Le nouveau président argentin est loin d’être en roue libre. Yves Bourdillon analyse les premiers pas de la présidence Milei
Le récit dominant en France serait que l’économie argentine, déjà engluée dans une profonde crise caractérisée par une corruption endémique et une inflation de 160 %, la plus élevée au monde actuellement, allait être définitivement mise à terre par cette expérience ultralibérale absurde tentée par « el loco » (le fou, surnom de Javier Milei) dont on se demande bien par quel aveuglement 55% d’Argentins ont voté pour lui.
L’annonce d’un désastre
peut-être un peu prématurée
Les médias racontent, avec quasi-jubilation, que des « manifestations monstres » se déroulent aux quatre coins du pays contre l’appauvrissement déjà perceptible et la « casse sociale ». Et, selon eux, des électeurs de Javier Milei regretteraient déjà leur choix. En fait, les manifestations monstres se résument pour l’instant à trois cortèges en dix jours d’une dizaine de milliers de personnes dans Buenos Aires, où le syndicat CGT a appelé à une grève générale le 24 janvier qui constituera un test crucial.
Quant à la casse sociale, elle
peut difficilement faire encore sentir ses effets pour la bonne raison que la
première vague de décisions économiques du nouveau président n’est pas encore
vraiment entrée en vigueur, à l’image des privatisations d’ampleur, qui
prendront des mois, ou la réduction de la durée d’indemnisation du chômage,
actuellement de 9 à 12 mois, pour la ramener aux normes habituelles dans cette
partie du monde (une horreur évidemment vue de Paris où, de 18 à 28 mois, elle
est la plus longue de la planète, avec le Danemark et l’Espagne). En gros, la
presse française se fait l’écho d’une souffrance qui n’est pas encore
perceptible. Bien que douleur il y aura, effectivement, comme l’a d’ailleurs admis Javier Milei en
évoquant six premiers mois difficiles.
Les seules mesures en passe d’être ressenties sont la baisse des subventions à la consommation de produits de première nécessité à partir du 1er janvier, subventions truffées – l’expérience le montre partout dans le monde – , d’effets pervers sur l’offre des biens et services concernés. Ces mesures, sont en outre, très coûteuses pour l’État. Ainsi que la suppression de 300 normes et règlement, dont la plus emblématique est l’encadrement des loyers. Cette dernière suppression a été particulièrement clouée au pilori par une presse française qui ne semble pas envisager que des prix administrés suscitent généralement des pénuries. D’un effet immédiat, via le renchérissement des produits importés, a aussi été la dévaluation de 50 % du peso, dont le cours, à vrai dire, était insoutenable à moyen terme.
Vous reprendrez bien un
petit peu de banqueroute ?
À l’inverse, visiblement,
d’une bonne partie de la presse française, les Argentins ont compris dans leur
majorité qu’il ne fallait plus foncer dans le mur en klaxonnant et que les
demi-mesures hésitantes, un pas en avant, deux en arrière, ne suffiraient pas.
Il faut savoir, en effet, ce
qui peut paraître inconcevable à des cercles parisiens médiatiques,
universitaires ou politiques biberonnés à l’étatisme comme horizon indépassable
du genre humain et convaincus que l’argent public serait infini et gratuit, que
l’État argentin était acculé. C’était d’ailleurs la raison principale du vote
des Argentins en faveur d’une politique moins dépensière (en sus de leur colère contre l’inflation et la
corruption, contrepartie quasi automatique d’un État très interventionniste).
Les dépenses publiques sont équivalentes en Argentine à 41 % du revenu
national, ce qui, vu de France où elles frôlent 65 % du PIB, record du monde,
peut paraître petit bras, mais est très élevé pour un pays à revenu
intermédiaire. La dette argentine, « seulement » 73 % du PIB mais là aussi
c’est beaucoup pour un pays émergent, était notée CCC par les agences de
notation, dernier cran avant le constat d’un défaut de paiement.
Les Argentins ont payé pour en
voir les effets, avec celui survenu il y a exactement vingt-deux ans.
