sexta-feira, 1 de julho de 2022

Démocratie illibérale : mode d'emploi

Michel Onfray

Le Parti socialiste, qui fut au pouvoir au cours de deux septennats avec Mitterrand, un presque quinquennat avec Jospin, un autre quinquennat avec Hollande, c’est-à-dire qui, depuis 1981, a dirigé la France pendant au moins une vingtaine d’années, a recueilli 1,8% des votes lors des dernières élections présidentielles. Ce qui veut dire que le Parti animaliste pourrait un jour bien lui passer devant le groin…

Malgré tout ça, personne ne parle de « droit d’inventaire », ce qui pourrait pourtant permettre de comprendre pourquoi les socialistes en sont arrivés là.

Quand, en 1995, Lionel Jospin emploie cette expression pour trier le bon grain de l’ivraie mitterrandienne, il est copieusement hué par les mitterrandiens historiques qui préfèrent tuer la gauche plutôt que de brosser le portrait d’un homme qui a commencé sa carrière en compagnon de route de la Cagoule dans les années 30 avant de la terminer en double Président qui confiait à Jean d’Ormesson, lors de son dernier déjeuner à l’Élysée, le 17 mai 1995, que les révélations sur son passé vichyste, maréchaliste, pétainiste qui avaient marqué la fin de son règne, témoignaient de « l’influence puissante et nocive du lobby juif en France ». C’était aussi convenir qu’il fallait mettre sous le tapis de la gauche le Mitterrand ministre de la Justice et de l’Intérieur dans une Algérie qu’il voulait française, ou celui du fleurissement de la tombe du maréchal Pétain quand il était président de la République. Je ne parle même pas de son abandon du socialisme en 1983 et de l’abolition de la souveraineté française en 1992 avec le traité de Maastricht. Ou des affaires, de l’argent, des délits d’initiés, des valises de liquide, des suicides dans son entourage, de l’usage privé des finances publiques, de Tapie transformé en héros de la gauche post-1983…

Cet effondrement socialiste du jour procède du retour du refoulé mitterrandien doublé du cambriolage de son personnel politique par Emmanuel Macron, qui a agrégé à sa personne tous les carriéristes attirés par la perspective d’une bombance quinquennale à l’Élysée : Le Drian, Ferrand, Castaner, Véran, Attal, Schiappa, Beaune, Parly, Touraine en viennent, tout comme… Macron.

On sait que la partition droite-gauche est travaillée dans son milieu par une autre partition : européistes contre souverainistes, autrement dit, partisans de la dilution de la France dans une Europe libérale post-nationale contre partisans de la suite de l’aventure française dans le cadre d’une Europe des nations. Dit autrement : les maastrichtiens de droite et de gauche contre les anti-maastrichtiens de droite et de gauche.

Les maastrichtiens de droite et de gauche font semblant de s’opposer mais, sur le fond, ces farceurs défendent le même monde européiste, mondialiste, cosmopolite, post-national et, surtout, populicide… Ils jouent sur le devant de la scène la pièce bien rodée des frères ennemis mais, dans les coulisses, tout est fait pour que le système en place dure : Mitterrand renonce au socialisme en mars 1983 pour adopter le giscardisme comme politique de substitution ; Chirac fait semblant de s’y opposer au nom d’un néogaullisme alors qu’il est pompidolien et que cette droite des affaires, dont celle de Giscard, a tout fait pour évincer le général en 1969 ; devenu président de la République, Chirac, qui fut un bref temps le souverainiste de l’appel de Cochin, ne change rien, plus tard il effectue un discours lors de la mort de Mitterrand qui dévoile la véritable nature de leurs relations : ce sont deux requins politiques soucieux de leur seule vie de nabab rendue possible par la carrière politique et insoucieux de la vie des Français ; dans l’opposition, Sarkozy traite Chirac de roi fainéant, il promet le Kärcher, et, une fois aux affaires, devenu fainéant comme son mentor, il laisse le compresseur dans la cave où Pécresse promettait jadis de l’aller chercher bientôt ; Hollande prétend s’opposer à Sarkozy en se disant « normal », c’est son seul programme, un reportage photo de Paris Match les révèle tels qu’ils sont tous les deux : copains comme cochons sur l’essentiel (la preuve : l’un et l’autre conviennent de mettre aux ordures le résultat du référendum de 2005 qui a permis aux Français de dire qu’ils ne voulaient pas de cette Europe-là, forte avec les faibles et faible avec les forts, puis l’un et l’autre conviennent de mobiliser leurs députés godillots au Congrès pour imposer au peuple ce qu’il a refusé en 2005 – c’est le Traité de Lisbonne). Hollande ne peut pas se représenter, doublé par l’un de ses ministres devenu président de la République à sa place, Emmanuel Macron, qui ne touche pas lui non plus au château construit par Mitterrand en 1983. Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes maastrichtiens.

