Yves Bourdillon
L’élargissement à six pays supplémentaires du fameux club des cinq ténors du Sud à forte croissance constitue un bloc d’apparence formidable sur le plan géopolitique ; un tiers du PIB mondial et 45 % de sa population. Mais le seul ciment de cet ensemble dénué de toute possibilité d’intégration économique et divisé sur le plan géopolitique, est une posture anti-occidentale. C’est un peu court, jeune homme.
En apparence, c’est un camouflet cinglant pour l’Occident. Les Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du sud) se sont élargis à six nouveaux membres (Iran, Argentine, Emirats arabes Unis, Arabie saoudite, Égypte, Éthiopie).
« Moment historique », « étape
clé en faveur d’un monde multipolaire » face à « l’hégémonie occidentale », «
formidable outil de rééquilibrage » ; les dirigeants des pays concernés n’ont
pas lésiné sur les formules tonitruantes lors du sommet qui a acté, la semaine
dernière à Johannesburg, la constitution de ce, en anglais, BRACISUIEE, on dira
plutôt Brics +.
Une
riposte à l’Occident
Et, effectivement, il s’agit
d’un moment significatif dans la montée, qu’il ne faut pas négliger, d’un
ressentiment envers l’Occident, ses pratiques commerciales, ses sanctions, et
de tentatives du « Sud Global » (même s’il compte une Russie revendiquant le
pôle nord) de s’organiser pour peser sur les affaires du monde. Il s’agirait de
rebattre les cartes d’un ordre mondial dominé par l’Ouest depuis 1945 via
notamment FMI, OMC et Banque mondiale, même si les pays du sud y ont droit au
chapitre… Ironie du sort, cette riposte, ce défi à l’Occident part d’un sigle
inventé en 2001 par l’archétype de la banque d’affaires américaine, Goldman
Sachs.
Toutefois…
Toutefois, comme dans la pièce
de Shakespeare, tout ceci représente peut-être « beaucoup de bruit pour rien »,
ou du moins beaucoup moins que claironné par les protagonistes.
Car la plupart des membres du
groupe des Brics + demeurent formidablement dépendants des Occidentaux sur le
plan économique, ou technologique. Et l’ensemble, dénué de toute intégration
économique, est zébré de divergences, disparités et rivalités, voire inimitiés.
L’Ouest
reste incontournable
La dépendance, tout d’abord.
L’Ouest (Union européenne,
Royaume-Uni, Suisse, Amérique du Nord, Japon, Australie), qui pèse toujours 60
% du PIB nominal mondial, continue de fournir l’essentiel des investissements
étrangers sur lesquels, à l’exception de ses deux membres du golfe Persique et
de la Chine, ces pays comptent pour nourrir leur spectaculaire décollage,
puisque leur épargne domestique est insuffisante. Indice révélateur du manque
d’implication multilatérale, un seul des onze membres du groupe des Brics +, la
Chine, investit substantiellement chez les autres membres, en sus d’une Inde
fournissant parfois 2-3 % de leurs IDE (investissements directs étrangers). Les
membres du club ont aussi besoin, y compris encore Pékin, des transferts de
technologies des pays occidentaux. Aucun des onze membres des Brics + n’a un
poids notable au niveau mondial en matière de dépôt de brevets, ou de recherche
scientifique, sauf la Chine et, un peu l’Inde.
Quant au commerce
international, les chiffres sont sans appel. Les principaux clients et
fournisseurs des Brics + restent les pays industrialisés occidentaux. Hormis,
encore une fois, Chine et Inde, les pays des Brics + n’apparaissent
généralement pas parmi les dix principaux partenaires commerciaux des autres
membres. Ce qui n’a rien de surprenant, puisque les économies des Brics + sont
peu complémentaires, tous étant surtout exportateurs d’hydrocarbures, produits
agricoles, métaux, hormis Chine et Inde. Ils ont même des intérêts antagonistes
en matière de prix du baril, puisque l’Arabie saoudite est le premier
exportateur mondial de pétrole, devant la Russie et, au cinquième rang, les
Emirats arabes unis, alors que Chine et Inde sont les deux premiers importateurs.
Des
disparités démographiques, économiques, politiques et militaires
Divergences qui se traduisent d’ailleurs par l’absence de toute dynamique d’intégration économique entre les Brics canal historique, sans parler des nouveaux adhérents dispersés sur trois continents.
Nulle baisse de tarifs
douaniers à l’horizon, ou de marché commun. Seule est en route une banque
commune du développement, NDB, vingt-cinq fois moins active que la Banque
mondiale, et une ébauche de mise en place des lignes de swaps au profit de pays
en pénurie de devises, le CRA (Contingent Reserve Arrangement).
