Valérie Toranian
Ceux qui doutaient encore de l’existence du concept d’islamo-gauchisme viennent d’en avoir la parfaite illustration avec la polémique qui sévit autour de la future mosquée de Strasbourg. La nouvelle municipalité écologiste, dirigée par Jeanne Barseghian, vient de lui accorder une subvention de 2,5 millions d’euros, du jamais vu pour un lieu de culte. Ce projet pharaonique de 32 millions d’euros, qui tient autant de la mosquée que du centre commercial, culturel et scolaire, est entre les mains du Millî Görüş, puissante association islamiste turque qui prône un islam ultra conservateur. « L’islam c’est la charia, la charia c’est l’islam », lui tient lieu de programme.
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Illustration : chantier de la Mosquée Eyyub Sultan le 23 mars 2021, à Strasbourg. Photo . Nicolas Roses/ABACAPRESS.COM |
Pour préciser sa coloration
idéologique, le mouvement s’était éloigné il y a quelques années d’Erdogan (alors qu’à l’origine, il est lié à la
formation islamo-conservatrice du président turc, l’AKP), parce qu’il
considérait que le chef de l’État devenait trop libéral, trop « mou » sur les
questions religieuses. Depuis que le néo-sultan Erdogan a déclaré le djihad en
mer Méditerranée, en Libye et contre les Arméniens du Karabakh, les relations
se sont considérablement améliorées.
« L’islam turc est précisément au service d’Erdogan pour
qui “l’assimilation est un crime contre l’humanité.” »
L’islam radical turc en France est porté par deux
branches, celle qui émane directement de l’État turc via la Diyanet (en France,
le Comité de coordination des musulmans turcs de France, CCMTF) et le Millî
Görüş. Ils sont en convergence islamiste et en compétition clientéliste pour se
disputer les faveurs de la diaspora turque. Millî Görüş gère 70 lieux de culte,
le CCMTF, 270. Ils dirigent conjointement le comité régional du Conseil
français du culte musulman en Alsace-Lorraine. Ils ont refusé de signer la
charte des valeurs républicaines du CFCM : impossible pour eux de valider un
texte qui signifierait couper le cordon avec Ankara et abandonner une vision
politique de l’islam. L’islam turc est précisément au service d’Erdogan pour
qui «l’assimilation est un crime contre l’humanité.»
Le CCMTF ayant déjà sa propre mosquée à Strasbourg, Millî Görüş a voulu avoir la sienne qui éclipserait par ses dimensions et sa splendeur toutes les autres fédérations de l’islam de France. Le projet Eyyûp Sultan d’architecture néo-ottomane a été lancé en 2008. Le voilà donc doté d’une subvention de 2,5 millions d’euros, votée à une large majorité par la municipalité écologiste de Strasbourg le 22 mars dernier.
Rappelons-le, cette subvention
est parfaitement légale puisque la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État
ne s’applique pas en Alsace-Moselle. Une exception liée au fait que ces deux
territoires étaient allemands lorsque le texte a été promulgué. Revenus dans le
giron de la France après la victoire de 1918, ils ont cependant obtenu de
déroger au droit commun et de conserver le régime concordataire. Le concordat,
signé en 1801 par Napoléon et le pape Pie VII, continue de s’appliquer pour les
trois principaux cultes de l’époque : les religions catholique, protestante et
juive. Ces dernières peuvent bénéficier de fonds publics et les curés,
pasteurs, rabbins sont salariés par le ministère de l’Intérieur. L’usage veut
que le financement d’un lieu de culte tourne environ autour de 10 % du budget
du projet. Pour compenser l’absence de l’islam dans la loi concordataire, les
élus locaux financent très souvent les lieux de culte musulmans par des
subventions équivalentes.
« Le concordat n’empêche pas de choisir, de s’informer
sur la nature d’une association et d’arbitrer en connaissance de cause. »
Faut-il supprimer le concordat
? Les élus locaux ne veulent pas en entendre parler. Le parti socialiste et la
France insoumise avaient proposé, lors du projet de loi contre le séparatisme,
de mettre fin à cette exception. Aujourd’hui, ils clament sur tous les toits
qu’on aurait mieux fait de les écouter, que le problème n’est pas à qui profite
la subvention, mais la subvention elle-même.
