quinta-feira, 27 de maio de 2021

Soumise à mon corps défendant

Sonya Zadig

J’ai commis Soumise par nécessité, par urgence subjective et aussi par gratitude envers mon pays d’adoption, la France. « Soumise » n’est rien d’autre que la traduction littérale de « musulmane » en arabe. Dans le contexte actuel de notre pays, mon livre devient un cri de détresse et une mise en demeure que j’adresse à nos gouvernants. Ne voyez-vous pas que notre maison brûle? Ne voyez-vous pas que pendant que nous ergotons les uns et les autres sur la décence ou la légitimité de l’emploi de tel ou tel mot, nos esprits se voilent et s’embrument? J’entends déjà certains s’indigner de mes propos, mais Dieu merci je ne suis pas un personnage public et ma démission ne fera pas l’objet d’une pétition.

J’entends déjà certains se demander « mais qui est-elle donc pour parler ainsi? d’où parle-t-elle? » Je leur répondrai alors à la manière d’Emily Dickinson: « Je ne suis personne, qui êtes-vous? » Oui, qui êtes-vous pour vouloir me bâillonner ainsi? Quant au lieu d’où je parle, justement, je parle depuis ma soumission, depuis ma langue arabe et cela m’autorise, n’en déplaise à ceux qui me trouveraient islamiquement incorrecte et voudraient me faire taire.

Je suis une femme née en terre d’islam, une femme qui connaît l’islam de l’intérieur. Je connais sa musique, je connais sa radicalité et son regard parfois haineux lorsqu’on s’en éloigne. L’islam n’est pas seulement une religion, c’eût été simple, l’islam est aussi une identité et une langue. Une culture qui règle tout, qui vous dicte tout, depuis votre façon de vous habiller, de vous laver, de forniquer, de vous marier, de divorcer, de vivre et surtout de mourir. L’islam est l’origine et la fin, l’islam est la vérité.

Je suis née dans cette langue, je l’ai chantée, elle m’a dessinée et façonnée. Celles et ceux qui prétendent connaître l’islam sans parler la langue arabe ne peuvent en saisir le sens profond. Le voudraient-ils qu’ils ne le pourraient pas!

J’ai appris à mes dépends et au bout d’une longue analyse que l’islam n’est pas une religion dont on peut se défaire aisément et en toute liberté. Lorsque l’on a séjourné assez longtemps dans ce bain discursif comme ce fut mon cas, les traces ne s’effacent plus mais s’incarnent. C’est une jouissance dans laquelle j’ai été prise malgré moi, malgré l’exil, malgré l’autobannissement, il lui arrive encore de parler en moi à mon corps défendant.

Le discours de l’islam peut être une poétique très séduisante puisque l’oumma est une matrice maternante. Son portage est indéniable et peut captiver ceux qui s’en approchent, à condition de renoncer à toute forme de subjectivité. Au sein de l’oumma, vous êtes un corps parmi d’autres. L’islam est un vade-mecum, il vous prend en charge du berceau jusqu’au tombeau. Plus besoin de penser par vous-même, les préceptes de Dieu et la Sîra se chargent de tout.

Je suis bien placée pour affirmer que l’on ne peut pas s’en sortir indemne. Lorsque comme moi vous avez choisi de faire défection, de réfuter le dogme, alors il vous faut payer un prix. Pas besoin d’une fatwa pour cela, je m’en suis chargée moi-même! Mon pretium doloris est mon corps de femme parce que la soumission « islam » s’y est inscrite.

J’explique longuement dans mon livre Soumise qu’il m’a fallu une vie pour comprendre que l’islam m’agitait exactement comme l’inconscient nous agite tous. Nous ne sommes pas maîtres chez soi s’agissant de l’inconscient, j’ose énoncer qu’il en va de même pour l’islam ; une fois installé, il est très difficile de s’en extraire car il agit en souterrain et nous détermine ontologiquement.

J’ai quitté ma terre natale il y a plus de trente ans, je me suis exilée pour survivre, je me suis autobannie car j’ai refusé de me soumettre à ma condition de femme vouée exclusivement au mariage et à la maternité. J’ai tout rejeté en bloc, j’ai refusé jusqu’à mon nom mais, malgré ma rébellion, quelque chose a résisté, quelque chose m’a ramenée à mon origine première et j’ai compris que j’étais hélas soumise à ma soumission, qu’elle s’était logée dans mon corps, un corps que j’ai découvert tout entier islamisé par une langue qui m’enserre et qui m’empêche d’être.