Une série de dispositifs illibéraux permet de maintenir ce château debout. Quels sont ces dispositifs ?

Dispositif 1
instrumentaliser 
les Le Pen

Premièrement : instrumentaliser la famille Le Pen. Pendant des années, Marine Le Pen est assez démocratique et républicaine pour être invitée sur tous les plateaux de télévision, toutes les radios, dans tous les médias, assez fréquentable pour que son parti obtienne des élus qui se sont présentés démocratiquement à des élections démocratiques, dans les communes, les départements, les régions, le pays, l’Europe, suffisamment convenable pour débattre à égalité avec les candidats aux présidentielles du premier tour avant, à quelques encablures des élections, entre les deux tours, d’être affichée comme antisémite, néonazie, antidémocratique, antirépublicaine, fasciste, pétainiste, etc. Démocrate, républicaine, fréquentable, convenable tant qu’elle monte dans les sondages pour être présente au second tour, mais, je viens de le dire, antisémite, néonazie, antidémocratique, antirépublicaine, fasciste, pétainiste quand il faut obtenir que le président de la République maastrichtien soit élu le soir du premier tour ; ce qui nécessite d’avoir le diable en face de lui pour paraître divin, jupitérien si l’on veut…

Dispositif 2 :
intoxiquer
à la moraline

Deuxièmement : intoxiquer le bon peuple à la moraline. Dans ce dispositif, les médias jouent évidemment un rôle majeur en travaillant à moraliser les choses de façon manichéenne. Il ne s’agit pas de proposer une généalogie du réel qui permette de répondre à la question : « Pourquoi les choses sont-elles ainsi et pas autrement ? », mais de demander sur le ton de l’imprécateur, « est-ce bien ou mal ? ».

Exemple : le généalogiste demande : « Pour quelles raisons y a-t-il un conflit entre les Russie, Ukraine et États-Unis ? » Alors que l’inquisiteur tonne que Poutine est méchant et l’Ukraine gentille, voire, quand il s’agit de B.-H.L., qu’il faut d’urgence déclencher la guerre contre les Russes (on va finir par croire que cet homme a des actions dans le complexe militaro-industriel américain !).

Qui travaille à cette vaccination massive et forcée des peuples à la moraline ? Le monde autoproclamé des Bienveillants : journalistes, éditorialistes, éditeurs, universitaires, chercheurs, acteurs, comédiens, écrivains, philosophes, sociologues, psychologues et psychanalystes de cour, sportifs, cinéastes, et tous ceux à qui, pour ce faire, on a refilé un jour la Légion d’honneur…

Voilà qui ressemble à ce que l’on pourrait nommer une épuration éthique : le camp du bien extermine ce qu’il désigne comme le clan du mal qu’il interdit de parole, insulte, décrédibilise en lui faisait dire ce qu’il n’a pas dit, qu’il embrène dans des fake news répandues et relayées par des activistes dont c’est la profession et qu’il paie pour ce faire – les fameuses usines à clics.

Dispositif 3
criminaliser 
le peuple

Troisièmement : criminaliser le peuple, systématiquement présenté comme le grand responsable de l’arrivée de Hitler au pouvoir, ce qui témoignerait de la dangerosité de le laisser s’exprimer car trop stupide pour bien voter ! « Le peuple peut errer », écrit doctement B.-H.L., un chaud partisan du point Godwin.

Lors de la récente commémoration de l’anniversaire de la libération des camps nazis, à Auschwitz même, le Premier ministre Jean Castex réactive la fable : « Hitler est arrivé au pouvoir après des élections démocratiques » – ce sont ses mots, B.-H.L. aurait pu écrire le discours… Il oublie qu’en 1933, ce sont les tractations des partis politiques dans l’impasse qui conduisent Hindenburg à nommer Hitler à la chancellerie du IIIe Reich. Cet homme funeste n’a donc pas été élu au suffrage universel direct par le peuple allemand ! Son succès découle directement de bricolages électoraux et politicards des partis et des gens de partis. Castex devrait donc être prudent quand, travestissant l’Histoire, il affirme : « C’est pour cela qu’il faut se méfier beaucoup des extrémistes politiques, à gauche ou à droite, avant d’aller voter. Il faut bien réfléchir à cela parce que la propagande politique à la veille des élections est très dangereuse. » On ne le lui fait pas dire…