Mais c’est aller un peu vite
en besogne. Le concordat ne rend pas automatique le financement d’un lieu de
culte : c’est une possibilité. Le concordat n’autorise pas tout. Et surtout pas
une telle complaisance avec ce que l’islam a de plus conservateur et
rétrograde. Le concordat n’empêche pas de choisir, de s’informer sur la nature
d’une association et d’arbitrer en connaissance de cause.
Le concordat, enfin, ne rend
pas sourd, aveugle et idiot au point de ne pas connaître l’emprise d’Erdogan
sur l’islam turc et ses orientations islamistes radicales. Surtout lorsqu’on
est un élu du Grand Est où cette communauté est très importante. (Mais le
clientélisme confine au déni, c’est hélas une loi récurrente et pas seulement
pour les municipalités islamo-gauchistes.) Enfin, il faudrait avoir habité sur
une île déserte depuis six mois pour ne pas avoir eu vent du refus par l’islam
turc de France, et notamment Millî Görüş, de valider la charte des principes
républicains qu’Emmanuel Macron a exigé de toutes les associations du CFCM.
Sans parler de la récente décision de la Turquie de se retirer de la convention
d’Istanbul, traité européen protégeant les femmes contre les violences.
L’équipe municipale et les
Verts chouinent et disent que le préfet ne les a pas prévenus de la dangerosité
antirépublicaine du Millî Görüş : c’est vrai, quoi, personne ne leur dit rien
aux Verts. Ils étaient en revanche beaucoup moins ballots lorsqu’il s’est agi,
le même jour, de refuser de reconnaître la définition de l’antisémitisme
fournie par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste. Le
conseil municipal a voté contre sous prétexte que ce texte interdisait la
critique de l’État d’Israël, alors qu’au contraire, la définition affirme
clairement que « critiquer Israël comme on critiquerait tout autre État ne peut
pas être considéré comme de l’antisémitisme ». « Je suis consterné, dit l’élu municipal d’opposition Pierre Jakubowicz. Nous sommes
la première assemblée démocratique dans un État européen à refuser cette
définition. Il s’agit de la définition officielle de l’antisémitisme retenue
par 31 États, par l’Assemblée Nationale, le Parlement européen dont le siège
est à Strasbourg, par le Conseil de Paris et la ville de Nice. À chaque fois
qu’elle est proposée, elle est acceptée, à gauche comme à droite. »
« Désormais on vit avec son temps, on finance les lieux
de culte islamistes, on rétablit le délit de blasphème en luttant contre
“l’islamophobie” »
Oui, mais que voulez-vous,
l’islamo-gauchisme a des valeurs. Pas les principes républicains, pas la
laïcité, pas la lutte contre le racisme et l’antisémitisme. Non, tout cela est
ringard, dépassé. Désormais on vit avec son temps, on finance les lieux de
culte islamistes, on rétablit le délit de blasphème en luttant contre « l’islamophobie » et on boycotte Israël (certains
membres de la majorité municipale soutiennent publiquement les organisations de
boycott de l’État israélien comme le BDS). Et puis, qui sait, les Verts
détestent tellement le système, l’État et Emmanuel Macron qu’ils prennent
peut-être un malin plaisir à prendre le contre-pied du bras de fer qui oppose le chef de l’État français à Erdogan.
C’est Ankara qui doit se frotter les mains !
On ne sait pas encore comment
finira cette lamentable affaire. Le préfet ne peut rien contre la décision
libre d’un conseil municipal. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, peut
difficilement interdire le Millî Görüş qui, a priori, n’enfreint pas la loi et
est une organisation puissante, membre du CFCM. La maire de Strasbourg,
peut-être troublée par la levée de boucliers, annonce prudemment que la
subvention doit être confirmée par un second vote « conditionné à la
présentation d’un plan de financement clair ». Espérons que, d’ici là, Jeanne
Barseghian mettra à jour ses informations sur le Millî Görüş, l’islam politique
et les principes républicains.
Titre et Texte: Valérie
Toranian, Revue des Deux Mondes, 29-3-2021
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