sexta-feira, 22 de abril de 2022

Psychopathologie du débat

Le débat aura donc eu lieu un peu avant, beaucoup après, très peu pendant... Michel Onfray analyse le grand débat de la Présidentielle

Michel Onfray


Dans les écoles de journalisme, qui seront bientôt ouvertes aux titulaires du bac technologique, c’est dire si l’on a trouvé le schmilblick pour arrêter la pénurie d’intelligence dans ce milieu, on présente le-débat-d’entre-les-deux-tours comme un grand moment de démocratie !

Laissez-moi rire…

C’est au contraire un grand moment à intégrer dans la société du spectacle qui se présente comme l’exercice ultime d’une démocratie morte et pas encore enterrée - disons-le autrement : quand, comme maintenant, elle pue la charogne que cette caste voudrait nous faire prendre pour de l’eau de rose.

Le journalisme est devenu un rouage majeur du dispositif autoritaire qui a supplanté l’exercice de la démocratie. Massivement, les journaux ont appelé à voter pour Macron. Qui ne l’a pas fait parmi les quotidiens ? Les uns par conviction, les autres par défaut, ici grossièrement, vulgairement ; là, plus subtilement, sans en avoir l’air. Tous ces journaux ont en commun, droite et gauche confondues, d’être détenus par une poignée de milliardaires qui défendent bec et ongles le régime unique du parti unique : celui de la mondialisation.

Ils ont en commun également, bien que propriétés de milliardaires, d’être massivement aidés par l’argent du contribuable au nom, je vous le donne en mille, de la liberté d’expression ! C’est-à-dire qu’on prend dans la poche du citoyen de l’argent offert à des milliardaires pour qu’ils impriment des journaux qui ne se vendent pas et insultent les contribuables qui ont l’audace de ne pas voter pour leur candidat maastrichtien.

Ce vol manifeste se double d’une déontologie de mafieux. Deux exemples. Le débat n’est pas encore terminé, il en est à sa moitié, que Libération imprime déjà sa « Une » contre Marine Le Pen : « Toujours pas au niveau ! ».

Ce journal qui fit l’éloge du maoïsme, des massacres de Pol-Pot, de la pédophilie, qui, aujourd’hui, nouveaux combats progressistes, justifie la zoophilie et la coprophagie (lire le texte de Beatriz Preciado,Manifeste contra-sexuel, publié le 17 janvier 2014), mais aussi la location d’utérus et la marchandisation des ovocytes des femmes pauvres ou la vente d’enfants, ce journal, donc, ne craint pas de rendre compte d’un débat qu’il n’a pas vu !

Autre exemple : Nathan Devers, présenté sur CNEWS comme « agrégé de philosophie, éditeur de la revue La règle du jeu », la revue de BHL pour ceux qui l’ignorent et qui sont nombreux. Ce jeune homme y va des habituelles jongleries qui constituent le fonds de commerce des normaliens dont il est. Il dit, paradoxal et à contre-courant de l’évidence pour paraitre profond, comme on apprend à le faire l’ENS : « Marine Le Pen n’a pas fait mieux que lors de son dernier débat… elle a fait pire ! » - une thèse qu’aucune personne de bonne foi ne saurait soutenir.

Suit une argumentation dans laquelle, naïf, vraiment naïf, il ajoute qu’il n’est pas allé au-delà d’une heure de ce débat qui l’a ennuyé… Rappelons que Nathan Devers est éditorialiste sur CNEWS, c’est-à-dire payé par la chaine pour rendre ses oracles, et qu’il ne trouve pas malhonnête de regarder la moitié d’un débat, mais d’en disserter tout de même longuement le lendemain matin et ce de façon péremptoire - et négative pour MLP bien sûr ! Il ne l’a pas vue, mais elle a été moins bonne que la fois d’avant, un débat qu’il n’a peut-être pas non plus regardé. Peu importe la vérité, il faut tenir son rang : celui du porteur d’eau du système qui encaisse le chèque à chaque prise de parole éditorialisée bienpensante. Bonjour l’honnêteté. Il ira loin ce garçon.

Ce sont des journalistes de cet acabit qui ont rendu compte de mon débat avec Zemmour la veille du jour où il a eu lieu, l’an dernier, dans L’Obs ou qui, dans Marianne pour Jean-François Khan et Jacques Julliard, pour BHL, le patron de Nathan Devers, dans Le Point, ont dit pis que pendre de Front Populaire que Stéphane Simon et moi venions d’annoncer et dont ils n’avaient pu lire la moindre ligne pour la bonne et simple raison qu’aucun article n’avait encore été écrit puisque nous nous étions contentés de dévoiler qu’en plein covid nous travaillions à une revue souverainiste. Nous étions pourtant déjà des rouge-bruns, des fascistes d’avant-guerre, et même, pour BHL, j’étais Jacques Doriot, autrement dit : un Français ayant porté l’uniforme nazi sur le front russe !

Voilà la presse, ses méthodes, sa déontologie.

Et ce sont ces gens qui, après avoir censuré Russia Today ou Sputnik en France, sur ordre de l’Europe maastrichtienne qui aime la liberté, comme chacun sait, donnent des leçons de liberté de la presse !

