Michel Onfray
Le Parti socialiste, qui fut
au pouvoir au cours de deux septennats avec Mitterrand, un presque quinquennat
avec Jospin, un autre quinquennat avec Hollande, c’est-à-dire qui, depuis 1981,
a dirigé la France pendant au moins une vingtaine d’années, a recueilli 1,8%
des votes lors des dernières élections présidentielles. Ce qui veut dire que le
Parti animaliste pourrait un jour bien lui passer devant le groin…
Malgré tout ça, personne ne
parle de « droit d’inventaire », ce qui pourrait pourtant permettre de
comprendre pourquoi les socialistes en sont arrivés là.
Quand, en 1995, Lionel Jospin
emploie cette expression pour trier le bon grain de l’ivraie mitterrandienne,
il est copieusement hué par les mitterrandiens historiques qui préfèrent tuer
la gauche plutôt que de brosser le portrait d’un homme qui a commencé sa
carrière en compagnon de route de la Cagoule dans les années 30 avant de la
terminer en double Président qui confiait à Jean d’Ormesson, lors de son
dernier déjeuner à l’Élysée, le 17 mai 1995, que les révélations sur son passé
vichyste, maréchaliste, pétainiste qui avaient marqué la fin de son règne,
témoignaient de « l’influence puissante et nocive du lobby juif en France ».
C’était aussi convenir qu’il fallait mettre sous le tapis de la gauche le
Mitterrand ministre de la Justice et de l’Intérieur dans une Algérie qu’il
voulait française, ou celui du fleurissement de la tombe du maréchal Pétain
quand il était président de la République. Je ne parle même pas de son abandon
du socialisme en 1983 et de l’abolition de la souveraineté française en 1992
avec le traité de Maastricht. Ou des affaires, de l’argent, des délits
d’initiés, des valises de liquide, des suicides dans son entourage, de l’usage
privé des finances publiques, de Tapie transformé en héros de la gauche
post-1983…
Cet effondrement socialiste du jour procède du retour du refoulé mitterrandien doublé du cambriolage de son personnel politique par Emmanuel Macron, qui a agrégé à sa personne tous les carriéristes attirés par la perspective d’une bombance quinquennale à l’Élysée : Le Drian, Ferrand, Castaner, Véran, Attal, Schiappa, Beaune, Parly, Touraine en viennent, tout comme… Macron.
On sait que la partition
droite-gauche est travaillée dans son milieu par une autre partition :
européistes contre souverainistes, autrement dit, partisans de la dilution de
la France dans une Europe libérale post-nationale contre partisans de la suite
de l’aventure française dans le cadre d’une Europe des nations. Dit autrement :
les maastrichtiens de droite et de gauche contre les anti-maastrichtiens de
droite et de gauche.
Les maastrichtiens de droite
et de gauche font semblant de s’opposer mais, sur le fond, ces farceurs
défendent le même monde européiste, mondialiste, cosmopolite, post-national et,
surtout, populicide… Ils jouent sur le devant de la scène la pièce bien rodée
des frères ennemis mais, dans les coulisses, tout est fait pour que le système
en place dure : Mitterrand renonce au socialisme en mars 1983 pour adopter le
giscardisme comme politique de substitution ; Chirac fait semblant de s’y
opposer au nom d’un néogaullisme alors qu’il est pompidolien et que cette
droite des affaires, dont celle de Giscard, a tout fait pour évincer le général
en 1969 ; devenu président de la République, Chirac, qui fut un bref temps le
souverainiste de l’appel de Cochin, ne change rien, plus tard il effectue un
discours lors de la mort de Mitterrand qui dévoile la véritable nature de leurs
relations : ce sont deux requins politiques soucieux de leur seule vie de nabab
rendue possible par la carrière politique et insoucieux de la vie des Français
; dans l’opposition, Sarkozy traite Chirac de roi fainéant, il promet le
Kärcher, et, une fois aux affaires, devenu fainéant comme son mentor, il laisse
le compresseur dans la cave où Pécresse promettait jadis de l’aller chercher
bientôt ; Hollande prétend s’opposer à Sarkozy en se disant « normal », c’est
son seul programme, un reportage photo de Paris Match les révèle tels qu’ils
sont tous les deux : copains comme cochons sur l’essentiel (la preuve : l’un et
l’autre conviennent de mettre aux ordures le résultat du référendum de 2005 qui
a permis aux Français de dire qu’ils ne voulaient pas de cette Europe-là, forte
avec les faibles et faible avec les forts, puis l’un et l’autre conviennent de
mobiliser leurs députés godillots au Congrès pour imposer au peuple ce qu’il a
refusé en 2005 – c’est le Traité de Lisbonne). Hollande ne peut pas se
représenter, doublé par l’un de ses ministres devenu président de la République
à sa place, Emmanuel Macron, qui ne touche pas lui non plus au château
construit par Mitterrand en 1983. Tout est pour le mieux dans le meilleur des
mondes maastrichtiens.
