Le suffrage universel direct est une abstraction mathématique. Attribuant
une voix égale à chacun dans le secret de l’isoloir, il semble considérer la société
comme un ensemble d’individus totalement rationnels et indépendants les uns des
autres, de sorte qu’ils pourraient, tels des anges, décider du bien commun de
la société sans être pollués par des influences extérieures.
Benoît Dumoulin
Cette société, naturellement, relève d’une vue de
l’esprit tant les hommes sont reliés entre eux, et parfois malgré eux, par une
alchimie subtile de relations organiques qui constitue précisément le corps
social avec sa part irrationnelle de représentations mentales, de croyances ou
de préjugés. Ainsi, l’élection est avant tout un moment communautaire où le
peuple se rechoisit et se retrempe dans sa volonté de vivre-ensemble. Comme le
souligne Pierre Manent dans son Cours familier de philosophie politique: «
La démocratie, c’est la volontarisation de toutes les relations et de tous les
liens » dans une forme d’auto[1]engendrement permanent.
Mais pour que cet exercice soit fécond, il suppose le respect d’un certain nombre de prérequis sans lesquels toute élection reste vaine voire débouche sur la pire forme de totalitarisme qu’il soit. Ces conditions, qui concernent la structure même du peuple, sont au nombre de trois: le peuple doit être homogène culturellement; il doit être à taille humaine ; ses citoyens doivent bénéficier d’un certain niveau d’éducation.
On sait qu’il existe plusieurs acceptions du terme peuple. C’est d’abord l’ethnos, c’est-à-dire le peuple pris dans son homogénéité culturelle, son identité de mœurs et ses croyances communes, ce qui fait sa cohésion interne et sa solidité organique. Un tel peuple existe de moins en moins en France sous l’effet de l’immigration de masse et du communautarisme. On voit aussi qu’il n’a jamais vraiment existé dans certains pays d’Afrique fonctionnant sur un mode tribal: quand une tribu majoritaire parvient au pouvoir, elle tyrannise celles qui sont minoritaires avec qui elle ne partage rien en commun, si bien que l’instauration de la démocratie dans les années soixante a pu déboucher sur le chaos (par exemple au Rwanda).
Le peuple est ensuite le demos, le peuple pris
dans son sens politique comme l’ensemble des citoyens appelés aux urnes. Ce demos doit être à taille humaine si
l’on veut que les hommes puissent voter sur des sujets qui les concernent et
sur lesquels ils peuvent avoir prise dans leur vie quotidienne. Dans le cas
inverse, l’éloignement du centre de décision et le gigantisme de la structure
politique appellent une modélisation qui relève souvent de l’idéologie, comme
le montre Olivier Rey dans Une Question de taille (Stock, 2014). De
fait, à l’inverse des scrutins nationaux, les élections locales paraissent
moins déconnectées des réalités concrètes de la vie citoyenne.
Enfin, le peuple s’entend de la plebs,
c’est-à-dire le peuple que l’on oppose aux élites, que celles-ci soient
politiques, économiques ou intellectuelles. Si l’on veut que l’exercice
démocratique puisse bénéficier d’un minimum de légitimité, la plebs doit
être éduquée, au sens d’une capacité à décider librement, en s’affranchissant
des modes et des idées reçues. Le déracinement culturel du peuple français
vient malheureusement le rendre aujourd’hui beaucoup plus perméable aux
manipulations de tout genre, son niveau d’éducation ne lui permettant que
rarement de se positionner en toute connaissance de cause sur des enjeux de
plus en plus complexes.
Faut-il pour autant renoncer à la démocratie mais
par quoi la remplacerait-on ? Il paraît plus réaliste de vouloir la refonder dans ses profondeurs, sur
ce que le cardinal Joseph Ratzinger nommait ses « fondements prépolitiques »,
c’est[1]à-dire la capacité du
peuple à saisir le réel, à l’analyser et à se mouvoir vers lui en toute
liberté. C’est à cette ultime condition que la démocratie peut être viable.
Titre et Texte : Benoît Dumoulin, L’Incorrect,
nº 46, octobre 2021
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[Dossiê: A Democracia] O que é democracia?
[Dossiê: A Democracia] Apresentação e Convite
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