 57, mai 2018
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