Chantal Rayes
Alors que des
manifestations sont prévues ce dimanche dans plus de 200 villes
pour exiger sa destitution, la présidente, ancienne protégée de Lula,
tente de mettre fin à son isolement politique.
Foto: Marcelino Ueslei/Reuters |
«Dilma, dehors !»
Les jeunes militants du Mouvement du Brésil libre (MBL) s’époumonent à un
carrefour. Au feu rouge, ils déroulent face aux automobilistes une large
banderole appelant à manifester, dimanche, pour le départ de la présidente
Dilma Rousseff (Parti des travailleurs). «Rendez-vous sur l’avenue Paulista
! Pleure, Petista ! [partisan du PT, ndlr]», scandent les apprentis
activistes. Un passant lève le pouce en signe d’assentiment, tandis qu’un homme
à moto, lui, fait «non» de la tête. Prévue dans plus de 200 villes, la
mobilisation a été convoquée sur les réseaux sociaux par des groupements de
droite, tels que le MBL. La gauche, pour sa part, défilera jeudi 20 août pour
dénoncer une «offensive putschiste».
«Appeler Dilma à
démissionner, c’est lui laisser le choix de rester, explique Renan Santos,
31 ans, cheville ouvrière du MBL. Il faut qu’elle soit destituée. Le PT
a érigé la corruption en méthode de gouvernement.» Contrairement aux deux
défilés précédents, celui-ci est appuyé par la principale formation
d’opposition, le Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB,
centre droit). En octobre, son président, Aécio Neves, a été battu
in extremis par Dilma Rousseff, réélue en principe pour un nouveau mandat
de quatre ans.
Récession oblige
Depuis, la protégée de
l’ex-président Lula s’est engluée dans la crise politique la plus grave depuis
la destitution (pour corruption) de Fernando Collor, en 1992. Deux partis ont
quitté sa majorité, lui infligeant défaite sur défaite au Parlement.«Sa
coalition profite de la vulnérabilité du gouvernement pour réclamer plus de
budgets en échange de son soutien», déplore le sociologue Wagner Iglecias.
Or, récession oblige, la presidenta est contrainte de tenir les cordons
de la bourse. Appelé à lui succéder en cas de destitution, son vice-président,
Michel Temer, du Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB), semble quant
à lui se voir déjà au palais du Planalto, à Brasília. Face à la crise, «il
faut que quelqu’un soit capable de rassembler les Brésiliens», a lâché,
le 5 août, Michel Temer, oubliant de citer la chef de l’Etat… Il a eu beau
l’assurer publiquement de son soutien, le mal était fait.
«Dilma Rousseff n’est
plus en mesure de gouverner, juge le politologue Jorge Zaverucha. Elle a
perdu toute crédibilité en mentant à la population pour se faire réélire.»
«La rigueur, c’est le
programme de mon rival néolibéral», répétait-elle, avant de se résoudre à des mesures
qui frappent aujourd’hui de plein fouet son électorat populaire. «Dilma
reprend à ces gens ce que Lula leur avait donné en améliorant leurs conditions
de vie, résume le politologue Rudá Ricci. D’où le mécontentement.»
A cela s’ajoute le
«Petrolão», scandale de corruption à Petrobras, le géant pétrolier national
pillé par le PT (dont le trésorier a été arrêté), le PMDB et un troisième parti
de la coalition. Des commissions auraient été prélevées sur des contrats
surfacturés afin de financer des campagnes électorales. Petrobras estime à
1,5 milliard d’euros les pertes découlant de ces malversations. Avec 8 %
d’opinions favorables, la Présidente est la plus impopulaire de la série
statistique, commencée en 1990. 66 % des sondés sont pour sa destitution.
«Impeachment»
«C’est sûr», Kely ira à la
manif. Sans risque d’être taxée d’«élite blanche», comme le fait le PT
pour disqualifier ses opposants. Kely est manucure. Noire, la trentaine. De
ceux que le «miracle» des années Lula a propulsés dans la petite classe
moyenne. Elle lâche un long rire amer. Oui, elle a voté Dilma et elle le
regrette. «Notre niveau de vie a dégringolé. Dilma doit partir, tout de
suite. Sinon, ça ne va pas s’arranger.»
