Avocat, membre du comité de rédaction de la revue Front populaire , Régis de Castelnau publie un réquisitoire accablant contre notre justice. Entretien.
Raphaël Stainville
C'est une somme impressionnante : le livre noir de notre justice, l'histoire de sa politisation, de son dévoiement. Des années Chirac au système Macron, Régis de Castelnau ne nous épargne rien. Avocat, il connaît son sujet. Il a assisté, estomaqué, à la manière dont les politiques, au détour des années 1990, ont mis en place, dans un souci d'expiation, les outils qui allaient permettre aux juges de les martyriser. Sa voix porte d'autant plus qu'il vient de la gauche. Il a été l'avocat du Parti communiste et de la CGT. Et s'il déclare à Valeurs actuelles n'avoir jamais voté à droite, Régis de Castelnau se fait un devoir de dénoncer l'instrumentalisation de la justice à des fins politiques, parce qu'elle se fait obligatoirement au détriment des libertés publiques et du respect des principes qui nous protègent tous.
Françoise Martres, l'ancienne pésidente du Syndicat de la magistrature. Photo: Nicolas Tavernier/REA |
Françoise Martres, ancienne
présidente du Syndicat de la magistrature, vient d'être condamnée
définitivement dans le cadre de l'affaire du “mur des cons”. De quoi cette
affaire est-elle le nom et que révèle-t-elle de l'état de notre justice ?
L'affaire du “mur des cons” a été la démonstration que la justice c'est-à-dire
en fait le corps des magistrats, ceux qui rendent cette justice et la
fabriquent avait renoncé à l'impartialité, qui est pourtant sa raison d'être.
C'est paradoxal. La magistrature s'est émancipée du pouvoir politique en
réclamant son indépendance, mais en oubliant que cette indépendance n'est que
le moyen de l'impartialité. Le juge doit être impartial. Or, aujourd'hui, cette
justice est devenue partiale et l'affaire du “mur des cons” révèle que cette
partialité est revendiquée. En cela, cette affaire est déjà extraordinaire.
Le scandale suscité par la révélation de l'existence de ce “mur des cons” au sein même d'un local parisien du Syndicat de la magistrature ne pouvait manquer d'entraîner des réactions. Christiane Taubira, alors garde des Sceaux, a logiquement saisi le Conseil supérieur de la magistrature, puisque nous étions manifestement en présence de magistrats qui revendiquaient une partialité qui mettait à bas leur devoir de réserve impératif. Se posait la question de leur responsabilité professionnelle. Le Conseil supérieur de la magistrature a dit “circulez, il n'y a rien à voir”, et cette affaire, dans sa dimension professionnelle, a été évacuée. Qu'un scandale pareil accouche d'une condamnation en trompe-l'œil ajoute au scandale. La seule solution digne d'une République comme la nôtre aurait été que les magistrats mis en cause dans cette affaire soient poursuivis devant les instances disciplinaires et qu'ils soient sanctionnés. La condamnation de Françoise Martres est infinitésimale et tardive.
Régis de Castelnau |
Vous défendez l'idée que la
magistrature s'est mise au service du pouvoir macronien. Comment expliquez-vous
dès lors les poursuites engagées à l'encontre d'Éric Dupond-Moretti
? Cette situation n'est-elle pas paradoxale ?
Ce n'est pas un paradoxe. Depuis trente ans, on assiste à une émancipation de
la magistrature vis-à-vis du pouvoir politique exécutif et législatif. Mais les
magistrats l'ont fait, non pas pour avoir un statut d'impartialité
inattaquable, mais pour disposer d'une autonomie politique. Lorsque je défends
l'idée que les magistrats se sont mis au service d'Emmanuel Macron, je ne dis
pas qu'Emmanuel Macron leur a donné des ordres : le corps des magistrats s'est
rallié à Emmanuel Macron. Il l'a choisi pour être président de la République,
et je pèse mes mots en le disant. Au mois de janvier 2017, François Fillon est
à 24 % dans les sondages et Macron à 16 %. En avril, les courbes se sont
croisées après une procédure accélérée et un “raid judiciaire” que je n'ai
jamais vu sous cette forme dans ma carrière d'avocat. Et je défie aujourd'hui
tous les avocats français et tous les magistrats de me donner un exemple d'une
affaire qui se serait passée comme ça. Ce ne serait pas vrai.
