Valérie Toranian
Donald Trump vient-il d’envoyer « un bâton de
dynamite dans la poudrière du Moyen-Orient » ? Avec la frappe américaine qui a causé la mort du général iranien Qassem Soleimani,
le président américain est-il responsable de « l’escalade », de la « surenchère
» qui risquerait de mener la région « vers une nouvelle guerre » ? Non, trois
fois non.
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Photo : des membres
du Hezbollah à Beyrouth, au Liban, le 5 janvier 2020, lors d’un
rassemblement organisé après l’assassinat de Qassem Soleimani. Crédits : Bilal
Jawich/Xinhua/Newscom/ABACAPRESS.COM
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D’abord parce que la guerre
dans cette région n’est pas une menace mais une réalité
C’est une guerre dispersée,
asymétrique, explosée en différents conflits, où s’affrontent les puissances
régionales au gré d’agendas parfois contradictoires et d’alliances fluctuantes.
Une guerre qui oppose de longue date un axe Téhéran-Moscou-Damas à un axe
Washington-Riyad-Tel Aviv. Chiites contre sunnites. Une guerre qui fait des milliers de morts par
milices et factions interposées au Liban, en Irak, au Yémen, en Syrie, en
Afghanistan. Une guerre qui oppose les États-Unis et l’Iran de façon
presque continue depuis 1979 et l’avènement de la République islamique. La dénonciation par Donald Trump de l’accord sur le nucléaire n’est qu’un des
rebondissements récents de cet affrontement.
Le rôle de l’Iran dans
cette guerre n’a cessé de grandir en vingt ans
De Téhéran à Bagdad, de Damas
à Beyrouth ou Gaza, le général Soleimani, chef de la force Al-Qods des gardiens
de la révolution, était en charge des opérations extérieures de la république
islamique. Il orchestrait les attaques, organisait les milices chargées de
défendre les intérêts de la république islamique dans la région. Sa force de
frappe est impressionnante. Il a été aux côtés des milices chiites irakiennes
contre l’occupant américain dès 2003, il a soutenu le Hezbollah libanais contre
Israël en 2006.
En Irak, aujourd’hui, les milices chiites contrôlées par Téhéran tiennent le pouvoir. Elles ont été la main de fer qui a maté
l’opposition descendue dans la rue depuis plusieurs semaines occasionnant
plusieurs centaines de morts. En Syrie, ce sont les troupes du Hezbollah,
affilié à Téhéran, qui, avec les Russes, ont sauvé Assad militairement et
permis à son régime de se maintenir en place. Au Liban, le Hezbollah est plus
qu’influent. Sa main mise sur le régime de Beyrouth est d’ailleurs dénoncée par
les manifestants qui réclament la fin du système d’incurie et de corruption.
Qassem Soleimani a été
l’incontestable artisan de ce « succès ». Voilà pourquoi son assassinat est au
moins aussi important, aux yeux des experts, que celui d’Oussama Ben Laden, ou
du chef de l’organisation État islamique, Abou Bakr Al-Baghdadi. S’il y a une
escalade dans la région, elle est due aussi à l’Iran, et certainement à Qassem
Soleimani.
De plus, Donald Trump
n’avait pas vraiment le choix
Contrairement aux médias qui
le présentent comme un boutefeu irresponsable, le président américain s’était
jusqu’à présent illustré par son refus de riposter aux provocations
iraniennes. Les attaques des pétroliers norvégien et japonais dans le Golfe,
la destruction d’un drone américain, et surtout le bombardement des
installations pétrolières saoudiennes en septembre 2019, téléguidé par Téhéran,
n’avaient suscité aucune réponse militaire. Ce qui avait créé la consternation
chez les alliés régionaux des Américains, pour qui ce manque de réaction
constituait une grave erreur. Après le lâchage des Kurdes de Syrie livrés par Donald Trump aux troupes turques d’Erdogan, c’était un signe supplémentaire d’un « effacement » de la
puissance américaine dans la région. L’Europe, n’en parlons-pas, voilà longtemps qu’elle n’avait plus son mot
à dire…
Les Iraniens se sont-ils enhardis en constatant
cette désaffection américaine ? Vraisemblablement. L’attaque de l’ambassade
américaine à Bagdad par des militants chiites était la ligne rouge qu’il ne
fallait pas franchir. Le Pentagone ne pouvait plus ne pas réagir.
Fallait-il cibler le
général Soleimani ?
À voir les foules
impressionnantes qui ont rendu hommage au général iranien depuis dimanche 5
janvier on se demande si la liquidation de Qassem Soleimani n’est pas surtout
un cadeau inespéré au régime iranien : économiquement exsangue, contesté dans
la rue depuis des semaines, il se refait une santé sur le dos du « satan »
américain, odieux assassin du « héros » national. Il ne faut pas sous-estimer
le sentiment patriotique iranien : il a toujours existé et même les pires
opposants au régime sont très attachés à leur pays.
Mais en choisissant de frapper Soleimani,
Donald Trump et le Pentagone ont envoyé un signal clair : les États-Unis sont
en capacité de frapper très haut et très fort. On les croyait retirés de la
scène moyen-orientale ; ils avertissent que tel n’est pas le cas et qu’ils
peuvent encore nuire si on s’attaque à leurs intérêts. Pour le camp occidental
ce n’est pas une mauvaise nouvelle.
Certains, enfin, questionnent le choix du
général Soleimani comme cible, sous prétexte que ses milices auraient été en
pointe dans le combat contre Daech et le Califat en 2014. C’est rigoureusement
exact. Mais contrairement aux Kurdes qui se battaient aux côtés des occidentaux
contre une idéologie islamiste totalitaire et pour l’avènement d’une pluralité
démocratique et religieuse, les milices de Qassem Soleimani voulaient battre en
brèche un islamisme sunnite concurrent de leur propre idéologie islamiste
mortifère. Une guerre de leadership. Qui se contrefout bien des aspirations des
peuples dans la région. Il y a là une nuance de taille…
Titre et Texte: Valérie Toranian,
Revue des Deux Mondes, 6-1-2020
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