Fernando, cadre moyen,
lui, n’ira pas sur l’avenue Paulista. «Pour l’instant, ce n’est pas possible
de destituer Dilma, car elle n’est pas directement en cause dans le Petrolão», justifie-t-il.
Les partisans de l’impeachment,
comme on dit ici (mise en accusation), misent donc désormais sur la Cour
des comptes, qui doit statuer sur les acrobaties comptables du
gouvernement pour camoufler le déficit budgétaire de 2014. Une pratique
passible de destitution. Parallèlement, la commission électorale doit
déterminer si la campagne de Dilma Rousseff et de Michel Temer, élus sur le
même ticket, a reçu des fonds détournés de Petrobras. Auquel cas, tous deux
seraient écartés et un nouveau scrutin convoqué.
Dilma Rousseff en
appelle à son passé de résistante sous la dictature militaire (1964-1985) pour
prévenir qu’elle ne se laissera pas faire. «Je ne tomberai pas, a-t-elle
martelé. Nul ne m’ôtera la légitimité du vote populaire.» En tout cas, à
Brasília, le vent a tourné. «La semaine dernière, l’ impeachment avait
le vent en poupe, reprend Wagner Iglecias. Aujourd’hui, il semble plus
plausible que Dilma reste au pouvoir, mais très affaiblie et contrainte de se
plier à un agenda de droite.»
Pour tenter de rompre
son isolement, elle a dû accepter le plan de relance controversé proposé par le
président du Sénat, Renan Calheiros (PMDB). Au menu, des couleuvres à avaler
pour la gauche, comme réduire le nombre de ministères et permettre l’activité
minière dans les réserves des Indiens. Dans son nouveau rôle de garant de la
stabilité, Calheiros devrait faire barrage à toute tentative de destitution. En
échange, dit la rumeur, il aurait obtenu son retrait de la liste des
personnalités impliquées dans le Petrolão et dont la mise en examen doit
bientôt être requise par le procureur général.
En attendant le bus,
Miriam, une quinquagénaire, résume le dilemme des Brésiliens. «On est déçus
par Dilma Rousseff mais en même temps, on se demande de quoi serait fait
l’après-Dilma.» Michel Temer ? «Son parti, le PMDB, est aussi corrompu
que le PT, répond Federico, gérant. Autant laisser Dilma saigner jusqu’à
la fin de son mandat, en 2018.»
Mise en garde
Dans la classe
politique, certains appréhendent une convulsion sociale si la gauche devait
chuter. Les mouvements de la société civile sont encore nombreux à soutenir le
PT. Le ton a également changé dans la presse nationale, férocement opposée au
parti de Lula. Dans un récent éditorial, le journal O Globo a
défendu la «stabilité institutionnelle». «En paralysant l’exécutif,
la crise politique aggrave la crise économique», met en garde le grand
quotidien de Rio. Porte-parole de la droite, l’hebdomadaire Veja va plus
loin. Son principal éditorialiste, Roberto Pompeu de Toledo, cite, entre autres
«raisons contre l’ impeachment, [...] l’absence de toute
initiative visant à assurer une transition en bon ordre, comme ce fut le cas
après le départ de Collor». «On n’écarte pas un président parce qu’il
est mauvais ou qu’on ne l’aime pas», ajoute Toledo. Pire, estime-il, la
chute de Dilma pourrait faire du PT une victime, ouvrant la voie à son retour
au pouvoir. Entendre : celui de Lula, spectre de l’opposition… «Tout
dépendra de l’ampleur des manifestations, pense pour sa part le politologue
Rudá Ricci. Si elles sont massives, il n’est pas exclu qu’un départ de Dilma
soit remis à l’ordre du jour, sous la pression de la rue.»
Chantal Rayes, Correspondante à
São Paulo, Libération,
15-8-2015
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