quarta-feira, 3 de março de 2021

Histoire: Quand Hoover sauve Lénine

Repas servis à la population russe à partir de trains alimentaires américains qui sauveront la vie de 30 millions de personnes. Photo: DR

Michel Gurfinkiel

Il y a un siècle, en 1921, la famine fait vaciller le régime bolchevique. Mais l'Amérique capitaliste vient à son secours, et elle réussit. Au nom de la charité chrétienne !

« J'ai des tas de cadavres à moitié nus et congelés dans les positions les plus grotesques, avec des signes d'avoir été la proie de chiens errants […] J'ai vu, dans un orphelinat de Kazan, des enfants criblés de poux blottis les uns contre les autres en masses compactes comme une colonie de phoques… » C'est ce qu'écrit, fin 1921, dans une lettre à sa famille, William Shafroth, un volontaire de l'American Relief Administration (Ara) - le service semi-officiel américain chargé de l'aide d'urgence aux populations étrangères.

« Ara sauve la vie d'une trentaine de millions d'âmes »

Pendant onze mois, de septembre 1921 à août 1922, cet organisme maintient une mission en Russie : près de 400 cadres américains et 120 000 assistants locaux gèrent 19 000 cuisines, assurent 11 millions de repas par jour et fournissent des semences aux agriculteurs. L'un dans l'autre, l'Ara sauve la vie d'une trentaine de millions d'âmes au moins, soit un cinquième de la population russe.

Il sauve aussi, par la même occasion, le régime soviétique lui-même, qui était sur le point de s'effondrer. C'est la première fois que l'Amérique vient en aide à des régimes qu'elle combat, dans un esprit purement humanitaire. Ce ne sera pas la dernière.

La guerre mondiale, de 1914 à 1918, a été une apocalypse. Mais en Russie, une seconde apocalypse éclate en 1917 et va se terminer, après d'ultimes soubresauts, en 1923 : la révolution, avec ses corollaires - guerre civile, massacres, désorganisation totale de l'économie, sans parler des nouvelles épidémies, telles que le typhus et le choléra. Sur ces deux périodes, 2 millions de Russes périssent dans les combats, près d'un million sont exécutés ou massacrés, et 14 millions de civils meurent de faim ou de maladie.

En 1920, les bolcheviques ont vaincu les armées blanches et reconquis la quasi-totalité de l'ancien empire, mais ils sont confrontés à une jacquerie latente. Dans la région de Tambov, les paysans se révoltent pendant l'été 1920 contre les réquisitions de vivres. Les grèves et les manifestations se multiplient en janvier 1921 dans les grandes villes, y compris Moscou et Petrograd, quand le gouvernement réduit d'un tiers les rations journalières de pain.

Début mars 1921, les matelots et les fusiliers de la flotte de la Baltique, à Kronstadt, qui avaient été jusque-là l'avant-garde de la révolution, entrent en rébellion ouverte : Trotski met trois semaines à réduire ce soulèvement, à coups de canon.

Lénine implore l'aide internationale 

Lénine en tire les conclusions, le 12 mars, en annonçant l'abandon du “communisme de guerre” et la mise en place d'une Nouvelle Politique économique (Nep) : rétablissement partiel de l'entreprise privée, arrêt de la collectivisation agricole, appel aux investissements étrangers. Parallèlement, il demande une « aide internationale » pour combattre « la famine et les épidémies ». Un recul tactique momentané. Tant mieux si « les capitalistes » croient que le communisme va peu à peu desserrer son étreinte.

Sur l'injonction du Kremlin, Maxime Gorki, “compagnon de route” qui ne cachait que peu ses critiques contre le nouveau régime, publie, le 13 juillet 1921, une Lettre ouverte à tous les Européens honnêtes et au peuple américain. Attribuant la situation à des « difficultés climatiques » et « une mauvaise récolte l'année précédente », l'écrivain conjure les Occidentaux de « donner au peuple russe du pain et des médicaments ». Le patriarche Tikhon, chef de l'Église orthodoxe russe, envoie une missive analogue au primat anglican, l'archevêque de Cantorbéry, et à d'autres dirigeants religieux.

Hoover prend à coeur la souffrances des Russes 

Le 22 juillet, le texte de Gorki est sur le bureau du directeur de l'Ara, Herbert Clark Hoover [photo], qui est aussi depuis peu le secrétaire américain au Commerce. Ce dernier fait savoir aux Russes, dès le lendemain, qu'il « prend à cœur les souffrances de leur peuple ». Mais il pose ses conditions : « L'Ara doit pouvoir opérer en Russie exactement comme dans les autres pays : ses représentants doivent pouvoir circuler librement et mettre sur pied les structures nécessaires sans aucune interférence. »

Né en 1874 dans une famille de quakers, ingénieur des mines, Hoover est un personnage plus grand que nature, comme l'Amérique aime à en produire. Il a fait fortune en Australie puis en Chine. En 1909, il séjourne en Russie : il y multiplie les investissements, avant de se raviser, car « le pays pourrait bien finir par exploser ». En 1914, à 40 ans, il s'est retiré des affaires et vit luxueusement au Royaume-Uni avec sa famille.

