segunda-feira, 19 de dezembro de 2011

Portrait d'un dictateur "irrationnel" et "imprévisible"

Rarement une figure politique aura été plus énigmatique que celle de Kim Jong-il, héritier de la première dynastie communiste. Paré de toutes les vertus par le régime nord, comme son père, Kim Il-sung, d'un culte qui n'a jamais atteint ailleurs – et pour aussi longtemps – une telle ferveur, il passait à l'étranger pour un "lunatique", "irrationnel", "imprévisible" et sybarite à ses heures. Il est mort samedi 17 décembre à 8 h 30, heure locale.
Son image avait évolué à la suite du premier sommet intercoréen en juin­ 2000. Pour le président du Sud, Kim Dae-jung, le dirigeant de la République populaire démocratique de Corée (RPDC) savait "faire preuve de discernement" et il était "conscient de la nécessité de réformes". C'était aussi l'opinion de l'ex-secrétaire d'Etat américaine, Madeleine Albright qui s'entretint avec lui à Pyongyang en octobre­ 2000­ : "Il m'a surpris par son sens pratique et son caractère décidé", avait-elle déclaré.
A la suite de son second voyage en RPDC en 2004, le premier ministre japonais Junichiro Koizumi le décrivait comme un "homme intelligent", "prêt à plaisanter". "Kim Jong-il n'est pas Satan… mais un cruel produit de plus d'un demi-siècle de révolution en Corée du Nord", écrit Alexandre Mansourov de l'Asia-Pacific Center for Security Studies (Honolulu).

LE MYTHE DE L'ENFANT GÉNÉRAL
La RPDC a été fondée en 1948. Dans le "roman familial" des Kim, qui se confond avec l'histoire nationale, un morceau de bravoure est l'hagiographie de ce "dictateur post-moderne", selon l'historien spécialiste de la Corée, Bruce Cummings, par le mélange d'archaïsmes (les mythes fondateurs du régime) et de promesses d'un futur "radieux" attachées à sa personne.
Le sacré occupe une place non négligeable dans le régime nord-coréen, qui s'est écarté du marxisme léninisme pour intégrer à son idéologie des éléments de la culture traditionnelle. Ainsi, Kim Jong-il serait-il né le 16 février 1942 dans une cabane sur le Mont Paekdu – lieu mythique de la fondation de la Corée devenu le foyer de la révolution et de la lutte anti-japonaise. Une étoile serait apparue au firmament et un arc-en-ciel aurait salué la venue au monde de "l'enfant général". Ce mythe apparu au début des années 1980, époque où se mettait officiellement en place la succession du père par le fils.
Des nord-coréens présentent leur respect à la statut de l'ancien président Kim Il-Sung, à Pyongyang.
Des nord-coréens présentent leur respect à la statut de l'ancien président Kim Il-ung, 
Pyongyang. AFP/MARK RALSTON
Une venue au monde sur le Mont Paekdu "légitime" une succession dynastique puisque "l'enfant général" est censé être animé, du fait de sa naissance en ce haut lieu de la guérilla, par "l'esprit révolutionnaire" paternel. Kim Jong-il "a grandi dans des vêtements imprégnés de l'odeur de la poudre", écrit de son fils Kim Il-sung dans ses Mémoires.

