sábado, 27 de março de 2021

Le nouvel ordre médiatique


Valérie Toranian

Chaque jour, deux milliards d’abonnés Facebook échangent ou likent dans 101 langues différentes cent milliards d’informations. En France, la presse écrite ne constitue plus que 15 % des sources d’information, contre 64 % pour l’information en ligne. 39 % des Français s’informent sur les réseaux sociaux (48 % aux États-Unis, 77 % au Kenya). Les applications et les réseaux sociaux détiennent désormais la clé d’entrée dans les médias, et les Gafa et leurs homologues chinois, les BATX, contrôlent plus de la moitié du marché publicitaire mondial.

Le nouvel ordre médiatique, c’est d’abord cela. Des géants du numérique, porte d’entrée de l’information, à qui nous confions allégrement toutes nos données, trop contents de bénéficier du confort et des services qu’ils nous proposent. Dans son Histoires des médias (1), dont les chiffres précédents sont extraits, Jacques Attali propose rien de moins que de démanteler les Gafa, de sevrer nos cerveaux addicts au mobile et de faire éclore une nouvelle forme de journalisme d’excellence.

L’évolution des usages semble hélas démentir violemment ces vœux pieux et tardifs. D’autant que la révolution numérique est loin d’être la seule crise que traversent aujourd’hui les médias. La presse a frôlé la mort. Meurtre ou suicide?, demande Étienne Gernelle. Meurtre par les réseaux sociaux qui ont ruiné son modèle économique. Ou suicide par trop de vanité, d’arrogance, de conformisme, de soumission au pouvoir ou à l’air du temps, qui ont trop souvent ruiné son capital auprès des lecteurs?

La bonne nouvelle, pour le patron du Point, est qu’après les errements du tout-gratuit, chacun sait désormais que la vraie information se paye. La mauvaise nouvelle est que « la hantise de contrarier le lecteur transforme beaucoup de journaux en quasi-partis politiques, allergiques à la dissonance ».

Xavier Gorce, désavoué par la direction du Monde à propos d’un dessin jugé politiquement incorrect, a quitté la rédaction. Le quotidien a cédé à la pression des réseaux sociaux. Les théories woke (vigilance extrême à la sensibilité de toutes les minorités) et la cancel culture (élimination des discours qui dérangent) triomphent désormais dans le service public audiovisuel et de nombreux médias. Elles nous viennent des États-Unis.

Laure Mandeville en est une des meilleures spécialistes. Elle nous raconte comment un « abîme psychologique s’est creusé aux États-Unis entre les élites culturelles progressistes (incarnées par le New York Times) et un pays profond exaspéré d’être ringardisé ». « Ce discours balisé d’une presse qui s’idéologise va ouvrir la porte au geyser trumpien d’une parole décomplexée », écrit-elle. Le remaniement idéologique woke a des répercussions profondes sur l’information, souligne Brice Couturier. Pour ses militants, l’objectivité n’est qu’une « vue depuis nulle part », « potentiellement blessante », « une manière de nier la position de domination des Blancs, qui doit être interrogée ».

Edwy Plenel, militant trotskiste, prêcheur précoce en islamo-gauchisme, a eu un rôle déterminant pour toute une nouvelle génération de journalistes désormais aux manettes dans les médias. Pour Franz-Olivier Giesbert, c’est le symptôme d’une grave crise d’identité. Et « le dévoiement d’un métier – le journalisme – qui est devenu l’auxiliaire d’un autre, celui d’une certaine magistrature militante ». Il s’agit de plus en plus de faire des listes de gentils et de méchants, le méchant étant bien évidemment de droite. Héros du camp du bien, « Edwy Plenel a fait un rapt sur la morale, avec la complaisance de la plupart des grands médias et des syndicats de journalistes ».

Faut-il pour autant regretter le bon vieux temps? Rien de moins sûr. « Dans les années 1840, écrit l’historien Pascal Ory nouvellement élu à l’Académie française, Balzac, revenu déçu de ses expériences journalistiques, en est déjà à conclure par une pirouette: “Si la presse n’existait pas, il faudrait ne pas l’inventer.” »

Jean-François Kahn, fondateur de L’Événement du jeudi et de Marianne, publie prochainement ses Mémoires. Il raconte dans la Revue des Deux Mondes cinquante ans de vie journalistique française. Et remet les pendules à l’heure. « Aujourd’hui, globalement, les journalistes sont plus libres, plus indépendants, plus cultivés. Ils se posent des questions déontologiques qu’ils ne se posaient pas. » On n’imagine plus un ministre de l’Intérieur dictant un article! Mais ce qui est dangereux, pour Jean-François Kahn, c’est le manque de pluralisme et la montée des radicalités de droite et de gauche. « Dans les tribunes libres des journaux, les modérés, les sociaux-démocrates ne s’expriment plus. Certes, ils sont très bas électoralement. Mais les gauchistes aussi et ça ne les empêche pas de s’exprimer et d’être surreprésentés! »

Soumission à l’air du temps, américanisation… et bientôt renoncement à notre liberté d’expression? Pour Jacques de Saint Victor, la loi de 1881 qui posait un régime de liberté encadrée (interdisant notamment la diffamation, l’injure et l’offense) a défini « un équilibre chèrement acquis entre les lois, les mœurs et la liberté ». Mais pour combien de temps encore « alors que viennent des sciences sociales américaines des critiques de plus en plus virulentes contre notre liberté d’expression, parfois associée à une forme de “racisme” »?

Héritage pourtant incomparable que cette liberté d’expression pour laquelle même nos poètes se sont battus! Ainsi, Alfred de Musset qui s’indignait dans la Revue des Deux Mondes en 1835 contre la loi scélérate de Louis-Philippe rétablissant la censure. Laissons-lui le dernier mot.

« Une loi sur la presse! ô peuple gobe-mouche!

La loi, pas vrai? quel mot! comme il emplit la bouche!

Une loi maternelle, et qui vous tend les bras!

Une loi (notez bien) qui ne réprime pas,

Qui supprime! une loi – comme Sainte-n’y-touche;

Une petite loi qui marche à petits pas;

Une charmante loi, pleine de convenance,

Qui couvre tous les seins que l’on ne saurait voir… »

Titre et Texte: Valérie Toranian, Revue des Deux Mondes, avril 2021

1. Jacques Attali, Histoires des médias. Des signaux de fumée aux réseaux sociaux, et après, Fayard, 2021

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