Nicolas Baverez
La politique économique de
Dilma Rousseff demeure confuse, alimentant les incertitudes.
Le Brésil, sixième économie
mondiale, est encalminé et le miracle menace de tourner au désenchantement. La
croissance a chuté à 1 % en 2012, après 2,7 % en 2011, contre 4,5 % entre 2005
et 2010. Ce brutal ralentissement résulte pour l'essentiel de la stagnation de
l'investissement, qui plafonne à 19 % du PIB, contre 27 % au Chili et en
Colombie. À l'inverse, l'inflation résiste pour s'établir à 5 % et les défauts
bancaires explosent.
Autant que du ralentissement
de la croissance mondiale revenue autour de 2,5 %, l'atterrissage brutal du
Brésil résulte d'une crise de confiance qui souligne les fragilités de son
modèle de développement.
Le décollage des années 2000 a
reposé sur deux moteurs : l'expansion du marché intérieur et les exportations
de produits agricoles et de matières premières. Toutes deux patinent. La
demande intérieure a été stimulée par la hausse des salaires et des aides
sociales, qui compromettent désormais la compétitivité et l'équilibre
budgétaire, ainsi que par l'expansion du crédit, qui s'est transformée en bulle
financière. De très fortes inégalités subsistent par ailleurs qui handicapent
le développement, puisque 1 % de la population perçoit 45 % des revenus, tandis
que 11 millions de personnes ne disposent pas d'un logement décent. Dans le
même temps, les exportations, constituées à 95 % de ressources agricoles et de
matières premières et concentrées vers la Chine, premier partenaire commercial
depuis 2009, sont frappées de plein fouet par la fin des Trente Glorieuses de
Pékin.
Face à ces défis, la politique
économique de Dilma Rousseff demeure confuse, alimentant les incertitudes. La
politique monétaire a été assouplie avec une forte baisse des taux d'intérêt
liée à l'abandon du ciblage de l'inflation, qui a relancé la hausse des prix sans
relancer la croissance. Surtout s'est installé un néopéronisme qui bloque les
réformes et bride le développement. Les subventions en faveur de la
consommation de carburants ou d'électricité gonflent les dépenses publiques
stériles. L'indispensable plan d'investissement de 70 milliards de dollars dans
les infrastructures et les transports, dont les déficiences atteignent un
niveau critique, est associé à une étatisation de l'économie. La multiplication
des mesures protectionnismes et la dévaluation agressive du real minent le
Mercosur et entretiennent un climat de guerre monétaire qui freine l'insertion
du Brésil dans la mondialisation.
Le Brésil conserve de
formidables atouts : une démographie dynamique, une classe moyenne de 105
millions de personnes, d'immenses ressources - des terres arables à l'eau en
passant par le pétrole et les énergies renouvelables -, une dette publique
limitée à 35 % du PIB et des réserves de change s'élevant à 380 milliards de
dollars, des entrepreneurs créatifs, une démocratie vivante. Mais leur
valorisation, au-delà du boom des matières premières des années 2000, passe par
un changement de mode de développement, qui implique en amont la
restructuration d'une administration surdimensionnée générant une corruption
endémique, ainsi que le renforcement d'un État de droit encore vacillant.
Le Brésil est très
représentatif des pays émergents. Ils ont vocation à structurer la
mondialisation car ils possèdent les ressorts de la croissance du XXIe siècle :
les nouvelles classes moyennes, l'économie de la connaissance, les technologies
vertes. Mais la poursuite du développement implique des changements profonds
pour dynamiser la productivité, développer l'investissement privé, diversifier
l'activité et augmenter la valeur ajoutée, stabiliser l'environnement juridique
et fiscal, relancer l'intégration régionale. Le président Cardoso a cassé
l'inflation et assuré la stabilité. Lula a libéré la croissance et inscrit le
Brésil dans la mondialisation. Si elle souhaite prolonger cette lignée, Dilma
Rousseff doit moderniser le modèle brésilien en redéfinissant les missions et
le périmètre de l'État, en créant un environnement plus favorable à
l'investissement privé, en renforçant le Mercosur et l'ouverture
internationale.
Nicolas Baverez, Le Point nº 2101 - Publié le 20/12/2012
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