Certains s’enflamment en y
voyant déjà une ébauche d’alternative au dollar en oubliant qu’une unité de
compte, et encore plus une monnaie commune, n’a aucune chance d’exister avec
des pays dont les devises ne sont pas pleinement convertibles, dont certains
ont fait banqueroute et dont les devises ne peuvent pas s’accumuler à
l’étranger en « balances » pour constituer un instrument de réserve, puisque
leur commerce extérieur est structurellement excédentaire (Chine, Russie,
monarchies arabes).
S’y ajoutent de profondes
disparités de tout ordre.
La Chine et l’Inde sont les
pays les plus peuplés de la planète, quatre fois plus que le troisième, les
États-Unis, et… cent cinquante fois plus que le plus petit membre du nouveau
club, les Émirats arabes unis. Économiquement, la Chine est la deuxième économie
de la planète, au point de peser 70 % du PIB des Brics +, et si l’Inde et la
Russie figurent parmi les dix premières, les autres s’échelonnent de la 20e
place à la… 62e (Éthiopie). Certes, les Brics, initialement club de pays à
forte croissance, comptent, deux « tigres » mais aussi trois pays à croissance
proche de 1 % par an depuis douze ans : Brésil, Russie et Afrique du Sud.
Enfin, sur le plan militaire,
derrière Pékin qui se targue de la deuxième armée mondiale en effectifs et
équipements, sans qu’on sache ce qu’il vaut sur le terrain depuis la piteuse
campagne de 1979 au Vietnam, les autres n’ont aucune expérience du feu, ni
équipements substantiels, hormis l’armée russe discréditée, voire détruite à
moitié, en Ukraine. Peu ont donc les moyens militaires de défendre d’éventuels
intérêts en commun, voire particuliers.
Et précisément, en matière
d’intérêts en commun, ou de convergence politique…
Le groupe des Brics +
rassemble des régimes autocratiques, voire dictatoriaux (Russie, Chine, Iran,
Arabie saoudite, Égypte, Émirats arabes unis), et des démocraties (Inde,
Brésil, Argentine), en sus de démocraties très imparfaites, Afrique du Sud et
Éthiopie.
L’attelage Brics est aussi
disparate sur le plan civilisationnel : aux côtés de deux pays d’Amérique
latine, de l’Égypte, référence du monde arabe, et de l’Arabie saoudite, gardien
des lieux saints, on liste l’Iran, perse et chiite, la Russie, slave et orthodoxe,
l’Éthiopie, mi musulmane mi chrétienne engluée dans une guerre civile, l’Inde,
saisie par le nationalisme hindou et la Chine, encore un autre monde.
Ça
va être presque simple
Le caractère très hétéroclite
de cet attelage, dénué au demeurant de charte, ou de critères transparents
d’adhésion (18 pays avaient candidaté, et difficile de savoir pourquoi
l’Indonésie, le Bangladesh, le Nigéria, ou l’Algérie sont restés sur le seuil),
se reflète dans les alliances, rivalités et inimitiés géopolitiques. Visite
guidée, accrochez-vous.
La Russie et son allié iranien
sont ennemis des États-Unis, dont la Chine est un rival acrimonieux, tout en
étant son premier client et fournisseur, alors que l’Égypte, partenaire
militaire de Washington, tout comme les Émirats et Riyad, rétablit prudemment
ses relations avec son ennemi, Téhéran.
Mais ces pays arabes, de même
que l’Afrique du Sud et le Brésil, veulent avoir aussi de bonnes relations avec
Pékin et Moscou, sans que cela ne les empêche de voter à l’ONU contre
l’invasion russe de l’Ukraine, pendant que l’Inde mise à la fois sur la Russie
et les États-Unis pour tenir tête à la Chine, avec qui ses soldats ouvrent
parfois la boite à gifles dans les zones frontalières disputées, tandis que «
l’amitié infinie » entre Pékin et Moscou tourne à la relation suzerain/vassal,
l’Éthiopie se révélant parallèlement sous influence chinoise tout en étant un
partenaire historique de Washington. L’Argentine, pour sa part, peut se
demander ce qu’elle fait dans cette galère au point que sa probable future
présidente a annoncé qu’elle retirerait son pays du club.
Et encore, on n’a pas encore
sur les bras une crise à Taïwan…
Titre et Texte: Yves
Bourdillon, Contrepoints,
31-8-2023
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