Il faudrait rouvrir le dossier de presse des élections lors du traité de Maastricht en 1992 : on y verrait le camp du bien, ceux que je nomme les maastrichtiens, droite et gauche confondues, expliquer que les partisans de cette braderie de la souveraineté de la France à une Europe supranationale, c’était en effet le véritable enjeu, votaient pour le bien, le vrai, le juste, le bon, le beau, le sens de l’Histoire, l’intelligence, la paix, la prospérité, la fin du racisme, de l’antisémitisme, de la xénophobie, du chômage. Ces soi-disant éclairés, déjà, étaient urbains, diplômés, cultivés, pendant que ceux qui votaient pour la souveraineté nationale – seule possibilité de mener une politique voulue et décidée par le peuple français – souhaitaient quant à eux le mal, le faux, l’injuste, le laid, le retour au Moyen Âge, la bêtise, la guerre, la disette, le racisme, l’antisémitisme, la xénophobie, le chômage et vivaient dans les campagnes reculées, incultes, illettrées.

À cette époque, cette engeance proposait un horizon inexistant, c’était l’idéal européiste. Quarante ans plus tard, leur programme a été appliqué sans aucune opposition : y a-t-il matière à s’en réjouir ? Chacun peut aujourd’hui juger…

Philipe Val, alors directeur de Charlie-Hebdo, consacrait des éditoriaux à ces cannibales reclus dans les provinces sans électricité et sans salle de bains qui votaient « non » en disant d’eux qu’ils étaient « nationaux & socialistes ».

Si être nazi c’est voter non à Maastricht, alors le nazisme c’était peu de chose aurait-on pu répondre à ce monsieur qui contribuait de cette façon à minorer la Shoah en apportant sa grosse pierre à l’édifice négationniste.

Aujourd’hui, un certain Jean-Michel Aphatie, qui délivre depuis des années ses oracles sur RTL, Canal +, Europe 1, France 3, France Info, LCI, France 5, mais aussi dans Politis, oui oui, jadis Libération, Le Journal du dimancheLe ParisienL’ExpressLe Monde, criminalise lui aussi le peuple autant qu’il peut, c’est-à-dire tout le temps. C’est ainsi que, récemment, il a affirmé que les gens intéressés par Éric Zemmour étaient « des Français de chez les Français qui puent un peu des pieds ». Chacun appréciera la qualité et la hauteur des analyses de cet homme aux orteils parfumés.

Dispositif 4
activer 
des populicides

Quatrièmement : activer des populicides. Ce petit monde hait la démocratie directe, le suffrage universel direct, la consultation référendaire. C’est lui qui décide qu’il faut tenir pour nul et non avenu le vote de 2005, expression de la démocratie directe, pour lui préférer un dispositif populicide avec l’aide de prétendus élus du peuple se réclamant de la démocratie indirecte.

Or la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen précise dans son article 6 que l’exercice de la souveraineté du peuple s’effectue soit par la démocratie directe, soit par la démocratie indirecte, mais sûrement pas par la démocratie indirecte qui corrige la démocratie directe quand le peuple a mal voté selon les élus devenus des politiciens professionnels. En 2008, le traité de Lisbonne a activé ce coup d’État des élus contre leurs mandants. C’est un édifiant exemple de putsch des politicards contre le peuple qui les a élus.

Cette haine rabique se manifeste également dans le mépris que ces illibéraux opposent à la volonté du peuple : en 1978, Giscard, qui craignait de perdre les législatives, avait prévu de se replier à Versailles (!) et de mettre en place une cohabitation. Il a gagné les élections, mais son projet était radicalement antigaulliste, de Gaulle aurait bien sûr quant à lui démissionné en cas d’échec, il n’aurait sûrement pas cohabité ; Mitterrand est désavoué en 1986, il reste au pouvoir et cohabite avec Chirac ; le même Mitterrand est désavoué en 1993, il reste au pouvoir et cohabite avec Balladur, Chirac ayant pris la place de Mitterrand, il est à son tour désavoué en 1997, reste au pouvoir et cohabite avec Jospin ; Chirac perd le référendum de 2005, il reste au pouvoir et son suivant, Sarkozy, jette aux tinettes ce référendum en 2008 ; Emmanuel Macron perd toutes les élections depuis qu’il est président de la République : municipales, départementales, régionales, européennes, mais il reste au pouvoir, il ne change pas de politique, il méprise...

Depuis 1974, c’est-à-dire depuis presque un demi-siècle, la classe politique fait la sourde oreille à ce que lui demande le peuple qui, rappelons-le, est le souverain depuis la fin de la monarchie.