Une série de dispositifs
illibéraux permet de maintenir ce château debout. Quels sont ces dispositifs ?
instrumentaliser
les Le Pen
Premièrement : instrumentaliser la famille Le Pen. Pendant des années, Marine Le Pen est assez démocratique et républicaine pour être invitée sur tous les plateaux de télévision, toutes les radios, dans tous les médias, assez fréquentable pour que son parti obtienne des élus qui se sont présentés démocratiquement à des élections démocratiques, dans les communes, les départements, les régions, le pays, l’Europe, suffisamment convenable pour débattre à égalité avec les candidats aux présidentielles du premier tour avant, à quelques encablures des élections, entre les deux tours, d’être affichée comme antisémite, néonazie, antidémocratique, antirépublicaine, fasciste, pétainiste, etc. Démocrate, républicaine, fréquentable, convenable tant qu’elle monte dans les sondages pour être présente au second tour, mais, je viens de le dire, antisémite, néonazie, antidémocratique, antirépublicaine, fasciste, pétainiste quand il faut obtenir que le président de la République maastrichtien soit élu le soir du premier tour ; ce qui nécessite d’avoir le diable en face de lui pour paraître divin, jupitérien si l’on veut…
Dispositif 2 :intoxiquer
à la moraline
Deuxièmement : intoxiquer le
bon peuple à la moraline. Dans ce dispositif, les médias jouent évidemment un
rôle majeur en travaillant à moraliser les choses de façon manichéenne. Il ne
s’agit pas de proposer une généalogie du réel qui permette de répondre à la question
: « Pourquoi les choses sont-elles ainsi et pas autrement ? », mais de demander
sur le ton de l’imprécateur, « est-ce bien ou mal ? ».
Exemple : le généalogiste
demande : « Pour quelles raisons y a-t-il un conflit entre les Russie, Ukraine
et États-Unis ? » Alors que l’inquisiteur tonne que Poutine est méchant et
l’Ukraine gentille, voire, quand il s’agit de B.-H.L., qu’il faut d’urgence
déclencher la guerre contre les Russes (on va finir par croire que cet homme a
des actions dans le complexe militaro-industriel américain !).
Qui travaille à cette
vaccination massive et forcée des peuples à la moraline ? Le monde autoproclamé
des Bienveillants : journalistes, éditorialistes, éditeurs, universitaires,
chercheurs, acteurs, comédiens, écrivains, philosophes, sociologues,
psychologues et psychanalystes de cour, sportifs, cinéastes, et tous ceux à
qui, pour ce faire, on a refilé un jour la Légion d’honneur…
Voilà qui ressemble à ce que
l’on pourrait nommer une épuration éthique : le camp du bien extermine ce qu’il
désigne comme le clan du mal qu’il interdit de parole, insulte, décrédibilise
en lui faisait dire ce qu’il n’a pas dit, qu’il embrène dans des fake news
répandues et relayées par des activistes dont c’est la profession et qu’il paie
pour ce faire – les fameuses usines à clics.
criminaliser
le peuple
Troisièmement : criminaliser
le peuple, systématiquement présenté comme le grand responsable de l’arrivée de
Hitler au pouvoir, ce qui témoignerait de la dangerosité de le laisser
s’exprimer car trop stupide pour bien voter ! « Le peuple peut errer », écrit
doctement B.-H.L., un chaud partisan du point Godwin.
Lors de la récente
commémoration de l’anniversaire de la libération des camps nazis, à Auschwitz
même, le Premier ministre Jean Castex réactive la fable : « Hitler est arrivé
au pouvoir après des élections démocratiques » – ce sont ses mots, B.-H.L.