Aujourd'hui, on se retrouve
face à une situation un peu particulière. Emmanuel Macron a décidé je me suis
beaucoup interrogé sur sa motivation, mais je me demande s'il n'est pas
nécessaire d'être le plus simple possible de faire un coup : nommer Gérald Darmanin
Place Beauvau pour marquer à droite et flatter la police, et Éric
Dupond-Moretti pour remettre un peu d'ordre dans la justice. Il se trouve que
ce dernier est détesté par la magistrature. Les magistrats se sont mis dans la
tête de se débarrasser d'Éric Dupond-Moretti. Ils ont avancé un certain nombre
de griefs et ont fini par venir comme par hasard sur le terrain judiciaire,
puisque c'est le leur, et ils ont lancé une offensive judiciaire.
Cette procédure est inepte,
selon vous ?
Elle n'est pas inepte, elle est habile, quand bien même elle me semble
irrecevable. Cette offensive judiciaire est d'abord médiatique. Elle est
destinée à mettre Éric Dupond-Moretti en difficulté et à mettre Emmanuel Macron
en difficulté.
Quel est le sens de cette
offensive judiciaire et que manifeste-t-elle ?
La magistrature a choisi Emmanuel Macron. Elle l'a protégé et a tapé à bras
raccourcis sur les “gilets jaunes” quand il le lui demandait. Le président
pouvait légitimement se penser tranquille et libre de nommer Éric Dupond-Moretti.
Mauvaise pioche. La magistrature se cabre, se rebelle. Elle n'était pas soumise
à Emmanuel Macron, elle s'était mise à son service, ce qui n'est pas du tout la
même chose. Et là, elle lui envoie un message : “Monsieur le président, vous avez
deux solutions, soit vous vous débarrassez d'Éric Dupond-Moretti, soit vous le
gardez, et là, Monsieur le président, on va vous mettre la misère. ”
Que Sébastien Lecornu, le
ministre des Outre-mer, soit visé dernièrement par une enquête du Parquet
national financier (PNF), que Didier Lallement, le préfet de police de Paris,
soit poursuivi pour faux témoignage, ce sont autant de petits messages adressés
au chef de l'État. Les magistrats ont tout ce qu'il leur faut. Ajoutez à cela
Alexis Kohler, le secrétaire général de l'Élysée, soupçonné de prises illégales
d'intérêt, Richard Ferrand, le président de l'Assemblée nationale, mis en
examen, tout comme François Bayrou, Sylvie Goulard, Alexandre Benalla… Toutes
ces affaires dorment paisiblement. Jean-Paul Delevoye est sous le coup d'une
enquête préliminaire. Le pénal est à tous les étages, mais il ne se passe rien.
Les magistrats ont en magasin tout ce qu'il faut et ils ont prouvé par le passé
qu'ils étaient tout à fait prêts à s'en servir.
C'est effectivement
inquiétant…
La situation est d'autant plus extraordinaire que nous sommes en année
préélectorale. Il y a deux candidats déjà déclarés Jean-Luc Mélenchon et Marine
Le Pensous le coup de procédures pénales qui végètent. Est-ce que la
magistrature ne va pas avoir la tentation dans cette situation de réintervenir,
comme elle l'a fait pour l'affaire Fillon ?
C'est en cela que les ennuis
d'Éric Dupond-Moretti, loin d'être un paradoxe, illustrent à merveille la
situation judiciaire française. Cette affaire est le symptôme de cette
politisation du corps. Nous avons une justice, un corps des magistrats, qui
défend ses intérêts de classe et de corps. C'est un système très homogène, très
corporatiste. Ils savent se mettre au service des pouvoirs avec lesquels ils
sont en accord, mais ils peuvent tout à fait affronter les pouvoirs avec
lesquels ils ne sont pas d'accord. Admettons que, en 2022, il y ait une
alternance. Le nouveau pouvoir ne sera pas à l'abri de l'expression des
syndicats de la magistrature, de l'Union syndicale de la magistrature, etc.
Vous savez, dans le code pénal, il y a tout ce qu'il faut. Richelieu disait
“donnez-moi dix lignes de la main d'un homme et en deux heures je trouverai de
quoi le faire pendre”. Ce risque existe.
