Nathalie Schneider
François Hollande, toujours
en visite officielle au Canada, sera mardi à Montréal, la métropole favorite
des Français. Mais dans le quartier du Plateau Mont-Royal, ils sont si nombreux
qu'une vague de ressentiment anti-Français émerge.
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Dans le quartier du
Plateau, à Montréal, on peut toujours retrouver un petit goût de pays à la
boulangerie du coin. Photo: Stephan Poulin/Tourisme Montréal
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L'avenue du Mont-Royal, l'une des plus célèbres artères de Montréal, qui grimpe doucement vers la Montagne (le mont
Royal) a bien changé en quelques décennies. Fini les menus du midi à 5,99
dollars (fèves au lard et french fries, ketchup et relish inclus) et les
boutiques de linge "à rabais". Même l'Aubainerie, le populaire
"magasin à rayons", a rafraîchi ses stocks et modernisé ses espaces
clients. Ce faisant, elle a aussi monté ses prix. Aujourd'hui, pour se vêtir
élégamment sur l'avenue, on achète des créations locales ou importées (surtout
européennes) en grignotant des macarons.
Même la poutine, la spécialité gastronomique du Québec, qu'on ne présente
qu'à ceux qui n'ont jamais mis le pied dans la Belle Province, a l'air de lever le nez sur son passé
graisseux (frites baignant dans une sauce brune et parsemées de
"crottes" de fromage). Désormais, on vous la sert garnie au foie gras
et nappée de Pied de vent (fromage québécois artisanal).
L'avenue Mont-Royal se trouve au coeur du Plateau, magistralement dépeint par le célèbre auteur québécois Michel Tremblay dans ses romans et ses pièces de théâtre. Ce quartier, autrefois habité par des ouvriers francophones, loin des demeures cossues des patrons anglophones situées plus à l'ouest, est passé d'une ambiance populaire et familiale à celle d'un ghetto à bobos. Les urbanistes parlent de "gentrification" d'un quartier. Il y a de cela, mais pas seulement.
L'avenue Mont-Royal se trouve au coeur du Plateau, magistralement dépeint par le célèbre auteur québécois Michel Tremblay dans ses romans et ses pièces de théâtre. Ce quartier, autrefois habité par des ouvriers francophones, loin des demeures cossues des patrons anglophones situées plus à l'ouest, est passé d'une ambiance populaire et familiale à celle d'un ghetto à bobos. Les urbanistes parlent de "gentrification" d'un quartier. Il y a de cela, mais pas seulement.
Le Français est bien équipé
Arpentez l'avenue à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit, vous y
croiserez immanquablement des grappes de jeunes en doudoune Canada Goose et en
bottes Sorel, sac à dos Quetchua négligemment porté sur l'épaule. Et si vous
demandez l'heure à l'un d'eux, vous savez déjà qu'il vous la donnera avec
l'accent de Neuilly-sur-Seine ou de Toulouse, en écrasant sa clope sur la
chaussée (car les Français fument encore beaucoup par rapport aux Québécois). Bref,
l'avenue du Mont-Royal est devenue LE repaire des Français installés au
Québec.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes: la communauté hexagonale du Québec s'est accrue de 72% en dix ans. Et sur les 100 000 expatriés vivant à Montréal, environ 28% choisissent le Plateau pour sa qualité de vie indéniable, qui répond à leurs habitudes de vie surtout alimentaires. Boulangeries, boucheries et petits cafés ont en effet détrôné les grands supermarchés d'alimentation. Un phénomène auquel ils ne cessent, d'ailleurs, de participer; ce sont précisément les immigrants français qui sont à l'origine de tous ces petits commerces.
Le débat houleux sur la Charte identitaire québécoise qui a divisé la
province à l'automne dernier a eu, entre autres effets, celui de faire émerger
dans les médias la question de la francisation du Plateau (et de Montréal plus
largement). "L'occupation massive d'un quartier par une communauté
culturelle, quelle qu'elle soit, a toujours le même effet pervers: cela crée un
ghetto, analyse Luc Larrivée, un Québécois de 48 ans qui a toujours vécu sur le
Plateau, par ailleurs très francophile et ouvert sur les différentes
communautés culturelles. Et malheureusement, cette concentration peut
provoquer un rejet fâcheux de la part des Québécois purs et durs!"