Il rapatrie quelque 120 000 Américains surpris sur le territoire européen

Mais dès le début du conflit, il se jette dans l'action humanitaire : « Une audace de pirate et un sens tout américain de l'organisation au service de la charité pure », note alors un diplomate britannique. Il se charge d'abord du rapatriement de 120 000 ressortissants américains surpris sur le vieux continent. Puis de l'aide alimentaire à la Belgique et à la France du Nord, occupées par l'Allemagne. Jouant de la neutralité de son pays, il nourrit 2,5 millions de civils pendant deux ans et demi.

Au printemps 1917, l'Amérique entre en guerre aux côtés des Alliés. Le président Wilson convoque Hoover à Washington et lui demande de diriger l'administration de l'Alimentation. En 1919, il le renvoie en Europe, à la tête de l'Ara nouvellement créée, pour distribuer une aide américaine à 32 pays. Y compris l'Allemagne vaincue.

Tel est l'homme qui tend la main à Gorki. Trop bien informé des choses russes pour ne pas être radicalement anticommuniste, mais persuadé que « le pain est la seule arme qui arrête les armes ».

Un accord bilatéral est paraphé le 20 août 2019. Les premiers volontaires américains arrivent par train à Moscou le 27 août. Ce sont pour la plupart des jeunes gens de bonne famille, mus par un esprit d'aventure ou par des sentiments religieux élevés. Il y a aussi des soldats démobilisés, des intellectuels d'origine russe, des journalistes, des cinéastes. Ils sont logés rue Spiridonovka, dans un ancien palais ou plutôt « une véritable ruine où plus rien ne fonctionne, ni eau courante ni chauffage ».

James Rives Childs, qui a servi en France comme ambulancier puis comme officier d'état-major, note : « Dans toute la ville, il n'y a pas un seul rire, pas un seul sourire. »

La population ne cache pas son admiration et sa gratitude

Un premier groupe de volontaires se rend dans la principale zone de famine, près de la Volga : « Pire que tout ce qu'on peut imaginer. Il faut acheminer l'aide le plus vite possible. Des milliers d'enfants meurent tous les jours. » Les trains spéciaux de l'Ara, chargés de victuailles, partent sans cesse de Moscou. Mais ils sont souvent bloqués en rase campagne : défaillances techniques, ordres et contre-ordres. Quand le convoi arrive enfin à Kazan ou à Samara, de nouveaux obstacles surgissent. À peine des assistants russes ont-ils été recrutés, par exemple, que la police politique, la Tchéka, les arrête…

Les Américains ne se découragent pas. Ils travaillent dix-huit heures par jour, étendent leur action à l'ensemble du pays. En décembre 1921, Childs parcourt à lui seul 700 kilomètres en traîneau, 250 en train ; il tient une cinquantaine de réunions avec les responsables locaux, inspecte 33 cantines et 36 orphelinats. La population ne cache pas sa gratitude ni les cadres communistes leur admiration. Lénine finit par admettre : « Hoover est notre meilleure carte », surtout quand ce dernier arrache au Congrès une forte hausse de l'aide destinée à la Russie : elle passe à 20 millions de dollars (en pouvoir d'achat, 286 millions de dollars actuels).

Idylle américano-russe ? On n'en est pas loin. Mais elle ne peut durer. La mission de l'Ara prend fin à l'été 1922 : ses structures sont reprises en main par le pouvoir bolchevique, avec des personnels sélectionnés. Tant que dure la Nep, Hoover et ses équipes sont persuadés qu'ils ont ouvert une brèche et que la Russie va se “normaliser”.

« En 1927, Staline met fin à l'expérience »

Mais cinq ans plus tard, en 1927, Staline met fin à l'expérience et relance la collectivisation. Dans ce nouveau contexte, l'arme du pain sera cyniquement retournée contre des pans entiers de la société : notamment en Ukraine, où le pouvoir organise une famine en 1932-1933 afin de mettre au pas la paysannerie. La propagande présente désormais l'Ara - que personne n'a oubliée - comme un « un complot d'espions capitalistes ».

Hoover reste secrétaire au Commerce jusqu'en 1928. Il passe donc pour l'un des artisans principaux de la prospérité que connaissent alors les États-Unis, ce qui lui vaut logiquement d'être élu président cette année-là. Las, il ne parvient pas à juguler la crise économique foudroyante de 1929 : le voici déconsidéré, puis oublié. Jusqu'à ce que les historiens, depuis une trentaine d'années, redécouvrent l'ensemble de sa saga et notamment son action en faveur de la Russie. Ainsi que l'a noté Keynes : « Jamais une opération de secours n'a été menée avec tant de ténacité, ni de façon plus désintéressée. »

Titre et Texte: Michel Gurfinkiel, Valeurs Actuelles, 12-2-2021, 15h 

Herbert Hoover na Wikipédia

The Life and Presidency of Herbert Hoover

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