DE YURA À JONG-IL
Selon toute vraisemblance, Kim Jong-il est né plus prosaïquement dans le village isolé de Vyatskoïe, à 70 km au nord de Khabarovsk, où son père et un groupe de partisans s'étaient repliés au cours de l'hiver 1940. La date de sa naissance est aussi douteuse­ : il aurait vu le jour un an plus tôt mais la propagande choisit 1942 afin que l'année de sa venue au monde soit un multiple de celle de son père (1912). L'enfant reçut le nom russe de Yura et son frère cadet, celui de Shura.
Ce n'est qu'après le retour de la famille Kim à Pyongyang dans les fourgons des Soviétiques fin 1945 que les deux garçons reçurent des prénoms coréens : Jong-il pour l'aîné et Pyong-il pour le cadet. L'enfance du jeune Jong-il a été troublée par la mort prématurée de sa mère (en 1949), la noyade accidentel de son jeune frère puis le remariage rapide (1951) de son père avec une femme de vingt ans plus jeune et enfin la guerre qu'il passa dans la province chinoise de Jilin. Turbulent et rebelle, il retourna à Pyongyang en 1953 pour étudier au lycée Mangyongdae destiné aux enfants des révolutionnaires puis à l'université Kim Il-sung. Diplômé en 1964, il entra la même année au comité central.
Passionné de cinéma (il a dirigé six films) et féru d'art (auteur des livrets de cinq opéras révolutionnaires), il fera de Pyongyang une ville à la gloire de la Révolution incarnée par son père. Il supervisa la construction du Musée de la Révolution, de la gigantesque statue de bronze de ce dernier et de la tour Juche (170 mètres), érigée pour le 70e anniversaire de Kim Il-sung avec 25 500 blocs de granit blanc (un pour chaque jour de la vie) et il parsema le pays de 35 000 statues du "Grand Dirigeant".

L'ASCENSION DU "COMMANDANT SUPRÊME"
Il y a dans ce déploiement de loyauté une part d'intérêt personnel­ : sans grande réalisation à son actif, Kim Jong-il ne pouvait construire sa légitimité que sur la fidélité au "Père de la Nation". Comme tout enfant en RPDC, il avait été nourri de l'hagiographie paternelle et des vertus confucéennes (telle que la piété filiale) qui mâtinent l'idéologie du régime.
Le processus de succession s'est mis en place au début des années 1970. Kim Jong-il est présenté alors comme "théoricien hors pair" de la doctrine juche (dogme du régime fondé sur l'indépendance et l'autosuffisance). A sa sortie l'université, il avait été affecté au département d'organisation et de propagande du Parti du travail, dirigé alors par son oncle Kim Yong-ju (frère de Kim Il-sung). Il deviendra secrétaire du comité central en 1973 et, l'année suivante, membre du bureau politique. Sa progression est scandée des titres honorifiques pour le désigner sans le nommer ­: "Centre du parti" (1973), "Dirigeant unique" (1975) ; "Cher Dirigeant" (1980) ; "Commandant suprême" (1983)… Premier vice-président de la commission de défense (1990) puis commandant en chef de l'armée (1991), il fut élevé au grade de maréchal (1992).
A partir des années 1980, Kim Jong-il avait pris progressivement en main les affaires de l'Etat dans l'ombre de son père. Les services de renseignements américains et sud-coréens l'accuseront d'avoir ordonné un attentat à Rangoon en 1983 (17 morts parmi les membres du gouvernement de Séoul) et, quatre ans plus tard, contre un appareil de Korea Airlines (117 morts). Les années 1970-80 sont aussi marquées par des enlèvements ­: de Japonais et, en 1977, d'un metteur en scène sud-coréen et de son ex-femme, actrice. Le couple sera traité royalement par Kim Jong-il, qui souhaitait qu'ils contribuent à améliorer la qualité du cinéma nord-coréen. Dix ans plus tard, ils s'échapperont à la faveur d'un voyage en Europe.

L'ARMÉE, ÉPINE DORSALE DU RÉGIME
Parade militaire à Pyongyang, organisée le 10 octobre pour le 65e anniversaire de la fondation du Parti des travailleurs.
Parade militaire à Pyongyang, organisée le 10 octobre pour le 65e anniversaire de la fondation du Parti des travailleurs. AP/Vincent Yu
Parallèlement à la promotion de Kim Jong-il, arrivent à des postes dirigeants des  technocrates et des militaires, enfants eux aussi de la "génération guérilla", c'est-à-dire des partisans ayant combattu les Japonais avec son père. A la mort de celui-ci (1994), la "vieille garde" pesait encore d'un poids important.
Après les trois ans de deuil national, Kim Jong-il devint secrétaire général du Parti du travail (1997) et président de la Commission de défense (1998). Kim Il-sung demeurait "président pour l'éternité". Afin de consolider la continuité fusionnelle entre le père et le fils fut instauré en juillet ­1997 le "calendrier Juche". Ce calendrier remplace le système grégorien en faisant de 1912 – date de naissance de Kim Il-sung – sa première année : 1997 devenant ainsi la "86e année Juche".
L'"ère Kim Jong-il" a été marquée par un changement dans la structure de l'Etat ­: l'armée devint l'épine dorsale du régime, reléguant le Parti au second plan. Aux termes de la nouvelle constitution (1998), la commission de défense nationale, présidée par Kim Jong-il, est l'"organe militaire suprême chargé de la souveraineté de l'Etat". Et l'année suivante, le slogan "Primauté à l'armée" confirme que l'Etat s'est restructuré autour de son appareil militaire.
Inquiet de l'effondrement des régimes en Europe de l'Est, Kim Jong-il a vu en l'armée le rempart à une éventuelle "contre-révolution". Une nouvelle page de l'histoire s'ouvrait­ : d'Etat communiste fondé sur la "dictature du prolétariat", la RPDC devient un Etat sous la tutelle militaire.

