François Musseau
L’ex-leader socialiste est
incarcéré depuis mardi dans une prison qu’il avait inaugurée lorsqu’il était
Premier ministre du Portugal.
«L’incomparable José
Sócrates», ironise l’éditorialiste du quotidien Publico José Miguel
Tavares. «The Special One», s’amusent plusieurs commentateurs,
appliquant à celui qui dirigea le Portugal entre 2005 et 2011 le surnom
d’ordinaire attribué au sulfureux entraîneur de foot José Mourinho. Après avoir
été longtemps prudents, voire trop respectueux avec Sócrates, Sol ou Correio
Da Manha exceptés, les médias portugais se livrent désormais au grand
déballage contre celui qui a créé la sensation, lorsqu’il fut interpellé à
l’aéroport de Lisbonne, vendredi.
Motif de cette détention inédite : «fraude
fiscale» et surtout «corruption» et «blanchiment de capitaux».
Le montant des sommes qu’aurait détournées Socrates n’est pas connu,
mais la presse nationale parle de dizaines de millions. Depuis environ un an,
la brigade financière portugaise, la DCIAP s’était étonnée de son train de vie
à Paris, où il réside : un appartement de 2,8 millions d’euros,
la fréquentation de restaurants de luxe… Des écoutes téléphoniques auraient
fait le reste.
«Un degré supplémentaire
d’immoralité dans la vie publique»
L’ancien leader socialiste, qui en mai 2011 avait démissionné alors que son pays était au bord de la faillite financière, a été placé mardi en prison préventive à Evora, dans
un de ces établissements modèles qu’il avait lui-même inauguré alors qu’il
était le fringuant Premier ministre ! Chaque jour, déjà écœurés par une
série de scandales en cours (tous liés à la «décennie heureuse» de l’argent
facile, 1995-2005), les Portugais découvrent le détail des forts soupçons qui
pèsent sur José Sócrates – et ce, même si le secret de l’instruction a été
déclaré par les magistrats.
«Son incarcération, c’est
la cerise sur le gâteau d’un système corrompu, souligne un présentateur de
la RTP, la télé publique. L’affaire Sócrates correspond à un degré
supplémentaire d’immoralité dans la vie publique. Une sorte d’électron
libre.» Avec, comme alter ego dans le monde financier, son ex-compère
Ricardo Salgado, l’ancien président de la banque Espírito Santo, lui aussi
interpellé, en juillet, pour blanchiment de capitaux.
Homme de paille
Officiellement, lorsqu’il
déménage à Paris au printemps 2011, José Sócrates prend une retraite
politique «bien méritée», celle d’un honnête citoyen qui a servi son
pays «le mieux possible». Désireux de «réfléchir et de prendre le
temps», il s’inscrit à Sciences-Po pour faire une thèse doctorale. Et, tel
un observateur assagi au-dessus de la mêlée, participe à des émissions de la
RTP pour commenter la vie politique portugaise. Il dit alors n’avoir qu’un seul compte bancaire
et, pour louer un appartement dans la capitale française, affirme recourir à un
prêt.
Un politicien modèle, en
somme, qui a su s’arrêter à temps et que la cupidité n’aurait pas rongé.
Sauf que, de source
judiciaire, ce qui a motivé son arrestation raconte une tout autre histoire.
Son chauffeur João Perna, lui aussi interpellé, faisait souvent le trajet
Lisbonne-Paris en voiture pour lui remettre de grosses quantités d’argent en
liquide. A partir de janvier 2013, José Sócrates est consultant pour la
multinationale pharmaceutique Octapharma AG, pour laquelle il touche 12 000
euros par mois. Mais, selon le quotidien Sol, la multinationale lui
versait 12 000 euros supplémentaires correspondant en réalité à son propre
argent issu d’une société offshore mise au nom de son ami d’enfance,
l’entrepreneur Carlos Santos Silva. Ce dernier, tout comme son épouse, aurait
servi d’homme de paille dans le cadre d’un réseau sophistiqué de
sociétés-écrans contrôlés par Sócrates.
Leader louche, «toujours borderline»
Lorsqu’il était en fonction, l’ancien chef du
gouvernement a révolutionné la vie politique portugaise. Sanguin, autoritaire,
des manières un peu bling-bling à la Sarkozy, il a su dépoussiérer une
administration ankylosée, voire inefficace, et obtenir, lors de son premier
mandat, des résultats probants. Mais, en parallèle, José Sócrates fut ce
leader louche, ce «produit médiatique» ou «politicien Armani»
(dixit le Publico pour fustiger son côté gauche caviar), impliqué dans
maints scandales et parvenant à chaque fois à se sortir des griffes de la
justice. «Depuis les origines, il a été ce jeune loup, opportuniste, sans
idéologie, obsédé par l’escalade des échelons vers le pouvoir suprême, toujours
borderline», dit l’historien Fernando Rosas. Ancien militant du parti de
droite, le PSD, passé chez les socialistes en 1981, cet admirateur de Tony
Blair a connu un parcours peu limpide. Il y a d’ailleurs de fortes chances que
son diplôme d’ingénieur civil, obtenu en 1980, soit un faux.
Titre et Texte: François Musseau, Madrid, Libération,
26-11-2014
Photo: Rafael Marchante/Reuters
Nota: O Libération é um
jornal de opinião diário publicado em Paris, França. Fundado em 1973 com apoio
de Jean-Paul Sartre, que foi seu primeiro editor, o Libération se posicionou na
época de seu lançamento à extrema-esquerda.
Depois da morte de Sartre e
após uma crise que quase o levou ao fechamento, mudou para um posicionamento
social-democrata. Ainda hoje o Libe (como é chamado amigavelmente por seus
leitores) conserva seus princípios libertários.
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