Virginie Jacoberger-Lavoué
À Davos, le nouveau président faisait son
premier déplacement international. Il y a rassuré le monde des affaires, alors
qu'il cherche à appliquer au plus vite son programme résolument libéral et
sécuritaire.
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Foto: AFP |
À la faveur des nombreux
désistements de chefs d’État et de gouvernement, dont Donald Trump, Emmanuel
Macron et Theresa May, retenus par des crises sévères à domicile, Jair
Bolsonaro a eu le privilège du discours inaugural, le 22 janvier dans
l’auditorium du Centre des congrès de Davos. Son discours a surpris par sa
brièveté -sept minutes - et son ton généraliste. On a vu poindre des sourires
dans la salle lorsque Bolsonaro s’est mué en VRP du Brésil, vantant jusqu’à ses
plages. Mais toujours pas le moindre chiffre évoqué ; Jair Bolsonaro est un
président atypique, qui avait prévenu : « Je ne comprends rien à
l’économie. »
La concision de son discours
présentant un « Brésil différent » avait néanmoins l’avantage
d’aller à l’essentiel. Parlant sur un ton martial, Jair Bolsonaro, capitaine de
réserve, semblait avoir bien appris sa leçon : moins d’État, des
privatisations, la baisse des impôts, plus d’investissements, la lutte contre
la corruption… Surnommé le « Trump tropical », ce catholique devenu
évangélique, favorable aux armes à feu et climatosceptique, a su ménager ses
effets : crispé mais conciliant, le président issu de la droite radicale a
glissé une phrase que certains ne manqueront pas de lui rappeler : «
L’environnement et le développement devraient avancer main dans la main. »
Pour Ian Bremmer, politologue
fondateur d’Eurasiagroup : « Le compte rendu médiatique de son discours
était globalement négatif ; mais son orientation a été bien accueillie par les
marchés et les investisseurs. » L’expert américain ne voit pas Jair
Bolsonaro comme un clone de Trump, à l’exception de quelques signes
d’alignement - transfert de l’ambassade en Israël de Tel-Aviv à Jérusalem,
rapports avec la Chine, climat… Encore que la sortie annoncée de l’accord de
Paris de lutte contre le réchauffement ne paraisse pas actée.
Jair Bolsonaro est-il devenu
fréquentable ?
Assurément, son examen de passage
a été réussi auprès de l’influent professeur Klaus Schwab, fondateur du Forum.
Il l’a dit, en 2020, l’organisation de la session Amérique latine de Davos se
tiendra au Brésil. À Davos, Bolsonaro est aussi devenu fréquentable. On l’a dit
boudé parce qu’à son arrivée il a déjeuné dans un supermarché. Mais on l’a
aussi vu aussi à la table d’honneur du sommet, aux côtés de Satya Nadella, le
directeur général de Microsoft, et de Tim Cook, qui occupe la même fonction
chez Apple. Quid d’un agenda diplomatique de l’entre-soi
populiste ?
Jair Bolsonaro a privilégié des rencontres bilatérales, avec les dirigeants japonais mais aussi suisses. « Il a été élu démocratiquement et les critiques dans nos médias ne sont pas correctes », a noté le président de la Confédération, Ueli Maurer, qui s’est prêté avec lui au selfie, tout comme le Premier ministre nippon, Shinzo Abe, ou… Tony Blair ! Les médias sont moins son fort. Le président brésilien a annulé sa conférence de presse. À l’agence Bloomberg, il a donné sa vision du Mercosur, le marché commun d’Amérique du Sud, qui « n’était pas mauvais au départ mais perverti par les pays à gauche » . Il ne cache pas sa fierté d’avoir déjà reçu à Brasilia le président argentin, Mauricio Macri.
À l’assaut de Davos,
Bolsonaro, adoubé par un tweet élogieux de Donald Trump, voulait avant tout
vendre « son » Brésil, plaçant aux avant-postes ses deux
« super-ministres », l’ex-juge anticorruption Sérgio Moro, ministre
de la Justice et de la Sécurité publique, intervenant lors de tables rondes, et
l’ex-banquier Paulo Guedes, à la tête du ministère de l’Économie. Depuis
l’annonce de sa nomination, la Bourse de São Paulo est euphorique et l’indice
Ibovespa gagne du terrain, proche désormais du cap symbolique des 100 000
points… avant même la mise en place des réformes promises.
