Sonya Zadig
J’entends déjà certains se
demander « mais qui est-elle donc pour parler ainsi? d’où parle-t-elle? »
Je leur répondrai alors à la manière d’Emily Dickinson: « Je ne suis personne,
qui êtes-vous? » Oui, qui êtes-vous pour vouloir me bâillonner ainsi? Quant au
lieu d’où je parle, justement, je parle depuis ma soumission, depuis ma langue
arabe et cela m’autorise, n’en déplaise à ceux qui me trouveraient
islamiquement incorrecte et voudraient me faire taire.
Je suis une femme née en terre
d’islam, une femme qui connaît l’islam de l’intérieur. Je connais sa musique,
je connais sa radicalité et son regard parfois haineux lorsqu’on s’en éloigne.
L’islam n’est pas seulement une religion, c’eût été simple, l’islam est aussi
une identité et une langue. Une culture qui règle tout, qui vous dicte tout,
depuis votre façon de vous habiller, de vous laver, de forniquer, de vous
marier, de divorcer, de vivre et surtout de mourir. L’islam est l’origine et la
fin, l’islam est la vérité.
Je suis née dans cette langue,
je l’ai chantée, elle m’a dessinée et façonnée. Celles et ceux qui prétendent
connaître l’islam sans parler la langue arabe ne peuvent en saisir le sens
profond. Le voudraient-ils qu’ils ne le pourraient pas!
J’ai appris à mes dépends et au bout d’une longue analyse que l’islam n’est pas une religion dont on peut se défaire aisément et en toute liberté. Lorsque l’on a séjourné assez longtemps dans ce bain discursif comme ce fut mon cas, les traces ne s’effacent plus mais s’incarnent. C’est une jouissance dans laquelle j’ai été prise malgré moi, malgré l’exil, malgré l’autobannissement, il lui arrive encore de parler en moi à mon corps défendant.
Le discours de l’islam peut
être une poétique très séduisante puisque l’oumma est une matrice
maternante. Son portage est indéniable et peut captiver ceux qui s’en
approchent, à condition de renoncer à toute forme de subjectivité. Au sein de
l’oumma, vous êtes un corps parmi d’autres. L’islam est un vade-mecum,
il vous prend en charge du berceau jusqu’au tombeau. Plus besoin de penser par
vous-même, les préceptes de Dieu et la Sîra se chargent de tout.
Je suis bien placée pour
affirmer que l’on ne peut pas s’en sortir indemne. Lorsque comme moi vous avez
choisi de faire défection, de réfuter le dogme, alors il vous faut payer un
prix. Pas besoin d’une fatwa pour cela, je m’en suis chargée moi-même!
Mon pretium doloris est mon corps de femme parce que la soumission «
islam » s’y est inscrite.
J’explique longuement dans mon
livre Soumise qu’il m’a fallu une vie pour comprendre que l’islam
m’agitait exactement comme l’inconscient nous agite tous. Nous ne sommes pas
maîtres chez soi s’agissant de l’inconscient, j’ose énoncer qu’il en va de même
pour l’islam ; une fois installé, il est très difficile de s’en extraire
car il agit en souterrain et nous détermine ontologiquement.
J’ai quitté ma terre natale il
y a plus de trente ans, je me suis exilée pour survivre, je me suis autobannie
car j’ai refusé de me soumettre à ma condition de femme vouée exclusivement au
mariage et à la maternité. J’ai tout rejeté en bloc, j’ai refusé jusqu’à mon
nom mais, malgré ma rébellion, quelque chose a résisté, quelque chose m’a
ramenée à mon origine première et j’ai compris que j’étais hélas soumise à ma
soumission, qu’elle s’était logée dans mon corps, un corps que j’ai découvert
tout entier islamisé par une langue qui m’enserre et qui m’empêche d’être.
Je ne reviendrai pas ici sur
mon histoire, même si mon seul corpus de recherche demeure celui-là. Je ne
raconte pas mon histoire dans ce livre pour le plaisir de m’exhiber, je parle
de moi pour expliquer ce que j’en sais dans ce que j’en dis et je sais que les
signifiants islamiques que l’on m’a tatoués sur le corps sont à demeure. Je
sais que les histoires d’enfer que l’on raconte aux enfants en Islamie ne
peuvent que faire trauma, je sais le rapport de l’islam à l’altérité.
