Laurent Dandrieu
Le récent synode sur l'Amazonie a remis,
une fois de plus, cette question épineuse en lumière. Sous couvert de
“rationaliser” l'Église, cette réforme plébiscitée par ses adversaires vise en
fait à la banaliser.
Certains, notamment
dans l'Église d'Allemagne mais aussi dans toutes les hiérarchies ecclésiales où
se blottit ce qui reste de progressistes, ne s'en cachent pas : la récente
demande du synode sur l'Amazonie d'ordonner à la prêtrise des diacres mariés
n'est qu'une étape vers l'objectif de la généralisation du mariage des prêtres
dans toute l'Église catholique. Le sujet n'est pas neuf, il revient sur le
tapis depuis cinquante ans avec la régularité d'un marronnier. On pourrait
légitimement s'étonner de la récurrence de cette question qui ne semble guère,
d'expérience, constituer une obsession pour les fidèles catholiques
d'aujourd'hui, et moins encore depuis que les nouvelles générations s'avèrent
de plus en plus traditionnelles. D'autant que les arguments rationnels avancés en faveur du mariage des
prêtres ne tiennent guère la route.
Réponse au manque de vocations
? Mais on ne vient guère en aide à une institution en crise - la prêtrise - par
une autre institution en crise - le mariage -, toutes les deux étant en réalité
victimes d'une même crise plus générale : celle de l'engagement, maillon faible
de la psyché moderne, à l'âge de la société liquide. Plus personne - à part les
prêtres et les homosexuels - ne veut se marier, a-t-on coutume de dire par
manière de plaisanterie. Parmi les jeunes qui le souhaitent encore, on doute
que la perspective de devoir fonder une famille avec un revenu inférieur au Smic
et des horaires de travail sans fin - à commencer par le dimanche,
naturellement - en attire beaucoup vers la prêtrise, même conjugale…
Réponse à la crise de la
pédophilie ? Mais l'immense majorité des crimes pédophiles dans le monde est
commise dans le cadre de la famille… Congé enfin donné à l'impossible exigence
de la chasteté, tellement inhumaine que de nombreux prêtres ne s'y
soumettraient pas ? Mais pourquoi ceux qui ne sont pas fidèles à cette promesse
faite le jour de leur ordination ne s'autoriseraient-ils pas, demain, à être
infidèles à leur épouse ? Quel que soit le niveau d'engagement demandé, il y
aura toujours des hommes pour ne pas s'y tenir (à ce compte, on devrait
demander aux époux de cesser de se jurer fidélité, tant il y en a qui ne s'y
tiennent pas), et il est probable que le mariage des prêtres, sitôt installé,
serait suivi d'une nouvelle revendication : leur accorder le divorce… Et
d'ailleurs, si la chasteté était inhumaine et impossible, comment expliquer que
nous connaissions tant de prêtres et de moines qui s'y plient, et y trouvent
leur bonheur spirituel ?
Un état de vie qui fait du
prêtre un point d'interrogation vivant
Fausse réponse à un vrai problème - la crise
des vocations -, le mariage des prêtres est d'ailleurs défendu non seulement à
l'intérieur, par des hommes d'Église qui prétendent se soucier de son avenir,
mais aussi à l'extérieur, et avec véhémence, par des athées ou des
anticléricaux qui proclament pourtant ne rien avoir à faire avec cette
institution passéiste, quand ils ne s'en déclarent pas résolument ennemis. Et
cela, pour le moins, devrait nous mettre la puce à l'oreille et nous suggérer
que cette revendication est faite au nom du monde, de ce monde dont le prince
est l'adversaire du Fils de Dieu, et pas au nom de l'Église du Christ.
Car, en réalité, en
s'attaquant au célibat, ce n'est pas à une tare qui dénature une institution
qu'on s'attaque, mais à l'institution de la prêtrise elle-même. Certes, il
existe, en Orient et chez les anciens anglicans, des prêtres mariés, et sans
doute y a-t-il parmi eux beaucoup de bons ou de saints prêtres. Il n'en reste
pas moins que, au moins dans l'imaginaire occidental, le célibat est assimilé à
la prêtrise : choisi et non subi, c'est ce qui distingue le prêtre du reste des
hommes, c'est ce qui impressionne ou qui scandalise. C'est ce qui fait de lui,
littéralement, un homme à part, un point d'interrogation vivant qui est la
meilleure porte d'entrée à l'évangélisation. Mais aussi, aux yeux de ceux pour
qui le catholicisme reste l'insupportable signe de contradiction au
matérialisme triomphant, la pierre d'achoppement, sur laquelle on trébuche
toujours et qu'on n'a de cesse de vouloir araser. Et pas seulement parce que,
pour une société hypersexuée, et qui a fait de la sexualité débridée, non
seulement une chose banale, mais un bien de consommation comme un autre, la
valorisation de la chasteté est un intolérable scandale auquel il est urgent de
mettre un terme.
En réalité, le célibat imposé
aux prêtres dans l'Église latine n'est pas une question d'efficacité et de
disponibilité - même si ces aspects ont aussi leur importance. Le célibat,
c'est pour le prêtre le signe et la mise en œuvre à la fois de la radicalité de
son engagement au service du Christ et des hommes. C'est la consécration,
l'offrande ultime, à Dieu et aux hommes, de son affectivité dans une
incorporation au Christ, que le prêtre est appelé à suivre et imiter jusqu'au
sacrifice de soi, jusqu'au plus total oubli de ses passions immolées au service
du prochain. Pour l'imitation de Jésus, pour le service de l'homme, le prêtre
renonce au mariage comme à la fécondité physique, et ne veut connaître que
l'union mystique et la paternité spirituelle.
Aux yeux de ceux pour qui le catholicisme reste um insupportable
signe de contradiction, le célibat sacerdotal est um scandale à éradiquer d’urgence.
Si la forme radicale de
chasteté que la vocation sacerdotale implique est au-delà de ce qui semble
naturel à un homme, c'est le signe que le prêtre n'est pas un homme qui compte
sur ses propres forces pour atteindre un but humain qu'il s'est fixé, mais bien
un envoyé de Dieu, qui répond avec confiance à l'appel de Celui-ci et sait en
retour qu'il peut compter sur sa grâce, pour peu qu'il y soit lui-même fidèle,
pour aller au-delà de ses propres forces afin de collaborer à l'œuvre de Dieu.
C'est, en définitive, le signe et la marque du caractère proprement surnaturel
de sa mission.
Or c'est justement ce
caractère surnaturel qui est odieux à tous ceux qui ne supportent pas la
prétention de l'Église catholique à la transcendance et voudraient en faire une
ONG parmi d'autres. Pour en
faire une ONG comme les autres, il faut faire du prêtre un homme comme les
autres. Un homme marié donc, et demain sans doute divorcé, et pourquoi pas
homosexuel. Tout, sauf un signe de contradiction. Tout sauf quelqu'un qui nous
rappelle que notre véritable destinée n'est pas de ce monde, que nous sommes
appelés à un Amour infini, infiniment plus grand, infiniment plus riche,
infiniment plus beau que cet amour humain qui n'en est que le sublime reflet.
Titre et Texte: Laurent Dandrieu,
Valeurs Actuelles, nº 4328, du 7 au 13 novembre 2019
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