Un vice-président, le général
Mourão, capable de rectifier son propôs
À Davos, l’ultralibéral
Guedes, issu de l’école de Chicago, a fait sensation lors du déjeuner de la
banque Itaú, dont il était l’invité vedette. Applaudi par une centaine
d’invités, il y aurait révélé que la réforme des retraites passerait finalement
au Congrès en mai. C’est la mesure la plus cruciale qu’attendent les
investisseurs, tant elle a été renvoyée aux calendes grecques auparavant. «
Le Brésil est enfin regardé comme un pays sérieux », confiait en Suisse
João Doria, gouverneur de l’État de São Paulo (plus d’un tiers du PIB), croyant
en la perspective d’une croissance de 3 % en 2019.
Et le Venezuela ? Comme Trump,
Jair Bolsonaro a reconnu l’opposant Juan Guaidó, qui s’est autoproclamé
président par intérim, le 23 janvier, sans faire part, cette fois, de sa vive
détestation du socialisme latino-américain.
Il a évoqué plus
judicieusement la déclaration commune du Brésil, de la Colombie, du Pérou et du
Canada. Sa diplomatie ne pratiquera donc pas l’isolationnisme, mais saura-t-il
s’écarter de la droite ligne guidée par Trump ? Désormais, il évite les bourdes
après s’être fait contredire sur les taxes, et, avec plus de véhémence, par son
vice-président, l’ancien général Hamilton Mourão, sur la construction d’une
base militaire américaine au Brésil, et ses attaques en règle de la Chine,
principal investisseur étranger dans le pays. « La rhétorique du
président n’est pas toujours alignée sur la réalité », a ironisé l’influent
général. Par patriotisme, Jair Bolsonaro a requis le changement du blason des
passeports. Pas vraiment une urgence, d’autant que la question des retraites a
été écartée de la liste des mesures des « cent jours de la réforme ».
À domicile, Jair Bolsonaro
dérape encore souvent verbalement. Il a une approche productiviste de la
gestion des terres qui risque de détériorer le sort de l’Amazonie dans un pays
qui connaît déjà une déforestation record. Il soigne les lobbies qui l’ont
soutenu : les BBB pour Bible, balles, bœuf, soit les évangéliques, les proarmes
et l’agro-business. Par décret, il a déjà facilité, le 15 janvier, la détention
d’armes à feu à domicile, dans un pays où l’on tue toutes les huit minutes, au
nom du droit à la légitime défense : « Je veux que les gens bien
puissent, dans un premier temps, être en paix chez eux. » Il n’a pas
caché son intention d’aller plus loin, avec le souhait de faire évoluer la
législation sur le port d’armes au Brésil, « mais il ne pourra franchir
cette étape sans l’aval du Parlement », rappelle Thiago de Aragao, analyste
chez Arko Advice.
Reste le terrain miné de la
lutte contre la corruption, avec la promesse non effective à ce jour d’ouvrir
la boîte de Pandore que constitue la Banque nationale de développement
économique et social (BNDES), concernée par la tentaculaire enquête « Lava
jato ».
Plus problématique pour le
gouvernement est l’« affaire Flávio », d’après le prénom du fils aîné
du président, actuellement sénateur fédéral, qui aurait bénéficié de transferts
de fonds suspects (48 dépôts et le versement de 22 500 euros en cinq jours)
lorsqu’il était parlementaire dans l’État de Rio de Janeiro. Une étrange
affaire qui commence avec un garde du corps chauffeur aux responsabilités mal
définies. Elle a entraîné des révélations en cascade. « Il faut payer
ses erreurs », assure Jair Bolsonaro alors que son entourage explique que
Flávio n’est pas membre du gouvernement. Dans un « Brésil différent »,
la vie politique a toujours plus d’imagination que la fiction.
Titre et Texte: Virginie Jacoberger-Lavoué, Valeurs Actuelles, 1-2-2019
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