Florence Rault
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Manifestation féministe
anti-Trump à Paris, janvier 2017. Photo: Simon Guillemin/Hans Lucas
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La fameuse cérémonie des
Golden Globes qui a vu se dérouler une pantalonnade assez ridicule témoigne des dérives actuelles du féminisme qu’en son
temps, Élisabeth Badinter, dans son ouvrage Fausse route avait
qualifié de « féminisme victimaire ». Il est devenu guerrier avec
la guerre des sexes déclenchée par l’affaire Weinstein. Il vise à installer au
premier plan un féminisme androphobe assumé et qui ne recule pas devant
l’utilisation de la pensée magique. Le « patriarcat » est présenté comme une
malédiction universelle, qui structure et organise toutes les sociétés
humaines. L’heure n’est plus à la revendication d’une place égalitaire dans la
société moderne, mais à une forme d’émancipation millénariste pour libérer non
seulement les femmes mais, au-delà de l’espèce humaine, l’ensemble du règne
vivant, de l’emprise du mâle humain.
Il ne sera pas question de
contester ici l’existence d’évolutions anthropologiques qui ont amené les
femmes, depuis la révolution néolithique, à une situation seconde dans nombre
d’organisations sociales. Situations d’ailleurs souvent très hétérogènes et
très liées à des facteurs historiques et religieux. Mais on relèvera que, du
point de vue du statut de la femme, nos sociétés occidentales ne sont pas les
plus mal loties. Ce qui n’empêche pas l’expression de savoureuses
contradictions comme celles qui font cohabiter avec la même furie, une exigence
revendicative extrémiste et une complaisance surprenante dès qu’il s’agit
d’inégalités liées à l’islam. Il y a aussi le caractère bizarre de l’expression
d’une volonté de pouvoir social et politique pour les femmes que l’on présente
pourtant comme des êtres fragiles, soumis, incapables de se défendre, voire
dépourvus de libre arbitre. Raisons pour lesquelles on demande protection à
l’État et à sa police.
Les femmes, nous disent ces
extrémistes, sont victimes « depuis la nuit des temps » d’un véritable complot
visant à les maintenir sous le joug. Et pour cela on utilise de plus en plus
des arguments ou des théories complètement irrationnelles qui peuvent parfois
se rattacher à l’obscurantisme le plus trivial.
On en relèvera trois.
Le patriarcat du steak
Tout d’abord celle qui
n’hésite pas à jeter par-dessus bord la théorie de l’évolution et à récupérer
pour son compte celle de Trofim Lyssenko, le généticien de Staline. On
rappellera que l’apport inestimable de Charles Darwin a été de poser que le
transformisme des formes de vie au cours des âges reposait sur des mutations
aléatoires survenant lors de la reproduction. Ces mutations pouvant produire
des modifications avantageuses pour les porteurs et favorisant ainsi leur
survie et leur propre reproduction. Plus de 150 ans de recherche et de
découvertes ont confirmé et renforcé ce qui est bien plus qu’une théorie. On
rappellera que Darwin ne fut pas le premier à constater le transformisme mais
que, au contraire de son prédécesseur français Lamarck, il a constaté qu’il n’y
avait pas d’hérédité des caractères acquis pendant la vie. Tout se passe par
l’intermédiaire du gène et de façon aléatoire.
Eh bien, nous venons
d’apprendre que Darwin et ses successeurs avaient tout faux et que si les
femmes sont plus petites que les hommes dans notre espèce, comme chez 90 % des
mammifères, ce n’est pas dû aux mécanismes de l’évolution, mais au fait que «
depuis la nuit des temps » les hommes se sont accaparé la bonne bouffe, ne
laissant que des rogatons à leurs conjointes. Par conséquent, ainsi
affamées les femmes deviennent toutes maigres et toutes petites, et
mettent au monde des garçons costauds et des filles toutes malingres. Ce qui
devrait être un triste canular a reçu l’approbation de l’université au travers
d’une soutenance de thèse dont le jury était présidé par Françoise Héritier,
récemment disparue, applaudissant ces calembredaines. On invitera à la lecture
de quelques uns des délires et à l’une des réponses circonstanciées publiées par des
scientifiques atterrés.
L’écriture inclusive
Il y a ensuite la fameuse
écriture inclusive. Le principe en est simple, la langue française qui au
contraire de beaucoup d’autres n’a pas de genre neutre, utilise alternativement
le genre masculin ou le genre féminin pour l’exprimer. Et c’est ainsi qu’une
sentinelle peut être un homme. Ah oui, mais non, vous dit-on, la langue
française est affreusement patriarcale et sexiste puisque, lorsqu’on est en
présence de plusieurs mots de genres différents, les accords s’effectuent sur
le masculin. Mais cette convention de grammaire qui n’exprime qu’une commodité
vous est présentée comme une agression atroce visant à l’infériorisation de la
femme. On va alors essayer de vous imposer un graphisme grotesque, illisible et
incompréhensible. Et en tout cas dont la lecture à voix haute est absolument
impossible, alors que c’est quand même un des objectifs de l’écriture. Bon
courage au.à le.la lecteur.rice confronté.e à cet exercice.
