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Elisabeth Lévy, foto: Hannah Assouline |
Les masques n’ont pas mis longtemps à tomber. Voilà deux mois qu’on nous
rebat les oreilles avec la libération de la parole de la femme. En vertu de ce
nouvel impératif catégorique, toute parole sortant de la bouche des femmes
(disons de certaines femmes) est encouragée comme on encourage les babillages
d’enfants ou vénérée comme si elle témoignait d’un miracle. Sauf que, bien sûr,
on avait oublié de lire les clauses additionnelles en vertu desquelles la
parole libérée doit suivre strictement la partition établie par les
garde-chiourmes du féminisme.
Toutes les femmes sont donc priées de proclamer librement qu’elles sont
des victimes, au moins potentielles, et de dénoncer librement leurs
« bourreaux », ainsi que l’impayable Sandra Müller appelle l’homme qui lui
a parlé de ses « gros nibards ». Et si elles ne le
sont pas, en tant que femmes, elles sont instamment priées de se montrer
solidaires de la grande vague. Autant dire que cette libération ressemble
fortement à un embrigadement. Vive la parole libérée à condition que tout le
monde parle au pas.
Mazette, quel
vacarme !
À l’exception d’une « une » de Causeur (qui n’a pas fait le bruit
mérité) et de quelques prises de position isolées, tout ce que la planète compte
de peoples, de belles personnes et de grandes voix mâles et
femelles avait annoncé urbi et orbi son allégeance au Parti unique des Femmes.
Tout allait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes néo-féministes
quand un texte, écrit par une escouade de chipies emmenée par
Catherine Millet et signée par quatre-vingt-dix-neuf autres, dont Catherine
Deneuve, Ingrid Caven et votre servante, a troublé ce sympathique consensus
victimaire. Mazette, quel vacarme !
Cette toute petite parole libérée dans la mauvaise direction a fait
s’étrangler de rage les dames de la bonne société médiatiques et exploser le
braillomètre: contre-pétitions, défilé de tweets indignés, débats innombrables,
interviews dans les médias du monde entier des unes et des autres (Australie,
Allemagne, Pays-Bas et Israël pour ma seule pomme), sans oublier un torrent
d’injures, sans doute éprouvant pour celles qui n’ont pas l’habitude de ces
batailles de chiffonnières.
Les insultes ne dégradent
que ceux qui les profèrent
On me dit qu’une chroniqueuse, qui est à elle toute seule un concours
très serré entre la bêtise et la méchanceté, m’insulte sur Europe 1 en me traitant
d’alcoolique (cela va sans doute faire remonter les audiences d’Europe 1).
Pas mal d’amis ont eu la bonté de s’en indigner. En vérité, cette indigence
argumentative me met plutôt en joie car elle signale la faiblesse
intellectuelle et psychologique de nos adversaires (il faut à l’inverse saluer
la Charline de France Inter qui s’est payé ma modeste personne
dans une imitation assez vacharde mais plutôt marrante, car
reposant sur mes véritables ridicules, travers et autres tics de langage,
d’écriture et de pensée. Pas mal vu, et au dessus de la ceinture. Dont acte.).
Espérons que madame Deneuve, qui a subi quant à elle un déluge d’une eau
encore plus crasse, lui accorde autant d’importance, c’est-à-dire aucune. De
même qu’un violeur n’attente pas à l’honneur de sa victime, il perd le sien,
les insultes ne dégradent que ceux qui les profèrent et devraient les
disqualifier. Que les insulteurs aient pignon sur rue est un signe
supplémentaire du niveau consternant du débat public. Que, par la magie noire
des réseaux sociaux, toute demi-gloire médiatique puisse en quelques clics
lever une armée de médiocres pratiquant la chasse en meute, planqués derrière leur
téléphone comme des pilotes de drones derrière leur console, voilà qui fiche
carrément la trouille. À ce sujet, il n’y a qu’une foi irrationnelle en
l’espèce humaine qui puisse sauver : une civilisation qui a produit Mozart
et Freud ne peut pas se soumettre durablement à un pouvoir sans visage dont la
légitimité se mesure au bruit qu’il fait.
