Robert Kopp
Lorsque
Max Weber [photo] est mort, le 14 juin 1920, à seulement 56 ans, nombreux furent les
témoignages qui saluaient en lui l’un des penseurs les plus influents de son
temps. Parmi eux, celui d’un jeune philosophe, Karl Jaspers, qui voyait en lui
le contemporain capital et un modèle pour sa vie toute entière.
Qu’en
est-il aujourd’hui ? Si tout le monde se souvient de L’Éthique
protestante et l’esprit du capitalisme ou des deux conférences de
1919 réunies sous le titre Le Savant et le politique, facilement
accessibles dans des éditions de poche, les autres ouvrages du fondateur de
la sociologie allemande, sur la théorie de la science, la sociologie du droit,
la sociologie des religions, la sociologie de la musique, le judaïsme antique,
le confucianisme, le taoïsme, l’hindouisme et le bouddhisme nous sont moins
familiers. Sans parler des nombreux textes qui n’ont jamais été traduits en
français et que recèle la Max-Weber-Gesamtausgabe (MWG) aux
éditions Mohr Siebeck, à Tübingen.
« Rien ne s’opposerait à
l’exercice de notre liberté si nous ne nous soumettions pas aux différentes
instances de domination légitime »
Mais
pourquoi relire Max Weber ? C’est qu’il est une problématique qui parcourt
toute son œuvre et qui est d’une actualité toute particulière
aujourd’hui : celle de la possibilité d’une vie libre et autodéterminée,
malgré la « cage d’acier » de l’économie capitaliste, d’une vie
susceptible, malgré tout, d’étancher notre soif de liberté individuelle, même
dans un contexte où Emile Durkheim voyait plutôt du déterminisme.
Reprenant
le questionnement de Marx et de Nietzsche, Max Weber est persuadé que rien ne
s’opposerait à l’exercice de notre liberté si nous ne nous soumettions pas aux
différentes instances de « domination légitime », que ce soit
l’entreprise, la bureaucratie ou l’idéologie. Certes, obéir aux ordres
d’un patron, suivre les consignes d’une administration ou s’incliner devant une
croyance nous vaut de l’argent et de la considération. Autant de primes versées
pour notre docilité. Toutefois, n’attendons pas que la solution du problème
nous vienne « de nouveaux prophètes et de nouveau sauveurs ».
Répondons avec Goethe à « l’exigence du jour » : que chacun
suive « le démon (daïmon) qui tient les fils de sa
vie » et qu’il lui obéisse.
« Un très grand savant, et aussi un écrivain plein d’esprit et
d’humour »
Son esprit
d’indépendance, Max Weber l’a prouvé en maintes circonstances, à l’égard de ses
collègues, dans sa vie quotidienne. Rien ne l’illustre mieux que les lettres
qu’il a écrites au cours de ses nombreux voyages et qui viennent d’être
rééditées. Ce sont sans doute ces Reisebriefe 1877-1914 (2)
qui forment l’introduction la plus ludique à sa pensée. Weber est un
observateur très perspicace des particularités des pays qu’il visite, Italie,
France, Pays-Bas, Espagne. Ainsi,
en Écosse, il note que le style des auberges diffère du tout au tout des
auberges allemandes, qui sont nées de la fréquentation par les marchands et qui
ont petit à petit gagné en confort, alors que les auberges écossaises, servant
de relais de chasse à l’aristocratie, se sont peu à peu démocratisées.
Max Weber n’est
pas seulement un très grand savant, c’est aussi un écrivain plein d’esprit et
d’humour. Souhaitons que ces textes puissent séduire un éditeur français.
Titre
et Texte: Robert Kopp, Revue des Deux Mondes, 15-6-2020
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