Je ne reviendrai pas ici sur mon histoire, même si mon seul corpus de recherche demeure celui-là. Je ne raconte pas mon histoire dans ce livre pour le plaisir de m’exhiber, je parle de moi pour expliquer ce que j’en sais dans ce que j’en dis et je sais que les signifiants islamiques que l’on m’a tatoués sur le corps sont à demeure. Je sais que les histoires d’enfer que l’on raconte aux enfants en Islamie ne peuvent que faire trauma, je sais le rapport de l’islam à l’altérité.

Je connais la haine fondamentale que le Coran a inscrite d’une façon pérenne envers les juifs, je connais la place servile des femmes mais je sais aussi que ce sont les femmes qui ouvriront la voie d’une possible modernité et qu’elles seules pourraient faire reculer l’obscurité et nous emmener enfin vers les lumières. J’entends des balbutiements ici et là. Des Saoudiennes, des Iraniennes, des Tunisiennes, des Afghanes, des Libanaises arrachent le voile dans un cri de liberté et au risque de leur vie. Cela me réjouit et m’oblige.

Je m’étonne pourtant du recul de certaines musulmanes de France. Pourquoi prennent-elles le chemin inverse? Pourquoi se voile-t-on dans le pays des Lumières alors même que les femmes musulmanes du monde arabo-musulman ne demandent qu’à se dévoiler? Je laisse la question en suspens, l’avenir nous dira ce qui dans le discours actuel autorise cette régression.

Comment peut-on nous faire croire que le voilement de la femme est un acte de liberté? Comment peut-on à ce point accepter de pervertir le sens des mots? Quelle est cette novlangue qui nous accule au silence?

Quelle est cette nouvelle hydre que l’on appelle l’intersectionnalité? Quelle est cette absurdité de voir des LGBTQ défiler côte à côte avec les femmes voilées et les barbus en kamis? Un transactivisme, ai-je entendu… Ne savent-ils pas que le texte sacré condamne sans appel les homosexuels et les voue aux enfers?

Être homosexuel en Islamie condamne à mort. Comment peut-on faire fi à ce point des évidences, écrites noir sur blanc qui plus est ? Il n’est pas besoin d’aller très loin pour le constater, en Tunisie les homosexuels subissent aujourd’hui, et au moment même où j’écris, des examens rectaux et sont jetés en prison pour suspicion de pédérastie. Beaucoup demandent l’asile politique à la France, allez leur dire qu’ils feront bientôt alliance avec ceux qui les ont chassés de leur terre!

Les discours utopistes sur l’islam sont au mieux de la naïveté au pire de la compromission

Notre pays se divise. J’entends sonner l’hallali. Les alliances « contre nature » se multiplient. On crie au scandale lorsque l’on ose parler d’islamo-gauchisme à l’université, on ergote sur l’origine du concept, sur sa scientificité alors qu’il s’agit simplement de dire ce qu’il en est. Naguère l’extrême gauche s’alliait avec les islamistes autour d’une cause commune, la Palestine aux Arabes et la destruction pure et simple de l’État d’Israël. L’islamo-gauchisme est aujourd’hui une judéophobie qui ne dit pas son nom. On s’offusque devant des vérités aisément démontrables, le discours islamo-gauchiste est, en France en 2021, le discours dominant. C’est clair, c’est limpide et non réfutable mais nous sommes hélas entrés dans l’ère de la post-vérité et on nie le réel même s’il est là, patent, immense.

Nous n’avons pas assez de recul pour analyser vraiment la situation, mais quelque chose de grave nous est collectivement arrivé. Nous sommes en crise identitaire, nous ne savons plus qui nous sommes ni à quel saint nous vouer. Tout est devenu fluide, le genre, la race, les clivages politiques, les femmes, la vérité historique, tout est remis en question. Le discours scientifique est devenu lui-même une tribune à opinions, y compris la médecine.

Les discours utopistes sur l’islam et sur l’oppression des musulmans de France sont au mieux de la naïveté au pire de la compromission. L’oppression des musulmans de France est un mythe puisque c’est la laïcité qui est compromise. L’islam, lui, coule des jours heureux sous soumise à la bannière de la République. On cherche à le comprendre, à l’interpréter, à le border et même à l’excuser par des élucubrations pseudomatérialistes. La laïcité, elle, est devenue une symphonie funèbre qui se répand comme une coulée de miel lors des enterrements de journalistes ou de professeurs. Mais s’en saisir en dehors des rituels funéraires est comme d’habitude renvoyé d’un revers de discours à l’islamophobie et au fascisme. Drôle de tour de force langagier auquel nous assistons aujourd’hui, dans lequel les laïcs sont devenus les nouveaux fascistes et les femmes libres et non voilées de belles putains.