À l’intention des Français qui ont perdu l’expérience de la banqueroute depuis 1794 et dont certains, à la culture économique disons… perfectible, tonnent parfois « eh bien on ne remboursera pas et puis voilà », un défaut de paiement, cela a une conséquence simple : du jour au lendemain les prêteurs, qui savent qu’ils ne reverront plus jamais une bonne partie de leurs créances, ne vous prêtent plus. Cela implique donc que si l’État empruntait 35 chaque fois qu’il dépensait 100, ce qui est, exemple pris totalement au hasard, actuellement le cas en France, il doit, soit ramener ses dépenses à 65, et pas à moyen terme, non, en quelques jours, c’est-à-dire soit diminuer d’un tiers les salaires ou les effectifs des fonctionnaires, soit augmenter ses recettes de 50 %, pour qu’elles passent de 65 à 100. C’est-à-dire doubler le barème de l’impôt sur à peu près tout, puisqu’une grande partie de l’assiette fiscale s’effondrera par fuite à l’étranger, dissimulation et activité au noir. Une TVA qui monte à 40 % et un impôt sur le revenu équivalent à quatre mois de salaire pour les classes moyennes, alléchant, non ?
Le péronisme, passeport
pour un naufrage
Un petit rappel :
corporatisme, clientélisme, nationalisme, interventionnisme tous azimuts de
l’État sont les ingrédients principaux de la doctrine péroniste appliquée la plupart du temps depuis l’arrivée au
pouvoir du général Juan Péron en 1946, et grâce à laquelle le pays, jadis parmi
les plus riches du monde, s’est terriblement appauvri (depuis dix ans le taux
d’Argentins vivant sous le seuil de pauvreté absolu ne tombe pas sous la barre
de 40 %), a été frappé par des vagues d’hyperinflation et des épisodes de
dictature militaire.
On compte juste deux courtes
parenthèses libérales, mal menées, dont une pilotée par un Carlos Menem… se
réclamant aussi de Péron. En 78 ans, on peut compter seulement une quinzaine
d’années, avec le parti de centre gauche UCR (au demeurant avec une forte
instabilité institutionnelle et aux relations ambiguës avec les Péronistes), où
cette doctrine, incarnée en divers courants, révolutionnaire, orthodoxe,
justicialiste, fédéral, n’inspirait pas les pouvoirs publics. On comprend mieux
le désastre.
Comme le montre l’échec du
président argentin, mouture libérale classique, Mauricio Macri (2015-2019),
l’art du libéralisme est délicat et tout d’exécution. Attention à ne pas mourir
guéri, suivant la formule bien connue. Même un libéral peut aussi objecter au
projet de Javier Milei de supprimer la banque centrale, s’interroger sur sa capacité à faire passer les lois
nécessaires au Congrès, où son parti est très minoritaire, et répugner à sa
personnalité emportée et colérique, ainsi que ses propos indulgents envers les
dictatures militaires, son opposition à l’avortement, curieuse pour un libéral,
et son appui aux… ventes d’organes. Quant à sa demande d’avoir les pleins
pouvoirs économiques pour un mois, elle peut paraître discutable, et on peut
légitimement ne pas être convaincu par sa réforme du divorce, ou du droit de
manifester (en revanche, le voir arracher les affichettes représentant les
bureaucraties inutiles en criant « afuera », ou brandir une
tronçonneuse pour symboliser ce qu’il compte faire aux dépenses pas
indispensables n’est pas déplaisant).
Mais son véritable crime, aux
yeux de la presse française, n’est pas là, plutôt d’être ultra-libéral, de la
variété qui dévore les nourrissons à la pleine lune, c’est-à-dire de vouloir
réduire le poids de l’Etat dans l’économie. Pour mieux le discréditer il est
d’ailleurs classé systématiquement à l’extrême droite, alors que l’extrême
droite est, par construction, antagoniste du libéralisme, a fortiori ultra : ce
dernier mise massivement sur les individus autonomes, tandis que l’extrême
droite considère ces derniers comme des pions au service d’un projet national.
Cette critique frénétique
émise par la presse française sans tenir compte du contexte argentin illustre
la prééminence du dogme social-étatiste. Cela rappelle un peu la détestation à
la limite de la névrose envers, jadis, Margaret Thatcher en oubliant qu’elle avait récupéré un pays sur le point de
passer sous la tutelle du Fonds monétaire international.
La plupart des commentateurs
pourront continuer à hurler au grand méchant loup ultra-méga libéral sans
d’autres risques qu’une immense déconvenue si jamais Javier Milei et son équipe
réussissent. La France n’est, elle, pas menacée par la banqueroute, puisque
notre système paternaliste que le monde entier nous envie mais se garde bien,
curieusement, d’imiter (où s’ajoutent même régulièrement des subventions pour rapiéçages de chaussettes) est financé par des emprunts
imperturbables. Avec une brillante série de cinquante déficits annuels
consécutifs, sans équivalent historique nulle part au monde. Tout va donc très
bien, Madame la marquise.
Bien sûr…
Titre et Texte: Yves
Bourdillon, Contrepoints,
12-1-2024
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