L'ascension rapide du chef de file de la droite populiste ne plaît pas à tout le monde. La gauche demande désormais la dissolution de son parti Chega. Portrait du champion de l'antisystème portugais
Antoine Colonna
Deux Mercedes noires, trois gardes du corps. C'est le dispositif habituel de campagne pour rendre visite à des partisans d'un bout à l'autre du pays. Ce jour-là, à Setúbal, militants d'extrême gauche, de gauche (portant des pancartes soutenant la candidate socialiste, Ana Gomes) et Roms sont eux aussi présents pour accueillir André Ventura [photo], candidat à l'élection présidentielle de janvier dernier.
Foto: Patrícia de Melo Moreira/AFP |
Les insultes habituelles
pleuvent : « Fasciste ! Raciste ! », et rapidement ce sont des
bouteilles de verre, des objets tranchants et des pierres qui s'abattent sur le
chef du parti Chega! (“Ça suffit !”). Un journaliste de la télévision est
touché au genou. Les forces de l'ordre sont obligées de charger, matraque à la
main, pour disperser les assaillants. Une scène devenue presque fréquente
depuis qu'André Ventura a commencé à occuper, avec un discours sciemment
populiste, l'espace politique portugais, en général plutôt calme. Dans la rue,
il ne rencontre pas que des opposants tant s'en faut. Ainsi, il a fortement
inquiété la gauche, en étant acclamé par plusieurs milliers de policiers qui
manifestaient devant l'Assemblée de la République pour obtenir plus de moyens.
Et justement, c'est cette même
gauche qui veut aujourd'hui tuer le mouvement dans l'œuf. Arrivée deuxième à la
présidentielle du 24 janvier dernier, Ana Gomes, ancienne diplomate et députée
européenne, avait d'ailleurs promis de dissoudre Chega si elle était élue
présidente. Depuis, elle ne désarme pas, ayant déposé une demande en 40 points
devant le bureau du procureur général pour arriver à ses fins. Elle veut
également que la Cour constitutionnelle se prononce contre cette formation
qu'elle considère elle aussi comme raciste et fasciste.
Mouvement nostalgique ?
Gomes exige également l'ouverture d'enquêtes sur l'origine des financements de Chega et sur des violences verbales ou physiques attribuées à ses militants. Non contente de porter ses desiderata au sommet de l'État portugais qu'elle n'a pas atteint, Gomes fait également part de ses grands desseins d'assainissement de la vie politique de son pays aux Européens. La socialiste a écrit dans ce sens à la présidente de la Commission européenne, au président du Parlement européen, au directeur de l'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne, à la secrétaire générale du Conseil de l'Europe, au secrétaire général des Nations unies et aux administrateurs d'Europol et d'Eurojust…
Parallèlement à cette attaque
en règle, Chega doit désamorcer une autre offensive plus subtile venue de la
droite. Ventura a ainsi dû protester contre la commande d'un rapport sur
l'extrême droite européenne par le gouvernement, dans lequel il est visé. Au
chapitre consacré au Portugal, rédigé par deux journalistes portugais, son
parti est décrit comme un mouvement nostalgique de la dictature de l' Estado
novo (l'“État nouveau”) de Salazar. Le rapport s'inquiète notamment
de « l'infiltration de l'extrême droite dans les manifestations
réclamant de meilleures conditions de vie, comme auprès des petits et moyens
entrepreneurs. Une action qui ne cesse de s'amplifier alors que la crise
sociale et économique s'aggrave. On ne peut dès lors exclure la possibilité
d'une radicalisation sous toutes ses formes de la contestation de
l'extrême droite portugaise ».
De fait, Chega est la première
formation de la droite radicale à percer depuis la fin du régime d'António de
Oliveira Salazar, que son éphémère successeur, Marcelo Caetano, n'arrivera pas
à maintenir face à la “révolution des œillets” de 1974. Pourtant, la filiation
entre le fondateur de l' Estado novo et Ventura n'est pas si
évidente, comme nous l'explique Tigrane Yégavian, chercheur au Cf2R et
spécialiste du Portugal contemporain : « Ventura n'est pas un nouveau
Salazar dans la mesure où il ne revendique pas son héritage politique.
Il considère que Salazar porte une responsabilité dans le retard socio-
économique du Portugal. Ventura se distingue également du PNR, le parti
d'extrême droite portugais, xénophobe et homophobe, qui restait jusqu'à présent
résiduel. Ce qui ne l'empêche pas dans sa communication de développer un
discours messianique. Pendant la campagne présidentielle, il a fait plusieurs
fois allusion à la Vierge de Fátima, affirmant qu'il se sentait investi par
cette dernière dans sa mission. »
Ventura inquiète donc la
“partitocratie” portugaise. En 2019, il crée Chega presque seul. Pour les
élections européennes de la même année, il rejoint la coalition Basta! qui
n'obtiendra aucun siège. C'est le mois d'octobre qui marque une première pierre
blanche dans sa carrière politique. Il gagne un siège, le sien, pour la
circonscription de Lisbonne. Avec 11,9 % des voix à la présidentielle, il
multiplie presque par 10 son score législatif (1,29 %), même s'il ne lui manque
guère qu'un petit pour cent pour dépasser son adversaire socialiste qui arrive
donc - de peu - à la seconde place avec 13 %. Il est en revanche encore bien
loin derrière le président sortant, Marcelo Rebelo de Sousa, 72 ans, qui
l'emporte dès le premier tour avec 60,7 % des voix, porteur de l'image
rassurante du centre droit.