Tout est contesté, y compris le savoir. J’ai l’impression de devenir un personnage de George Orwell tant la subversion s’est installée au cœur même du langage. Une novlangue devenue vernaculaire, une novlangue que je refuse de parler. Je refuse de penser que la soumission et la réification de la femme dans l’islam soient un consentement éclairé, je refuse d’accepter qu’un texte contient la vérité vraie et que tous les nonmusulmans sont soit des dhimmis, soit des cadavres en sursis, je refuse de m’allier à cette illusion nouvelle qui consiste à nous faire croire que l’islam est en crise et qu’il va se réformer. La violence islamique est inhérente aux textes, peu m’importent les allégations contraires.

L’islamisme a trouvé une stratégie, son entrisme grandissant est criant, son alliance transversale avec les opprimés de classe et de genre est très habile. En effet l’ennemi de mon ennemi est mon ami, mais ce sont des alliances de raison car rien ne peut fondamentalement lier un musulman à un transsexuel ou à une lesbienne, le texte sacré n’autorise pas ces alliances sauf peut-être à des visées de takia.

Le musulman est-il vraiment oppressé pour sa pratique religieuse dans la France d’aujourd’hui? Je ne le crois pas, les enfants français d’origine musulmane ne sont plus rejetés et ostracisés comme ils ont pu l’être dans les années soixante-dix voire quatre-vingt. Ils sont même devenus dans certains collèges et lycées « populaires ». La langue arabe s’est entrelacée à la langue de Molière, aujourd’hui on a le seum, on kiffe, on dit hamdoulah, inch’Allah, wallah, le signifiant Allah est déjà là et personne ne peut le contester.

Pendant que l’on s’étripe par débats et articles interposés, le projet islamiste continue son indéniable progression dans les esprits de nos jeunes, pas seulement les jeunes de banlieue, mais les jeunes Français en général. Cela fait sourire lorsque de jeunes Français blancs prennent l’accent « kaïra » des cités mais pendant ce temps nous fermons les yeux sur l’installation autoritariste et hégémoniste du discours islamiquement correct qui rogne petit à petit sur les autres discours. On nous parle d’islam modéré, d’islam non violent alors qu’il n’y qu’un islam, comme l’a si bien dit Recep Tayyip Erdoğan. L’islam est avant tout un projet politique, un projet qui refuse l’altérité et voudrait dans son essence même islamiser le monde.

Certains réformistes de l’islam, et il en existe peu mais ils ont le mérite d’exister, appellent à secondariser la charia, à accepter l’équité homme-femme, à accepter que l’on puisse se dire apostat sans risquer la peine de mort, certains demandent à ce que les femmes musulmanes puissent se marier avec un non-musulman et transmettre la nationalité d’origine à leurs enfants, mais ces réformistes sont invités à se taire et leurs voix demeurent extrêmement minoritaires.

Il n’est surtout pas question d’interdire l’islam et les musulmans, il est question de s’unir sous la bannière de la République une et indivisible. Il est question de chasser le discours religieux du politique et de le remettre dans l’intime et le spirituel, mais je crains hélas qu’il soit trop tard. Le rapport de force est inversé, nous craignons tous tout bas une guerre civile et nous disons tous tout haut que tout est encore possible. La peur a déjà gagné nos cœurs et paralyse nos pensées. Or sans pensée point de liberté. Mon combat est avant tout un combat pour la laïcité, pour les femmes et les musulmanes, en particulier celles qui souffrent de ne pas pouvoir se débarrasser de ce voile qui les bâillonne et les réduit. Je pense à toutes ces femmes qui subissent le diktat d’une religion qui les relègue à n’être que des citoyens de seconde zone, les femmes sont des dhimmis à l’intérieur de l’oumma, elles payent de leur corps pour obtenir protection. Prêtez l’oreille à la nouvelle musique qui se joue dans la langue, approchez-vous des murmures de nos jeunes filles, et vous verrez que la soumission pour tous est déjà en marche.

Titre et Texte: Sonya Zadig, Revue des Deux Mondes, mai-juin 2021

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