aurait pu écrire le discours… Il oublie qu’en 1933, ce sont les tractations des
partis politiques dans l’impasse qui conduisent Hindenburg à nommer Hitler à la
chancellerie du IIIe Reich. Cet homme funeste n’a donc pas été élu au suffrage
universel direct par le peuple allemand ! Son succès découle directement de
bricolages électoraux et politicards des partis et des gens de partis. Castex devrait
donc être prudent quand, travestissant l’Histoire, il affirme : « C’est pour
cela qu’il faut se méfier beaucoup des extrémistes politiques, à gauche ou à
droite, avant d’aller voter. Il faut bien réfléchir à cela parce que la
propagande politique à la veille des élections est très dangereuse. » On ne le
lui fait pas dire…
Il faudrait rouvrir le dossier
de presse des élections lors du traité de Maastricht en 1992 : on y verrait le
camp du bien, ceux que je nomme les maastrichtiens, droite et gauche confondues,
expliquer que les partisans de cette braderie de la souveraineté de la France à
une Europe supranationale, c’était en effet le véritable enjeu, votaient pour
le bien, le vrai, le juste, le bon, le beau, le sens de l’Histoire,
l’intelligence, la paix, la prospérité, la fin du racisme, de l’antisémitisme,
de la xénophobie, du chômage. Ces soi-disant éclairés, déjà, étaient urbains,
diplômés, cultivés, pendant que ceux qui votaient pour la souveraineté
nationale – seule possibilité de mener une politique voulue et décidée par le
peuple français – souhaitaient quant à eux le mal, le faux, l’injuste, le laid,
le retour au Moyen Âge, la bêtise, la guerre, la disette, le racisme,
l’antisémitisme, la xénophobie, le chômage et vivaient dans les campagnes reculées,
incultes, illettrées.
À cette époque, cette engeance
proposait un horizon inexistant, c’était l’idéal européiste. Quarante ans plus
tard, leur programme a été appliqué sans aucune opposition : y a-t-il matière à
s’en réjouir ? Chacun peut aujourd’hui juger…
Philipe Val, alors directeur
de Charlie-Hebdo, consacrait des éditoriaux à ces cannibales reclus dans les
provinces sans électricité et sans salle de bains qui votaient « non » en
disant d’eux qu’ils étaient « nationaux & socialistes ».
Si être nazi c’est voter non à
Maastricht, alors le nazisme c’était peu de chose aurait-on pu répondre à ce
monsieur qui contribuait de cette façon à minorer la Shoah en apportant sa
grosse pierre à l’édifice négationniste.
Aujourd’hui, un certain
Jean-Michel Aphatie, qui délivre depuis des années ses oracles sur RTL, Canal
+, Europe 1, France 3, France Info, LCI, France 5, mais aussi dans Politis, oui
oui, jadis Libération, Le Journal du dimanche, Le
Parisien, L’Express, Le Monde, criminalise lui
aussi le peuple autant qu’il peut, c’est-à-dire tout le temps. C’est ainsi que,
récemment, il a affirmé que les gens intéressés par Éric Zemmour étaient « des
Français de chez les Français qui puent un peu des pieds ». Chacun appréciera
la qualité et la hauteur des analyses de cet homme aux orteils parfumés.
activer
des populicides
Quatrièmement : activer des
populicides. Ce petit monde hait la démocratie directe, le suffrage universel
direct, la consultation référendaire. C’est lui qui décide qu’il faut tenir pour
nul et non avenu le vote de 2005, expression de la démocratie directe, pour lui
préférer un dispositif populicide avec l’aide de prétendus élus du peuple se
réclamant de la démocratie indirecte.
Or la Déclaration des droits
de l’homme et du citoyen précise dans son article 6 que l’exercice de la
souveraineté du peuple s’effectue soit par la démocratie directe, soit par la
démocratie indirecte, mais sûrement pas par la démocratie indirecte qui corrige
la démocratie directe quand le peuple a mal voté selon les élus devenus des
politiciens professionnels. En 2008, le traité de Lisbonne a activé ce coup
d’État des élus contre leurs mandants. C’est un édifiant exemple de putsch des
politicards contre le peuple qui les a élus.
Cette haine rabique se
manifeste également dans le mépris que ces illibéraux opposent à la volonté du
peuple : en 1978, Giscard, qui craignait de perdre les législatives, avait
prévu de se replier à Versailles (!) et de mettre en place une cohabitation. Il
a gagné les élections, mais son projet était radicalement antigaulliste, de
Gaulle aurait bien sûr quant à lui démissionné en cas d’échec, il n’aurait
sûrement pas cohabité ; Mitterrand est désavoué en 1986, il reste au pouvoir et
cohabite avec Chirac ; le même Mitterrand est désavoué en 1993, il reste au
pouvoir et cohabite avec Balladur, Chirac ayant pris la place de Mitterrand, il
est à son tour désavoué en 1997, reste au pouvoir et cohabite avec Jospin ;
Chirac perd le référendum de 2005, il reste au pouvoir et son suivant, Sarkozy,
jette aux tinettes ce référendum en 2008 ; Emmanuel Macron perd toutes les
élections depuis qu’il est président de la République : municipales,
départementales, régionales, européennes, mais il reste au pouvoir, il ne
change pas de politique, il méprise...
