Fatiha Boudjahlat
Il l’a bien cherché: en effet,
« pour son cours, le professeur avait choisi de s’appuyer sur une fiche publiée
par l’association Dessinez créez liberté (DCL) », association dont le principal
tort est en fait d’être proche de Charlie Hebdo. Elle analyse ladite
fiche, inadaptée aux collégiens, hostile à leurs croyances. Le problème est que
cette fiche a été élaborée en réaction à l’assassinat de Samuel Paty. Ce billet
était déjà indécent. Mais il repose sur une erreur qu’un étudiant de première
année n’aurait pas faite. Et tranquillement, François Héran reprend cette
information fausse, cette thèse outrageante.
Ce n’est pas qu’une erreur de la part de Françoise Lorcerie. Interrogée par le New York Times, elle expliquait que Paty avait commis une erreur, que l’étude de la caricature est inadapté aux collégiens, qu’elle n’avait jamais entendu dire que des enseignants de collège les utilisaient en classe. C’est faux, bien sûr. Je le fais. Et c’est utile. Et j’ai le privilège de faire intervenir l’association DCL dans mon collège au mois de mai. Une directrice de recherche au CNRS. Un professeur au Collège de France. Des intellectuels, oui. Des militants, encore plus. Des chercheurs? De canapé. Intervenant depuis leurs confortables postes d’universitaires payés par les deniers publics de l’État honni. Dans la matinale de France Culture, François Héran a osé déclarer avec aplomb que la liberté de croyance n’était pas absolue en France. Quelle erreur! Il n’y a que les régimes totalitaires qui aient instauré une police de la pensée. La liberté de croyance, en fait de conscience, est bien évidemment absolue. Le titre semble permettre à beaucoup, surtout dans le champ des sciences sociales, de se dispenser de faire des recherches. De vérifier leurs assertions.
Des étudiants syndicalistes
ont ouvert une chasse aux sorcières dans l’Institut d’études politiques de
Grenoble. Aussi minoritaires qu’ils sont bruyants. Deux d’entre eux ont
déclaré: « L’islamo-gauchisme n’existe pas, le CNRS l’a dit. L’islamophobie
existe, le labo Pacte [de l’IEP de Grenoble] l’a dit. » L’argument d’autorité
devient un argument autoritaire. Quand on pense que ce scandale commence dans
un groupe de discussion devant préparer une semaine de mobilisations et de
conférences sur « le racisme, l’antisémitisme et l’islamophobie ».
Klaus Kintzler, enseignant à
l’IEP de Grenoble, dont le nom a été affiché par des collages l’accusant
d’islamophobie, a fait état, dans ce groupe de travail, de son opposition à la
mise sur le même pied de ces trois notions et des réalités qu’elles sont
censées identifier et décrire. Une chercheuse très active dans la dénonciation
de l’islamophobie, devenue son sujet d’étude, s’est plainte d’agressions et de
harcèlement. Mais si le débat contradictoire ne peut se tenir dans un groupe de
travail universitaire, où pourrait-il donc se tenir? Cette chercheuse ne semble
faire qu’un avec son sujet d’étude. Le contester ou seulement en contredire des
éléments devient une agression de sa personne! Une université devrait être le
lieu de protection, le safe space de la discussion, du débat. Un groupe de
travail, de réflexion, devrait l’être encore plus. Nous devons retrouver une
éthique, un courage, une habitude du débat. La contradiction n’est pas une
agression. Et des chercheurs ne devraient pas être dans cette fragilité!
L’islamo-gauchisme, c’est
comme le réchauffement climatique. Il y en a qui affirment qu’il n’existe pas.
Mais ses effets sont bien réels. Comment désigner mieux cet aveuglement
volontaire d’une gauche « bobo » à l’entrisme islamiste? Comment
dénoncer plus efficacement leur relativisme culturel qui fait tout accepter de
pratiques rétrogrades pourvu qu’elles soient auréolées du croissant vert?
La jeune fille qui, par ses
mensonges et l’activisme de son père, a conduit à l’assassinat de Samuel Paty
et à sa décapitation, est scolarisée. Mise en examen, mais scolarisée. La
République est bonne fille. Mila, la jeune lycéenne menacée de viol et de mort
pour avoir dit son mépris de la religion musulmane, ne l’est plus, après
l’avoir été, en secret, dans un lycée militaire. Les deux enseignants de l’IEP
de Grenoble accusés d’islamophobie comme celui de Trappes, Didier Lemaire, ne
peuvent plus enseigner et doivent faire l’objet de protections particulières.
Comme l’a écrit Fiammetta Venner, « l’islamophobie tue ceux qui en sont accusés ».
Et seulement ceux-là.
Titre et Texte: Fatiha
Boudjahlat, Revue des Deux Mondes, mai-juin 2021
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