Pour contenir la poussée des revendications démocratiques, l’oligarchie au pouvoir a mis en place divers mécanismes qui en disent beaucoup de sa dérive totalitaire.
Cristophe Boutin
Que nos démocraties fonctionnent pas, ou mal, ce
constat est une évidence : la captation du pouvoir par une oligarchie a été
décrite ces dernières années sous des angles différents par Christopher Lasch,
Christophe Guilluy, Jean-Claude Michéa ou Jérôme Sainte-Marie, et la rupture
semble consommée entre le peuple et les pseudo-élites qui le dirigent.
Elle l’est, d’abord, parce que le courant ascendant
de la communication entre la base et le sommet, indispensable à la vie d’une
démocratie, est coupé : le pouvoir n’entend plus être interpellé au sujet de
certaines questions malsonnantes. C’est ainsi qu’il a pu, pendant des années,
écarter d’un geste indigné toute question liée à l’immigration (qui n’existe
pas et/ ou est un bienfait), à l’insécurité (un sentiment), ou à l’identité
(nécessairement rance et fantasmée). Quant au courant descendant ensuite, tout
aussi nécessaire, loin de proposer aux citoyens des projets de société pour les
faire valider, l’oligarchie s’est contentée d’imposer par la contrainte, y
compris physique si besoin était, ses normes de comportement progressistes à
une majorité qui n’entendait pas voir balayées les appartenances – familiale,
locale, nationale, sexuelle, culturelle, et on en passe – dans lesquelles elle
se reconnaissait et qui étaient autant de cercles protecteurs.
L’un des principaux résultats de ce
dysfonctionnement de notre démocratie est la progression du taux d’abstention
aux élections, nombre de nos concitoyens ayant perdu tout espoir, entre
identiques alternances et fausses « révolutions », de pouvoir faire changer les
choses en déposant un bulletin de vote dans l’urne. L’autre résultat révélateur
est la montée de mouvements de revendication qualifiés de « populistes », terme
pris ici dans le sens négatif par lequel les oligarques stigmatisent ces «
déplorables » qu’ils méprisent. Le mouvement des Gilets jaunes, au moins en son
début, en a été une parfaite illustration: il ne s’agissait pas de mettre en
place une pseudo démocratie directe permanente – peu de rapports entre les
ronds-points et les délires bobos de « Nuit debout » – mais plus simplement de
permettre à une majorité de citoyens de proposer d’abord ce qui ne l’est pas,
de le voter ensuite, et de bloquer enfin une mesure qui leur déplairait.
Derrière ces mouvements, deux principales
revendications se font jour pour permettre de renouveler nos démocraties. La première vise à redonner tout son
poids au « local », en permettant aux populations de décider de ce qui les
concerne au plus près, évitant que les décisions ne soient le fruit d’un
échelon supérieur coupé des réalités locales. La seconde vise, elle, à
permettre une participation directe à la vie politique nationale, d’une part en
permettant aux citoyens de soulever un problème auquel le pouvoir se refuse de
prêter attention, d’autre part en leur permettant d’être directement consultés
sur la solution à lui donner.
Autant d’éléments qui pourraient interférer avec la dérive totalitaire d’un pouvoir oligarchique qui doit pour quelque temps encore se faire croire démocratique. Pour éviter de répondre à ces demandes, ce dernier a donc choisi de récrire notre fonctionnement démocratique autour de trois niveaux de réponse : jouer d’abord sur l’opacité du pouvoir et la technicité des questions; mettre en place ensuite une pseudo-réponse institutionnelle ; créer enfin un peuple de substitution.
Restait enfin, pour éviter que l’escroquerie soit
trop visible, à pousser cette dernière plus avant encore, en créant un peuple de substitution dont
les consultations servent à longueur de médias de référence démocratique aux
décisions oligarchiques. Il y avait bien sûr les sondages orientés, dont les
questions biaisées permettaient d’affirmer sans rire que « les Français pensent
que… », et de valider ainsi les choix les plus aberrants. Mais pour éviter la
vraie démocratie directe et ses risques, nos oligarques ont aussi choisi ces
dernières années de mettre en place une démocratie directe sous contrôle, en
présentant comme représentatives des instances ad hoc ne disposant
d’aucune légitimité. Du « comité de quartier » au niveau local à la Convention
citoyenne pour le climat au niveau national, le principe est le même : trouver
une caution qui permette de faire croire au respect d’une procédure
démocratique, alors même que l’on se refuse à permettre l’expression directe
des citoyens.
Demos-cratos, la démocratie doit donc permettre la
participation du peuple – ce qui ne veut pas dire organiser cette consultation
permanente dont rêvent certains geeks… et des oligarques qui connaissent les
faiblesses de tels systèmes. On comprend bien que la démocratie de substitution
que l’on nous propose n’a rien à voir avec cela. Son prévisible échec – la
propagande a ses limites – conduira logiquement à un renforcement des
contraintes psychologiques, financières et physiques. Une élite, toujours
nécessaire, peut diriger de manière légitime. Une oligarchie, jamais. Et moins
encore quand elle se prétend démocrate.
Titre et Texte: Christophe Boutin, L’Incorrect,
nº 46, outubro 2021
Anteriores:
Refonder la démocratie
[Dossiê: A Democracia] O que é democracia?
[Dossiê: A Democracia] Apresentação e Convite
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