Marlène, Ségo, Caro: le
sommet des noms alignés
Il est un peu décourageant, quoiqu’habituel, que les vierges les plus
bruyamment outragées n’aient pas pris la peine de lire le texte qu’elles ont
couvert d’imprécations. Les saintes patronnes du féminisme gouvernemental,
ex-gouvernemental et para-gouvernemental, Marlène, Ségo et Caro (Schiappa, Royal et de Haas), sans
oublier l’ineffable Laurence Rossignol, ont donc, comme prévu, grimpé au rideau
et expliqué que les signataires faisaient l’apologie du viol ou le légitimaient
et que le texte était une permission d’agresser. Dans la foulée une cohorte
d’hommes parfaitement domestiqués revendiquait sur le mode ricanant « le
droit de mettre des mains au cul » (que les pétitionnaires leur auraient
accordé).
Rappelons que la pétition commence par les mots : « Le
viol est un crime ». Quant à la fameuse phrase sur les frotteurs, qui
a choqué beaucoup de partisans du texte, peut-être était-elle un brin subtile –
et dans le monde du premier degré, la subtilité est souvent
une faute politique.
Tout en rappelant que le « frottage » est un délit, elle disait
qu’on pouvait ne pas être traumatisée, ce qui signifie qu’on
pouvait l’être, mais qu’on pouvait aussi s’en moquer royalement une fois le
désagrément passé. Il est tout de même curieux que cette idée fasse
scandale : sous prétexte que certaines femmes sont traumatisées par des
propositions indécentes ou des blagues salaces, il serait interdit à toutes les
autres de s’en moquer ? Certaines femmes aiment être draguées à la
hussarde, d’autres courtisées avec de grandes manières, d’autres encore
détestent être draguées. Faudra-t-il nous aligner toutes sur ces
dernières ? Etant entendu que la pression physique est inacceptable,
doit-on inscrire dans la loi qu’un homme (ou une femme car les harceleuses sont
bien plus nombreuses qu’on le dit) doit s’arrêter au premier refus ? À ce
régime, nombre de chefs d’œuvre du cinéma ou de la littérature auraient tourné
court.
Sexe totem et tabou
L’historienne Michelle Perrot se dit sidérée qu’on puisse manquer à la
solidarité féminine. En somme, puisque des femmes sont victimes, nous sommes
toutes des victimes. Nul ne nie que des femmes soient violées, battues, ou
soumises au chantage d’hommes. Il est faux en revanche que cette souffrance
soit la règle dans notre société. Ajoutons qu’une femme qui subit une insulte
ou une mauvaise blague d’un homme n’est pas plus en situation d’infériorité
qu’un homme subissant la même chose d’une femme, sauf à considérer que les
hommes sont structurellement plus forts, même en insulte, ce qu’il est
difficile de soutenir.
La pétition Millet rappelle que les relations entre
les sexes ne sont pas une promenade de santé et que le désir n’est pas le
domaine de la règle, de la codification et du contrat, mais celui du trouble,
du tourment, de l’ambiguïté et du rapport de force, bref qu’entre adultes
consentants tous les jeux sont permis et que nul ne saurait s’arroger le droit
d’édicter une norme. Oui, la plupart des histoires commencent par un geste, un
mot, un regard qui pourrait être considéré comme importun. La vision de la
sexualité de nos dames-patronnesses est confondante de naïveté, convaincues
qu’elles sont de savoir comment ça marche. À les entendre, nous sommes toutes
des Cécile de Volanges, l’oie blanche déniaisée par Valmont dans Les
Liaisons dangereuses. Peut-être n’ont-elles jamais entendu parler de la
marquise de Merteuil pour croire ainsi tout ce que disent les femmes ?
Quant à l’idée qu’on peut jouer avec la domination ou y prendre du plaisir,
elle ne semble pas les effleurer.
En attendant, la violence des réactions à ce qui n’est qu’un texte parmi
des centaines affirmant le contraire a de quoi surprendre. Il faut croire que
le nouvel archevêque de Paris, monseigneur Michel Aupetit, se trompe quand il
dit : « aujourd’hui, le tabou n’est plus le sexe, mais
Dieu ». En réalité, aucun autre sujet ne suscite une telle montée aux
extrêmes dans le débat. Il faut croire au contraire que le sexe reste le grand
tabou, voire l’ultime refuge de la subversion. Le bazar qu’a mis notre petit
poulet montre que, malgré leur infatigable activisme, les reines du contrôle,
de l’interdit et de la sanction ne parviennent pas à normaliser le désir. Alors
que des nuages noirs s’accumulent sur nos libertés, c’est une bonne nouvelle.
Titre et Texte: Elisabeth Lévy, CAUSEUR,
12 janvier 2018
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