Normal, diront les
anthropologues, pour un peuple minoritaire qui a dû (et doit encore) se battre
farouchement pour défendre sa langue et sa culture dans un pays majoritairement
anglophone. Le spectre de l'assimilation culturelle sommeille toujours dans
l'inconscient collectif des Canadiens français.
Dans les cafés, "clients comme employés
sont parfois tous Français"
"Sur le Plateau,
dans certains party du vendredi ou du samedi soir, il n'y a
que des Français", s'étonne Naïs Hémon, une étudiante québécoise d'origine
française. C'est comme s'ils recréaient une microsociété entre eux, sans vraiment
s'intéresser à la culture du pays où ils vivent. Même si ceux-ci sont surtout des PVTistes." En
colocation avec d'autres compatriotes, ils décrochent facilement une jobine
dans une boutique ou un café du coin. Du coup, clients comme employés sont
parfois tous Français! De quoi redonner une nouvelle jeunesse à l'expression
bien connue de "maudits Français".
Yann Rocq, lui, en a fait le titre de son blog remarqué (100 visites quotidiennes) en ligne depuis dix ans. Ce Français de 39 ans, qui est passé par l'Ecole nationale de l'humour, à Montréal, y jette son regard décalé sur le Québec avec des observations souvent originales et toujours spirituelles. "Ce qui m'agace, ce sont les Français qui ont fui la France et qui la renient. Ceux-là n'ont pas choisi le Québec pour ce qu'il est." Quant à savoir s'ils sont trop nombreux,Yann rejette la question en bloc: "Pourquoi y en aurait-il trop? Le fantasme de la pureté culturelle québécoise fait les choux gras d'une certaine presse qui pointe des microphénomènes et ignore les autres. Les Autochtones du Québec ont plus de soucis à se faire sur leur assimilation culturelle que les Québécois "pure laine" comme on dit ici!"
Dans son blog, il commente notamment un article paru en décembre dernier
dans le quotidien gratuit Métro, intitulé "Guide pour éviter
d'être un maudit français". La journaliste y détaille l'attitude que tout
Français doit adopter sous peine de recevoir l'injure en pleine face: ne pas se
plaindre de l'hiver, ne pas draguer au travail, éviter de se comparer aux
Québécois et... vivre ailleurs que sur le Plateau!
Le Français est snob
Alors, est-ce qu'il "Y'a trop de Français sul' Plateau"? C'est en
tout cas le tube du moment. La "toune" s'est propagée à toute allure
sur YouTube. Plus de 100 000 visionnements en moins d'un mois! Son auteur, Fred
Fresh, un jeune concepteur publicitaire et musicien français, y chantonne, sur
un ton badin et volontairement provocateur, tous les clichés véhiculés sur les
Français vivant à Montréal et sur le Plateau en particulier. Sur la vidéo, il
sautille, une baguette de pain à la main, dans différents lieux bien connus du
quartier: "Mon quartier a des airs de territoire occupé par une bande de
snobinards qui travaillent dans la com..."
"Cette "toune" c'est l'histoire des Français qui se
moquent des Français qui habitent sur le Plateau, résume Fred Fresh. Une
tendance qu'on observe surtout chez les immigrants des anciennes générations
qui s'approprient l'idée originale d'être venus vivre au Québec et la refusent
aux immigrants récents. Ce phénomène d'auto-exclusion culturelle est
typiquement français. Les immigrants d'autres pays démontrent souvent plus de
solidarité et d'empathie à se retrouver en terre étrangère et se tiennent les
coudes."
Quoi qu'il en soit, si vous trouvez qu'il y a trop de compatriotes sur le
Plateau, il existe une solution: changez de quartier! A Montréal, ou ailleurs
au Québec, ce n'est pas l'espace qui manque...
A lire: Québec Land, Petit
guide d'une installation réussie au Canada. Pauline Bardin,
Edouard Bourré-Guilbert et Aude Massot, Paris, Sarbacane, 2014.
Nathalie Schneider, L’Express,
3-11-2014
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