Depuis 1974, c’est-à-dire
depuis presque un demi-siècle, la classe politique fait la sourde oreille à ce
que lui demande le peuple qui, rappelons-le, est le souverain depuis la fin de
la monarchie.
élire
le vassal en chef
Cinquièmement : faire élire le
vassal en chef, autrement dit le chef d’État qui sera le moins national
possible et le plus post-national pensable. Il faut que la volonté du peuple,
qui est le fin mot de l’affaire en démocratie, puisque c’est le peuple qui est
souverain, se trouve évincée au profit d’un candidat sélectionné par le
système. Un maastrichtien se trouvera ainsi reconduit ou conduit à la tête de
l’État français.
Un candidat non-maastrichtien
élu par le plus grand des hasards ne mettrait pas grand temps à rejoindre le
rang malgré ses rodomontades de campagne – qu’on se souvienne de la
jurisprudence Tsipras. Tout est fait pour qu’un vassal de l’Europe
maastrichtienne parvienne à la tête de ce qui reste de l’État français pour y
appliquer les directives venues du gouvernement technocratique non élu de la
Commission européenne.
interdire
le financement
Sixièmement : interdire le
financement des candidats gênants pour le système. On se souvient que Marine Le
Pen, qui s’est déjà retrouvée par le passé au second tour et qui passait depuis
lors dans les sondages pour la principale challenger du Président, a peiné à
trouver ses 500 signatures.
Mais il y eut une autre façon
d’entraver sa course : aucune banque occidentale n’accepte de lui prêter
l’argent de sa campagne qui sera de toute façon, quoiqu’il arrive, au-dessus de
5% : elle sera donc remboursée de ses frais…
Pas une seule banque française
ne veut, en vertu du premier dispositif, l’instrumentalisation de son nom,
prêter de l’argent à une candidate présentée comme responsable des exactions de
la division de Das Reich et des millions de morts de la Shoah. On imagine le
nombre de victimes de cette propagande susceptibles de fermer leurs comptes et
de faire tomber les banques qui auraient rendu possible l’exercice du jeu
démocratique.
De sorte qu’il lui faut aller
chercher ailleurs qu’en France, en Russie et en Hongrie en l’occurrence, ce qui
permet ensuite aux journalistes – en vertu du dispositif 2 – de lui reprocher
de faire financer sa campagne par des banques de pays étrangers. Cette clique
habituellement cosmopolite estime qu’une banque étrangère pose problème et
qu’il faudrait un établissement bien français, bien national, et que recourir à
une banque russe, même et surtout quand on y a été contraint, est bien la
preuve d’un soutien au régime de Poutine. CQFD.
Désormais, notre démocratie
peut être dite illibérale. Dans Théorie de la dictature, en proposant une
lecture contemporaine du 1984 d’Orwell, j’ai raconté où, quand, comment, de
quelle manière.
La France est une « démocratie
défaillante », affirme une étude de The Economist. Avec Emmanuel Macron à sa
tête, le pays se trouve cette année à la 24e place mondiale des pays notés par
le magazine britannique en fonction de la qualité de leur démocratie. Et il est
au 34e rang mondial dans le classement de Reporters sans frontières sur
la liberté de la presse : le pays a reculé de deux places…
En esquissant ici un mode
d’emploi de cet illibéralisme, je conclus que les élections sont depuis des
années des pièges à cons. Qui jouerait à un jeu en sachant qu’il est pipé
puisque le gagnant est déjà connu ? Nous sommes dans la configuration des
matchs de foot truqués, des étapes du Tour de France pipotées, des listes
annuelles des Français préférés par les Français proposés au choix en amont.
Instrumentaliser les Le Pen
pour plier l’élection au soir du premier tour, intoxiquer la population à la
moraline avec les médias et les réseaux sociaux, criminaliser le peuple dans
tous ses choix, ses faits et gestes – des Gilets jaunes aux Convois pour la
liberté en passant par le mépris des référendums –, activer les populicides en
dédaignant les résultats d’élections perdues, élire un vassal en chef et non un
chef de l’État français, trier les candidats via les parrainages (1) pour
n’obtenir que les gens utiles à ce jeu de bonneteau électoral, in fine,
empêcher le financement des campagnes : voilà à quoi ressemble le tas de fumier
sur lequel le coq français se trouve perché, aphone et en colère…
Notes
1 : Le maire fonctionne en
jacobin dans son village, il est le roi du hameau. Il ne devrait pas, lui seul,
donner sa signature, mais le conseil municipal, par vote secret, devrait
décider collectivement d’un parrainage qui serait celui du village.
Titre et Texte: Michel Onfray, Front Populaire, nº 9, été 2022
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