Après une campagne tonitruante, le candidat de la remigration réalise un score décevant, qui cependant était prévisible. Analyse.
Bruno Larebière
Il n’y avait pas de « vote caché ». Eric Zemmour n’a recueilli qu’autour de 7 % des voix, conformément à la prévision de Jacques de Guillebon, le directeur de la rédaction de l’Incorrect, dans l’éditorial du numéro d’avril. Comme quoi un intellectuel assis, à qui l’on reprochait de se contenter de jouer les commentateurs désabusés, peut avoir raison sur les plus fins stratèges autoproclamés. Fin de la parenthèse.
Éric Zemmour n’a pas seulement
pâti de l’invasion russe de l’Ukraine et de ses prises de position passées et
présentes – le refus honteux en même temps que politiquement suicidaire
d’accueillir les réfugiés ukrainiens –, mais aussi de sa constante
dé-présidentialisation au fur et à mesure que la campagne avançait. Autant, dès
le meeting de Villepinte, début décembre, il avait réussi, et avec quelle
maestria, à endosser le costume de l’homme d’État que les Français de droite
attendaient, autant, le mois de février étant venu, il apparut évident qu’il ne
parvenait pas à tenir le rôle sur la durée. Le commentateur avait repris le
dessus sur l’acteur de l’histoire, avec ses tics, ses mimiques, ses
démonstrations certes pertinentes mais beaucoup trop longues, finalement
perçues comme confuses parce que bien trop développées pour une époque qui ne
s’y prête pas.
Ironie du sort, Éric Zemmour aura été puni par où il avait péché : le pouvoir des études d’opinion. C’est par les sondages, qui le montraient en ascension constante avant même qu’il n’ait déclaré sa candidature à l’Élysée, que le journaliste a assis dans les médias, donc dans l’opinion, la crédibilité de sa candidature. C’est par eux aussi qu’il s’est convaincu – ou a été convaincu par son entourage – qu’il lui fallait, et même qu’il devait, pour la droite, pour la France, se porter candidat à la fonction suprême. Des sondages le donnant possiblement qualifié pour le second tour – dont celui, commandé par l’Incorrect à l’Ifop, mesurant en septembre dernier son potentiel électoral à 18 % –, comment aurait-il pu ne pas y aller ? Comme aurait-il ne pas être convaincu qu’il avait un destin ?
Or ensuite, de regain en
ressac, est arrivé le moment où les sondages ont indiqué qu’à force de vouloir
tuer le Rassemblement national, qu’à force d’attirer à lui un nombre
d’électeurs du RN suffisant pour affaiblir fortement Marine Le Pen mais sans
jamais parvenir à la tuer, il risquait bien de n’y avoir à ce jeu fratricide
qu’un seul vainqueur : Jean-Luc Mélenchon. Alors les sondages, qui avaient
fait le candidat Zemmour, l’ont défait. Puisqu’ils montraient qu’il ne pourrait
pas se qualifier pour le second tour, nombre de ses électeurs potentiels ont pensé
qu’il valait mieux assurer celle de Marine Le Pen, plutôt que de se rendre
responsable de l’anomalie historique qui aurait consisté à voir la principale
force politique française – Marine Le Pen + Zemmour = un tiers du corps
électoral – laisser place à un candidat d’extrême gauche. Quand il s’est avéré
que Marine Le Pen était en mesure de battre Emmanuel Macron, c’en était fini,
si tant est que ce ne fut pas fini il y a déjà bien longtemps.
Pour
Éric Zemmour, comme pour tous ceux qui, l’ayant rejoint, ont fait naître
l’espoir de voir une droite française renaître, le plus dur commence
Éric Zemmour, pourtant
observateur avisé des campagnes présidentielles depuis celle de 1981, a oublié,
peut-être grisé par la force militante phénoménale qui s’est mobilisée pour
lui, que les thématiques de pré-campagne ne sont jamais celles de la campagne,
et encore moins celles de la fin de campagne ; que penser le tragique de
l’histoire implique de penser sa totale imprévisibilité ; que la
mobilisation militante n’induit pas forcément des résultats électoraux de même
ampleur ; et, plus prosaïquement, qu’il n’y avait pas de raison que la
« règle des trois L. » théorisée par Jean-François Kahn l’épargne,
lui, plus qu’un autre. Léché à l’automne, lâché en plein hiver, lynché au
printemps : la règle ne pouvait que s’appliquer à un candidat tel que lui.
Et maintenant ? Pour Éric
Zemmour, comme pour tous ceux qui, l’ayant rejoint, ont fait naître l’espoir de
voir une droite française renaître, le plus dur commence. Avec cette priorité
immédiate : ne pas obérer les chances de Marine Le Pen, aussi minces
soient-elles, d’accéder à la présidence de la République.
Titre et Texte: Bruno
Larebière, L’Incorrect,
10-4-2022
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