Je connais la haine
fondamentale que le Coran a inscrite d’une façon pérenne envers les juifs, je
connais la place servile des femmes mais je sais aussi que ce sont les femmes
qui ouvriront la voie d’une possible modernité et qu’elles seules pourraient
faire reculer l’obscurité et nous emmener enfin vers les lumières. J’entends
des balbutiements ici et là. Des Saoudiennes, des Iraniennes, des Tunisiennes,
des Afghanes, des Libanaises arrachent le voile dans un cri de liberté et au
risque de leur vie. Cela me réjouit et m’oblige.
Je m’étonne pourtant du recul de certaines musulmanes de France. Pourquoi prennent-elles le chemin inverse? Pourquoi se voile-t-on dans le pays des Lumières alors même que les femmes musulmanes du monde arabo-musulman ne demandent qu’à se dévoiler? Je laisse la question en suspens, l’avenir nous dira ce qui dans le discours actuel autorise cette régression.
Comment peut-on nous faire croire
que le voilement de la femme est un acte de liberté? Comment peut-on à ce point
accepter de pervertir le sens des mots? Quelle est cette novlangue qui nous
accule au silence?
Quelle est cette nouvelle
hydre que l’on appelle l’intersectionnalité? Quelle est cette absurdité de voir
des LGBTQ défiler côte à côte avec les femmes voilées et les barbus en kamis?
Un transactivisme, ai-je entendu… Ne savent-ils pas que le texte sacré condamne
sans appel les homosexuels et les voue aux enfers?
Être homosexuel en Islamie
condamne à mort. Comment peut-on faire fi à ce point des évidences, écrites
noir sur blanc qui plus est ? Il n’est pas besoin d’aller très loin pour
le constater, en Tunisie les homosexuels subissent aujourd’hui, et au moment
même où j’écris, des examens rectaux et sont jetés en prison pour suspicion de
pédérastie. Beaucoup demandent l’asile politique à la France, allez leur dire
qu’ils feront bientôt alliance avec ceux qui les ont chassés de leur terre!
Les discours utopistes sur l’islam sont au mieux de la naïveté au pire
de la compromission
Notre pays se divise.
J’entends sonner l’hallali. Les alliances « contre nature » se multiplient. On
crie au scandale lorsque l’on ose parler d’islamo-gauchisme à l’université, on
ergote sur l’origine du concept, sur sa scientificité alors qu’il s’agit
simplement de dire ce qu’il en est. Naguère l’extrême gauche s’alliait avec les
islamistes autour d’une cause commune, la Palestine aux Arabes et la
destruction pure et simple de l’État d’Israël. L’islamo-gauchisme est
aujourd’hui une judéophobie qui ne dit pas son nom. On s’offusque devant des
vérités aisément démontrables, le discours islamo-gauchiste est, en France en
2021, le discours dominant. C’est clair, c’est limpide et non réfutable mais
nous sommes hélas entrés dans l’ère de la post-vérité et on nie le réel même
s’il est là, patent, immense.
Nous n’avons pas assez de
recul pour analyser vraiment la situation, mais quelque chose de grave nous est
collectivement arrivé. Nous sommes en crise identitaire, nous ne savons plus
qui nous sommes ni à quel saint nous vouer. Tout est devenu fluide, le genre,
la race, les clivages politiques, les femmes, la vérité historique, tout est
remis en question. Le discours scientifique est devenu lui-même une tribune à
opinions, y compris la médecine.
Les discours utopistes sur
l’islam et sur l’oppression des musulmans de France sont au mieux de la naïveté
au pire de la compromission. L’oppression des musulmans de France est un mythe
puisque c’est la laïcité qui est compromise. L’islam, lui, coule des jours
heureux sous soumise à la bannière de la République. On cherche à le
comprendre, à l’interpréter, à le border et même à l’excuser par des
élucubrations pseudomatérialistes. La laïcité, elle, est devenue une symphonie
funèbre qui se répand comme une coulée de miel lors des enterrements de
journalistes ou de professeurs. Mais s’en saisir en dehors des rituels funéraires
est comme d’habitude renvoyé d’un revers de discours à l’islamophobie et au
fascisme. Drôle de tour de force langagier auquel nous assistons aujourd’hui,
dans lequel les laïcs sont devenus les nouveaux fascistes et les femmes libres
et non voilées de belles putains.