C'est tout l'objet de votre
livre. Vous racontez l'histoire d'un dévoiement, la politisation progressive de
la justice ces trente dernières années…
Cette évolution a abouti à une situation inacceptable. Le pouvoir
judiciaire « l'autorité judiciaire », pour parler comme Éric
Zemmour a aujourd'hui une dimension et une force politiques qu'il ne devrait
pas avoir. Contrairement au pouvoir législatif et au pouvoir exécutif, les
juges, pas plus que les magistrats, n'ont été choisis par les citoyens. Ils ont
réussi le concours de l'École nationale de la magistrature, y sont restés trois
ans et sont sortis de cette école à 25 ans avec un permis de juger. Moi, je
veux bien, mais je souhaiterais qu'ils gardent leurs opinions politiques bien
au fond de leur poche lorsqu'ils s'assoient dans un prétoire. Or, ce n'est pas
le cas. On l'a vu avec le “mur des cons”. Cela s'exprime aussi par le biais de
ces deux syndicats majoritaires, qui passent leur temps à pondre des
communiqués où ils critiquent l'exécutif et le législatif, qui produisent des
normes. Ils violent leur devoir de réserve tous les jours.
En quoi les alternances que
nous avons connues ont-elles favorisé la politisation de la justice ?
Le corps des magistrats est sociologiquement typé. Il est plutôt gauche
moyenne, plutôt culturellement lecteur de Télérama, Libération,
ils sont plutôt de cette espèce de centre gauche. Très habilement, la gauche va
se servir de cette situation. Lorsqu'il y a alternance, lorsqu'un courant
arrive au pouvoir, il a besoin de compétences. Il s'empresse de piocher au
Conseil d'État des conseillers d'État de gauche si on est de gauche, de droite
si on est de droite. Il en est de même dans la magistrature. Le problème, c'est
que la droite, dans la magistrature, n'est pas organisée. Si bien que les
organisations syndicales de magistrats et le Syndicat de la magistrature en
particulier deviennent des fournisseurs de compétences à la gauche. Lorsqu'il y
a alternance, ces gens-là vont dans la politique. Ils deviennent maire de Reims
pour Madame Hazan, député puis sénateur pour Jean-Pierre Michel, le premier
président du Syndicat de la magistrature. On les retrouve dans le champ de la
politique active. Mais la carrière de magistrat n'est pas le support d'un
lancement pour une carrière politique. N'est-ce pas, Madame Joly… Il y a ceux
qui partent faire de la politique et vont battre monnaie avec la gloire qu'ils
ont eue dans l'exercice de leur métier de magistrat, et ceux qui retournent
dans le métier, bénéficiant le plus souvent d'une promotion. On se retrouve
avec une magistrature qui, dans la haute fonction judiciaire, voit une
surreprésentation du Parti socialiste. Je pèse mes mots. Ils ne sont pas
membres du Parti socialiste, mais ils en sont proches. Il y a des connivences.
Si bien qu'on assiste à une gauchisation impressionnante du haut clergé
judiciaire. Ces gens sont plus néolibéraux que beaucoup de gens de droite. Mais
ce sont les amis politiques de François Hollande, de Ségolène Royal, de Martine
Aubry. Ils sont devenus les amis politiques d'Emmanuel Macron, qui probablement
a négligé cette proximité.
Sous François Hollande
justement, on assiste à une sorte d'accélération de cette instrumentalisation
de la justice…
L'affaire Cahuzac allait offrir une formidable opportunité à François Hollande
de parachever le système. En prétendant mettre en place les outils pour imposer
à la classe politique une morale publique irréprochable, le président d'alors,
qui se sait élu par défaut Nicolas Sarkozy a été battu plus que François
Hollande n'a été élu, se dote, avec notamment la création du Parquet national
financier et de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, d'un
dispositif national complet, facile à contrôler, à qui l'on va confier une
mission directement politique de protection d'un pouvoir impopulaire et
minoritaire… L'outil global est formidable. Il permet tout autant la
disqualification de François Fillon que la protection des amis. Qui se souvient
que Kader Arif, ancien ministre démissionnaire de François Hollande, a été
l'objet d'une enquête, il y a sept ans. Son dossier dort paisiblement entre le
PNF et le pôle d'instruction financier. Je trouve ça assez savoureux. On le
voit : la justice instrumentalise pour poursuivre et instrumentalise pour
protéger. Emmanuel Macron va compléter le dispositif en se débrouillant pour
faire nommer Rémy Heitz à la tête du Parquet de Paris, au terme d'un processus
inédit.
Propos recueillis par Raphaël Stainville, Valeurs Actuelles, nº 4393, du 4 au 10 février 2021
Toda e qualquer semelhança com o STF é mera coincidência.
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