Jean Degert
Le « convoi des camionneurs » qui paralyse
la capitale canadienne Ottawa est plus qu’une révolte contre les mesures
sanitaires
Une attitude condescendante
Dans un article d’opinion du
quotidien canadien National Post intitulé « Justin Trudeau le diviseur suprême des Canadiens », le
chroniqueur James Robson a comparé, le 25 janvier, le mépris du Premier
ministre pour ses contradicteurs à celui de Barack Obama dont «
l’attitude condescendante a eu un effet polarisant » sans que jamais
il ne dise son mea culpa. On se rappellera que, lorsque les tea-partiers avaient
protesté contre les taxes en 2009, Obama les avait traités de tea-baggers, une
insulte sexuelle (mettre ses testicules dans la bouche d’une personne),
reprenant l’injure d’Anderson Cooper, présentateur sur CNN, à leur
sujet.
Dans la foulée d’un Emmanuel Macron assurant qu’il souhaitait « emmerder les non-vaccinés », Justin Trudeau avait déclaré le 5 janvier au parlement que les Canadiens vaccinés étaient en colère contre ceux ne l’étant pas. Selon ses mots, les confinements et autres restrictions sont de leur faute. Le lendemain, le Toronto Sun a publié une chronique dénonçant la désignation de boucs émissaires et le silence de l’opposition. L’article rappelle les propos tenus en français par Trudeau en septembre dernier au Québec : « Il y a aussi des gens qui sont farouchement opposés à la vaccination, qui croient pas dans la science, qui sont souvent misogynes, souvent racistes, c’est un petit groupe mais qui prend de la place. Et, là, il faut faire un choix en tant que leader, en tant que pays : est-ce qu’on tolère ces gens-là ? »
Psychopathe fasciste
— Maxime Bernier (@MaximeBernier) December 28, 2021
pic.twitter.com/tuw48NwMUD
Cette tendance grandissante de certaines élites à se révolter contre les petites gens pour les disqualifier, en dissimulant de moins en moins leur mépris, explique en partie ces manifestations de colère dans un pays réputé placide.
Non-démonstration au Parlement,
démonstration devant le Parlement
Depuis le 15 janvier, les
camionneurs franchissant la frontière américano-canadienne sont censés être
vaccinés s’ils veulent éviter une quarantaine de deux semaines. De même, le
gouvernement prévoit d’obliger les routiers à l’être s’ils veulent passer d’une
province à une autre. Le média Global News souligne que,
questionnés à la Chambre des communes mi-janvier, ni le ministre fédéral de la
Santé, Jean-Yves Duclos, ni l’administratrice en chef de la santé publique, Theresa
Tam, n’ont pu démontrer de lien entre les contaminations et les routiers. 10%
des près de 230 000 routiers ont refusé la vaccination obligatoire.
Les premiers énormes poids
lourds, assez souvent ornés du drapeau à la feuille d’érable, sont entrés à
Ottawa le 28 janvier rejoints par les autres le lendemain, pour notamment
protester devant la colline du Parlement. Certains avaient pris la route dès le
22. De manière générale, l’accent médiatique a été mis sur des éléments
extrémistes censés discréditer le mouvement, tels que des manifestants
affichant un drapeau nazi, les couleurs confédérées, ou insistant pour être
nourris par des distributeurs de soupe, faute de pouvoir entrer dans les
restaurants sans passeport vaccinal. Cependant, les camionneurs avaient préparé
des provisions et ont mis en place un service d’ordre pour repérer les quelques
fauteurs de troubles.
Dans cette révolte contre un
pouvoir jugé arrogant, ils sont soutenus par le milliardaire Elon Musk (retrouvez
cet après midi un article à ce sujet sur Causeur.fr) et l’ancien
président américain Donald Trump, toujours prompts à dénoncer les élites.
La révolte d’une élite face
aux doutes et refus des petites gens: nazification et mépris
Dans La révolte des
élites et la trahison de la démocratie publié à titre posthume en
1995, l’historien et critique social américain Christopher Lasch constate un
mépris de classe grandissant, notamment sur le plan sanitaire : « Incapable
de saisir l’importance de la différence de classe dans la formation de nos
attitudes envers la vie, les libéraux de la bourgeoisie aisée (upper middle
class) ne parviennent pas à prendre la mesure de la dimension de classe
caractérisant leur obsession pour la santé et la droiture morale […] Lorsqu’ils
se trouvent confrontés à de la résistance devant ces initiatives, ils révèlent
la haine venimeuse qui ne se cache pas loin sous le masque souriant de la
bienveillance bourgeoise. La moindre opposition fait oublier aux humanitaristes
les vertus généreuses qu’ils prétendent défendre. Ils deviennent irritables,
pharisiens, intolérants. Dans le feu de la controverse politique, ils jugent
impossible de dissimuler leur mépris pour ceux qui jugent avec obstination de
voir la lumière » [1].
Autre provocation et manifestation de mépris, avant même l’entrée des routiers dans la capitale et l’agitation de l’unique drapeau nazi, le caricaturiste canadien Michael de Adder, par ailleurs employé du Washington Post, avait publié le 28 sur Twitter un dessin montrant des camions affichant le terme « fascisme », avec pour légende ironique « Chaîne d’approvisionnement ». Fortement critiqué, il a depuis supprimé son message. Le même jour, le Washington Post publiait un article d’opinion affirmant que « le mouvement partage des affinités avec les politiques autoritaires toxiques de Trump ». Rien moins que ça…
Deux jours avant l’entrée des
camionneurs dans la capitale, Justin Trudeau les avait décrits comme une « petite
minorité marginale de personnes qui se rendent à Ottawa et qui ont des opinions
inacceptables ». Et alors même qu’ils commençaient à se regrouper
devant le Parlement et que le chef du gouvernement avait été exfiltré, son
ministre des Transports, Omar Alghabra, a semblé provoquer davantage en
affirmant être en train de travailler en vue de l’obligation vaccinale pour les
transporteurs interprovinciaux.
Dans American Thinker,
Thomas Lifson, sociologue, parle d’une « escalade face à une révolte populaire » et
estime que cela témoigne d’un « mépris ressenti par les élites éduquées
– les personnes désormais connues sous le nom de classe des ordinateurs
portables pour leur capacité à fonctionner même en cas de confinement – pour
les classes inférieures dans l’ordre social. » L’auteur
ajoute : « Si ces prolos, dont la vie professionnelle
consiste à conduire des camions, entendent défier Trudeau, il leur montrera qui
a le pouvoir et qui ne l’a pas. »
De son côté, le Premier
ministre québécois, François Legault, a renoncé ce 1er février
à déposer son projet de la loi sur la contribution santé censé obliger les
personnes non-vaccinées à payer une taxe de 100 à 800 dollars selon les
revenus.
Titre et Texte: Jean Degert,
CAUSEUR,
2-2-2022
[1] Christopher
LASCH, La révolte des élites et la trahison de la démocratie,
Climats, 1996, p. 40
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