Tout est contesté, y compris
le savoir. J’ai l’impression de devenir un personnage de George Orwell tant la
subversion s’est installée au cœur même du langage. Une novlangue devenue
vernaculaire, une novlangue que je refuse de parler. Je refuse de penser que la
soumission et la réification de la femme dans l’islam soient un consentement
éclairé, je refuse d’accepter qu’un texte contient la vérité vraie et que tous
les nonmusulmans sont soit des dhimmis, soit des cadavres en sursis, je
refuse de m’allier à cette illusion nouvelle qui consiste à nous faire croire
que l’islam est en crise et qu’il va se réformer. La violence islamique est
inhérente aux textes, peu m’importent les allégations contraires.
L’islamisme a trouvé une
stratégie, son entrisme grandissant est criant, son alliance transversale avec
les opprimés de classe et de genre est très habile. En effet l’ennemi de mon
ennemi est mon ami, mais ce sont des alliances de raison car rien ne peut
fondamentalement lier un musulman à un transsexuel ou à une lesbienne, le texte
sacré n’autorise pas ces alliances sauf peut-être à des visées de takia.
Le musulman est-il vraiment
oppressé pour sa pratique religieuse dans la France d’aujourd’hui? Je ne le
crois pas, les enfants français d’origine musulmane ne sont plus rejetés et
ostracisés comme ils ont pu l’être dans les années soixante-dix voire
quatre-vingt. Ils sont même devenus dans certains collèges et lycées «
populaires ». La langue arabe s’est entrelacée à la langue de Molière, aujourd’hui
on a le seum, on kiffe, on dit hamdoulah, inch’Allah,
wallah, le signifiant Allah est déjà là et personne ne peut le
contester.
Pendant que l’on s’étripe par
débats et articles interposés, le projet islamiste continue son indéniable
progression dans les esprits de nos jeunes, pas seulement les jeunes de
banlieue, mais les jeunes Français en général. Cela fait sourire lorsque de
jeunes Français blancs prennent l’accent « kaïra » des cités mais
pendant ce temps nous fermons les yeux sur l’installation autoritariste et
hégémoniste du discours islamiquement correct qui rogne petit à petit sur les
autres discours. On nous parle d’islam modéré, d’islam non violent alors qu’il
n’y qu’un islam, comme l’a si bien dit Recep Tayyip Erdoğan. L’islam est avant
tout un projet politique, un projet qui refuse l’altérité et voudrait dans son
essence même islamiser le monde.
Certains réformistes de
l’islam, et il en existe peu mais ils ont le mérite d’exister, appellent à
secondariser la charia, à accepter l’équité homme-femme, à accepter que l’on
puisse se dire apostat sans risquer la peine de mort, certains demandent à ce
que les femmes musulmanes puissent se marier avec un non-musulman et transmettre
la nationalité d’origine à leurs enfants, mais ces réformistes sont invités à
se taire et leurs voix demeurent extrêmement minoritaires.
Il n’est surtout pas question
d’interdire l’islam et les musulmans, il est question de s’unir sous la
bannière de la République une et indivisible. Il est question de chasser le
discours religieux du politique et de le remettre dans l’intime et le
spirituel, mais je crains hélas qu’il soit trop tard. Le rapport de force est
inversé, nous craignons tous tout bas une guerre civile et nous disons tous
tout haut que tout est encore possible. La peur a déjà gagné nos cœurs et
paralyse nos pensées. Or sans pensée point de liberté. Mon combat est avant
tout un combat pour la laïcité, pour les femmes et les musulmanes, en particulier
celles qui souffrent de ne pas pouvoir se débarrasser de ce voile qui les
bâillonne et les réduit. Je pense à toutes ces femmes qui subissent le diktat
d’une religion qui les relègue à n’être que des citoyens de seconde zone, les
femmes sont des dhimmis à l’intérieur de l’oumma, elles payent de
leur corps pour obtenir protection. Prêtez l’oreille à la nouvelle musique qui
se joue dans la langue, approchez-vous des murmures de nos jeunes filles, et
vous verrez que la soumission pour tous est déjà en marche.
Titre et Texte: Sonya Zadig,
Revue des Deux Mondes, mai-juin 2021
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