Dispositif 5
élire 
le vassal en chef

Cinquièmement : faire élire le vassal en chef, autrement dit le chef d’État qui sera le moins national possible et le plus post-national pensable. Il faut que la volonté du peuple, qui est le fin mot de l’affaire en démocratie, puisque c’est le peuple qui est souverain, se trouve évincée au profit d’un candidat sélectionné par le système. Un maastrichtien se trouvera ainsi reconduit ou conduit à la tête de l’État français.

Un candidat non-maastrichtien élu par le plus grand des hasards ne mettrait pas grand temps à rejoindre le rang malgré ses rodomontades de campagne – qu’on se souvienne de la jurisprudence Tsipras. Tout est fait pour qu’un vassal de l’Europe maastrichtienne parvienne à la tête de ce qui reste de l’État français pour y appliquer les directives venues du gouvernement technocratique non élu de la Commission européenne.

Dispositif 6
interdire 
le financement

Sixièmement : interdire le financement des candidats gênants pour le système. On se souvient que Marine Le Pen, qui s’est déjà retrouvée par le passé au second tour et qui passait depuis lors dans les sondages pour la principale challenger du Président, a peiné à trouver ses 500 signatures.

Mais il y eut une autre façon d’entraver sa course : aucune banque occidentale n’accepte de lui prêter l’argent de sa campagne qui sera de toute façon, quoiqu’il arrive, au-dessus de 5% : elle sera donc remboursée de ses frais…

Pas une seule banque française ne veut, en vertu du premier dispositif, l’instrumentalisation de son nom, prêter de l’argent à une candidate présentée comme responsable des exactions de la division de Das Reich et des millions de morts de la Shoah. On imagine le nombre de victimes de cette propagande susceptibles de fermer leurs comptes et de faire tomber les banques qui auraient rendu possible l’exercice du jeu démocratique.

De sorte qu’il lui faut aller chercher ailleurs qu’en France, en Russie et en Hongrie en l’occurrence, ce qui permet ensuite aux journalistes – en vertu du dispositif 2 – de lui reprocher de faire financer sa campagne par des banques de pays étrangers. Cette clique habituellement cosmopolite estime qu’une banque étrangère pose problème et qu’il faudrait un établissement bien français, bien national, et que recourir à une banque russe, même et surtout quand on y a été contraint, est bien la preuve d’un soutien au régime de Poutine. CQFD.

Désormais, notre démocratie peut être dite illibérale. Dans Théorie de la dictature, en proposant une lecture contemporaine du 1984 d’Orwell, j’ai raconté où, quand, comment, de quelle manière.

La France est une « démocratie défaillante », affirme une étude de The Economist. Avec Emmanuel Macron à sa tête, le pays se trouve cette année à la 24e place mondiale des pays notés par le magazine britannique en fonction de la qualité de leur démocratie. Et il est au 34e rang mondial dans le classement de Reporters sans frontières sur la liberté de la presse : le pays a reculé de deux places…

En esquissant ici un mode d’emploi de cet illibéralisme, je conclus que les élections sont depuis des années des pièges à cons. Qui jouerait à un jeu en sachant qu’il est pipé puisque le gagnant est déjà connu ? Nous sommes dans la configuration des matchs de foot truqués, des étapes du Tour de France pipotées, des listes annuelles des Français préférés par les Français proposés au choix en amont.

Instrumentaliser les Le Pen pour plier l’élection au soir du premier tour, intoxiquer la population à la moraline avec les médias et les réseaux sociaux, criminaliser le peuple dans tous ses choix, ses faits et gestes – des Gilets jaunes aux Convois pour la liberté en passant par le mépris des référendums –, activer les populicides en dédaignant les résultats d’élections perdues, élire un vassal en chef et non un chef de l’État français, trier les candidats via les parrainages (1) pour n’obtenir que les gens utiles à ce jeu de bonneteau électoral, in fine, empêcher le financement des campagnes : voilà à quoi ressemble le tas de fumier sur lequel le coq français se trouve perché, aphone et en colère…

Notes

1 : Le maire fonctionne en jacobin dans son village, il est le roi du hameau. Il ne devrait pas, lui seul, donner sa signature, mais le conseil municipal, par vote secret, devrait décider collectivement d’un parrainage qui serait celui du village.

Titre et Texte: Michel Onfray, Front Populaire, nº 9, été 2022

Nenhum comentário:

Postar um comentário

Não publicamos comentários de anônimos/desconhecidos.

Por favor, se optar por "Anônimo", escreva o seu nome no final do comentário.

Não use CAIXA ALTA, (Não grite!), isto é, não escreva tudo em maiúsculas, escreva normalmente. Obrigado pela sua participação!
Volte sempre!
Abraços./-