Face au système, André
Ventura, 38 ans, un juriste de formation aux costumes convenablement taillés et
à la barbe étudiée, surprend le Portugal. Remplissant d'espoir une partie de
l'électorat, horrifiant l'autre. Car Ventura, selon la méthodologie classique
du populisme, a opté pour “cliver” l'opinion plutôt que de se poser en
rassembleur. Issu de la classe moyenne de Sintra, son père possède une boutique
de vélos et sa mère est secrétaire, le jeune André va grandir dans une famille
où on ne lui impose ni une politique ni une religion. “Il choisira de
lui-même”, disent alors ses parents. Et de fait, à l'âge de 14 ans, André
décide de devenir pleinement catholique. Il demande le baptême, est confirmé en
même temps et rentre même au petit séminaire de Penafirme, avec la ferme
intention de devenir prêtre. Le printemps d'un amour de jeunesse lui fera
changer d'avis.
Il entame des études de droit
qui le mèneront en Irlande. De retour à Lisbonne, commençant à se faire un nom,
il devient pour quelque temps journaliste sportif, commentant avec fougue les
matchs de son équipe favorite, le Benfica Lisbonne, le club le plus populaire
du pays. Il écrira trois romans, dont un dernier sur la Palestine que son
éditeur refusera de publier, anticipant une collection d'ennuis.
En 2016, Ventura est déjà en
politique, gravissant patiemment les échelons de la principale formation de
centre droit, le Parti social-démocrate (PSD). C'est cette même année, juste
après l'attentat de Nice, qu'il se fait remarquer en soulignant la nécessité
de « réduire drastiquement la présence musulmane en Europe ».
L'année suivante, il sera candidat du PSD aux municipales.
Mais c'est bien sûr une fois
élu député qu'il va utiliser son siège à l'Assemblée de la République comme un
poste de tir, n'épargnant aucune cartouche à la gauche et au gouvernement.
L'une de ses interventions les plus controversées, et donc les plus célèbres,
l'a opposé à une députée originaire de Guinée-Bissau, une ancienne colonie
portugaise : en janvier 2020, Joacine Katar Moreira monte à la tribune de
l'Assemblée. Elle réclame la restitution par l'État et les musées nationaux des
œuvres du patrimoine issues de l'ancien empire. Ni une ni deux, Ventura prend
le micro et demande qu'elle soit également restituée à son pays d'origine !
Tollé général qui propulsera le député en tête de tous les journaux et
émissions de débat politique pour plusieurs jours.
Celui qui a rejoint le parti
européen Identité et Démocratie (ID), notamment constitué par le Rassemblement
national français et la Ligue italienne, n'hésite donc pas à provoquer,
détonnant dans la classe politique traditionnelle. Au début de l'année, Marine
Le Pen avait même fait le déplacement à Lisbonne pour appuyer la candidature de
son ami André Ventura. Grâce au style qu'il cultive, une partie importante de
la campagne présidentielle a été phagocytée par les débats portant sur sa
personne.
Autre élément de sa
personnalité, sa capacité à s'adresser aux classes populaires, ce qui, pour
Tigrane Yégavian, explique son succès : « Il a donné un coup de vieux
au centre droit et à la droite traditionnelle en allant siphonner les voix du
parti de droite CDS-PP mais aussi du Parti communiste. Les derniers scrutins
montrent la percée de Chega dans d'anciens bastions communistes au Sud et dans
l'intérieur des terres, autant de zones demeurées à la marge du développement
et frappées de plein fouet par l'exode rural. »
Et de fait, l'économie
portugaise n'est pas au mieux de sa forme, avec des fondamentaux qui, comme
dans un certain nombre d'autres pays européens, souffrent beaucoup de la crise
de la Covid, alors que le Portugal a été obligé de se reconfiner en janvier.
Avec ses 11,9 % à la présidentielle, Ventura a fait une percée, mais qui est
bien au-delà d'un épiphénomène, confirme Yégavian : « Chega a
effectivement un potentiel réel et André Ventura a fait preuve de sens
politique. En peu de temps, il s'est montré un acteur incontournable. Le PSD de
centre droit (son ancien parti) a été obligé de faire alliance avec lui pour
gagner les élections régionales aux Açores où Chega a obtenu, en octobre 2020,
deux députés et pu constituer un gouvernement de coalition dans la région
autonome de l'archipel atlantique. Ce faisant, Chega est devenu un partenaire légitime.
Il lui faudra encore arrondir certains angles de son discours, notamment
vis-à-vis de la communauté tsigane ou encore de son ultralibéralisme. »
Et de fait, si la gauche
échoue dans ses plans destinés à faire taire André Ventura, Chega pourrait bien
confirmer son installation dans le paysage politique dès les prochaines
municipales, prévues dans à peine six mois.
Titre et Texte: Antoine
Colonna, Valeurs Actuelles, 27-2-2021, 11h
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