Or, cette volonté de changer
la syntaxe repose sur l’idée absurde que c’est l’écriture qui module la pensée
et non le contraire. Le masculin utilisé comme genre neutre plus souvent que le
féminin imposerait donc une pensée qui ferait de la femme un être inférieur. On
va déjà se demander quel est le statut de la femme dans les pays où la langue possède
le genre neutre. Hum, en général ce n’est pas terrible… Et puis on va
s’interroger sur la façon utilisée par l’espèce humaine pour penser pendant les
80 000 ans qui ont suivi la mutation du fameux gène du langage permettant
à l’homme une maîtrise de la communication verbale avec ses semblables. Parce
qu’on rappellera que l’écriture n’a été inventée qu’il y a, à peu près 3000
ans, à Sumer. Certes, on avait bien fait récemment quelques tentatives en
changeant des mots, mais sans atteindre de brillants résultats. La chômeuse
devenue sans emploi n’a toujours pas de boulot. La femme de ménage d’origine
africaine devenue technicienne de surface manie toujours le balai dans les
bureaux, l’hôtesse de caisse est toujours caissière, même si l’invention du scan
a rendu son travail un peu moins harassant. On raconte aussi que Kim Jong-un,
soucieux des risques de famine en Corée du Nord, souhaitait interdire le mot «
manger » dans sa langue, comme ça, personne n’aurait eu faim…
De Noam Chomsky à Steven
Pinker, les spécialistes de la linguistique cognitive s’arrachent les cheveux,
Claude Hagège, immense savant français, dit avec mesure et courtoisie ce qu’il faut en penser.
Évidemment ! (À lire) : Claude Hagège : « Ce n’est pas la langue qui est sexiste, mais les comportements sociaux » — via @lemondefr https://t.co/OXMIGSHwZR— Mme Rêve (@chrisducq1) 28 de dezembro de 2017
L’amnésie traumatique ou le danger des faux souvenirs
Il y a, enfin, le délire de la
théorie de l’amnésie traumatique. Qui prétend que la survenance d’un
traumatisme peut affecter la mémoire de l’événement qui ressurgira ainsi
parfois des dizaines d’années plus tard. Un certain nombre d’études ont été
menées grâce aux progrès considérables des sciences cognitives dotées
aujourd’hui des outils comme l’IRM. Aucun scientifique ne peut prendre ces
thèses au sérieux. Et ce d’autant plus que la question était particulièrement
sensible aux États-Unis, qui ont connu il y a près de 30 ans maintenant ce que
l’on a appelé « la guerre des souvenirs ». Un certain nombre de pratiques
sectaires ont permis de populariser cette théorie en France, et à des gourous
sans scrupule de gagner de l’argent. La pratique des souvenirs induits, qui
consiste à convaincre que les problèmes que l’on rencontre dans sa vie sont dus
à un traumatisme, en général un viol dont on ne se souvient pas, a provoqué un
nombre très important de tragédies dans des familles. Nous en avons eu un
exemple récent avec l’épisode ou l’animatrice de télévision Flavie Flament a prétendu s’être brusquement souvenue
d’avoir été violée par le photographe David Hamilton. Celui-ci âgé de 83 ans
n’ayant pas supporté le lynchage médiatique dont il a alors été victime s’est
suicidé. Ce drame terrible où l’honneur d’un homme a été jeté aux chiens sur la
simple accusation d’une personne la faisant reposer sur une théorie non
scientifique, n’a pas beaucoup ému Laurence Rossignol alors ministre qui lui a
confié une mission d’étude sur la prescription en matière d’infractions
sexuelles ! Cette soumission à la société du spectacle ayant pour but de mettre
à bas des principes fondamentaux qui gouvernent la procédure pénale, comme
celui de la prescription, l’infraction sexuelle devenant imprescriptible à l’égal
de la Shoah.
On peut considérer que les
deux premières dérives analysées sont inoffensives. C’est une erreur, le
triomphe de l’ignorance et de la pensée magique ne peut déboucher que sur de
graves mécomptes. Mais
surtout, en ce qui concerne le mensonge des souvenirs retrouvés, l’activisme de militants
sectaires, le relais inconséquent des médias et la complaisance ignorante des politiques pour ces
thèses folles présentent des risques considérables pour nos libertés. Elizabeth
Loftus, psychologue mondialement connue, nous a prévenus : « Si les
Français doivent traverser le même épisode tragique que les Américains lors de
la guerre des souvenirs, je les plains sincèrement ! ».
Essayons d’éviter d’être à
plaindre.
Titre et Texte: Florence Rault, CAUSEUR,
10-1-2018
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