ÉCONOMIE MORIBONDE ET FAMINE
Kim Jong-il hérite d'un pays au bord du gouffre. La détérioration de la situation économique avait été accélérée par l'abandon des alliés stratégiques de la RPDC. L'effondrement de l'URSS et la nouvelle orientation économique de la Chine la privent de l'assistance des "pays frères". En raison de l'arrêt des approvisionnements en énergie à coût préférentiel, les industries tournent au ralenti et l'agriculture, privée d'engrais, peine à nourrir la population. Les désastres naturels du milieu des années 1990 porteront le coup de grâce à une économie moribonde ­: une famine ravage le pays entre 1995 et 1998, causant la mort de 600 000 personnes (près de 4 % de la population).
A la fin de la première décennie 2000, la RPDC restait dépendante de l'aide alimentaire internationale et son industrie continuait à stagner en dépit de la relative libéralisation de juillet­ 2002. Loin de s'inscrire dans un processus volontariste "par le haut" à la Deng Xiaoping en Chine, ces réformes entérinaient un état de fait­ : avec l'effondrement du système de distribution publique et la désorganisation de l'Etat au cours de la famine était apparue une économie de facto de marché, que le régime n'avait fait que légaliser.
A peine l'économie commençait-elle à se dégager de l'ornière que s'ouvrait un nouveau front­ : la tension avec les Etats-Unis. Alors qu'à la fin du mandat de Bill Clinton, une détente se dessinait, la confrontation s'installe peu après l'arrivée de l'administration Bush.

CRISE NUCLÉAIRE
Pour essayer de dégager la RPDC de son isolement, Kim Jong-il tenta des ouvertures­ : en direction de la Corée du Sud (sommet intercoréen de juin ­2000) et du Japon afin de normaliser les relations entre les deux pays. Lors de la visite du premier ministre japonais Junichiro Koizumi à Pyongyang en septembre­2002, il reconnut que ses services avaient enlevé des Japonais dans les années 1970-1980 et présenta ses excuses.
Ce processus de détente va tourner court avec le déclenchement en octobre­ 2002 de la crise nucléaire­ : Washington accuse Pyongyang de poursuivre un programme clandestin d'enrichissement d'uranium. Une crise qui met fin à l'accord de 1994 qui gelait la production de plutonium sous la surveillance de l'Agence internationale de l'énergie atomique. En dépit des souffrances subies par la population à la suite des sanctions internationales, Kim Jong-il chercha à rétablir un rapport de force avec les Etats-Unis.
Sortie du traité de non-prolifération en janvier­ 2003, la RPDC reprend ses activités de retraitement. Ce n'est qu'après l'essai nucléaire d'octobre ­2006 que Washington accepte une négociation tenant compte des demandes nord-coréennes. Un accord est signé en février­ 2007 dans le cadre des pourparlers à Six (Chine, deux Corées, Etats-Unis, Japon et Russie). Sa mise en œuvre sera laborieuse. Un nouvel écueil – sur les vérifications de la dénucléarisation – intervenait en septembre­ 2008, alors que les rumeurs commençaient à circuler que Kim Jong-il avait été victime en août d'un accident cardio-vasculaire.
Titre et Texte: Philippe Pons, Le Monde, 19-12-2011

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