Rappelons que, sous Macron, la France a reculé de 4 places dans le classement annuel mondial de la liberté de la presse effectué par Reporters sans frontières. Elle se trouve désormais à la 34e place. Pour info, le Costa-Rica est 5e, la Jamaïque 7e, le Suriname 19e, Samoa 21e, la Namibie 24e, le Ghana 30e. Nous ne sommes pas bien loin du Burkina Faso…

Il faudrait également parler du rôle des sondages dans la fabrication de l’opinion. Le sondeur n’est pas un scientifique, mais un propagandiste prescripteur.

Arbitrairement, j’effectue une capture d’écran sur un sondage paru le 7 avril sur BFM pour la chaine, Opinion Way et SFR. Il donne Macron à 27.4 % et Marine Le Pen à 21 %. On ne s’étonnera pas qu’en regard des résultats obtenus trois jours plus tard Macron ait été surestimé d’un point et demi et Marine Le Pen sous-estimée de quatre. Six points et demi les séparent dans le sondage, un point dans la réalité. On connait les éléments de langage des sondeurs : « le sondage n’est que la photographie à un moment donné », tralala tralalère… Mais avec ce genre de surestimations et de sous-estimations prétendument obtenues par les fameuses corrections de ces sondeurs, la clé du dispositif propagandiste, on fabrique des tendances, on impulse des dynamiques de votes dits utiles. « Ah mince, Machin remonte, je vais le contrer en votant Bidule », et voici pourquoi votre jeune fille est muette…

Ce sont donc ces sondeurs qui, moins d’une heure après le débat, sur un échantillon ai-je entendu de 700 personnes (!), soit un petit village français, annonce que Macron a été le plus convaincant à presque 60% au détriment de Le Pen à 40%. Eux au moins, au contraire de Libération, n’ont pas publié le résultat de ce « sondage » avant la fin de l’émission : c’eut été vraiment trop gros ! Ils ont finement fait courir un faux suspens qui permettait aux journalistes de dire qu’ils attendaient les calculs… Nathan Devers aurait pu les commenter avant même qu’ils ne paraissent. On apprend à faire ce genre de choses à l’ENS et à La Règle du jeu, la mal nommée…

Le flux d’informations aidant, chaines d’infos continues et réseaux sociaux chauffant vingt-quatre heures sur vingt-quatre, le débat eut lieu donc avant le débat, puis après, à peine pendant. Pendant, la plupart vérifient leurs intuitions : ils voient ce qu’ils croient. Pas question de croire ce qu’ils voient.

Ce fut un débat de ministres de l’Europe maastrichtienne. Une litanie de chiffres, de pourcentages, de calculs assénés par l’un et contestés par l’autre. Ce chiffre était-il trimestriel ou annuel ? Mais madame… Cette courbe était ascendante le mois d’avant où vous la prenez ! La baisse était une remontée est-il dit ici ; la baisse était vraiment une baisse est-il dit là… Les chômeurs A, B, C dit-elle ; mais on ne compte pas les chômeurs B et C répond-t-il. « Si vous me permettez de rester président, je ferai ce que j’ai pas eu le temps de faire », dit Macron ; si vous me faites l’honneur de me porter à la présidence, je ferai ce qu’il n’a pas fait, dit Le Pen. Le roi s’avachit dans sa chaise, la prétendante cherche une fiche. Agent du KGB dit presque le jeune homme ; épargné des éoliennes du Touquet dit l’autre. Comme débat de civilisation, ça se posait là ! In fine, salamalecs de politesses convenues chez ces deux-là qui se dévoreraient le museau s’ils pouvaient le faire impunément. C’était un combat de géants.

Ce qui s’est joué dans ce débat c’est l’affrontement de deux psychopathologies.

Macron fut tel qu’en lui-même l’éternité ne le changera pas : premier de la classe qui se croit béni des dieux parce que, jadis, il a été remarqué par les professeurs comme le bon élève de sa Cinquième, avec une mention spéciale pour le théâtre dans lequel il excelle. Un mélange d’arrogance et de suffisance, de prétention et d’effronterie : il a loupé deux fois le concours d’entrée à l’École Normale supérieure, c’est injuste, il eut mérité d’y entrer, il y aurait fait des étincelles - pas forcément du feu...

Dans ce faux débat, il a donné des leçons comme un prof à Sup de Co ; il a récité des tableaux Excel, il eut fait merveille à une école supérieure de comptabilité ; il a fait l’offusqué, il a cité Majax, il est toujours au top du club théâtre de son lycée, plutôt dans du Labiche que dans du Racine ; il s’est avachi dans son fauteuil, probablement un artifice de mise en scène concocté par son coach en la matière pour signifier la décontraction dans le registre « même pas peur » ; il a dit qu’il avait été parfait partout, sur tout et que personne n’aurait mieux fait que lui - pas de risque qu’il pense contre lui comme le serine la gauche avec cette scie musicale sartrienne : il était bien le Macron que l’on connait depuis cinq ans.

Et puis il y a Marine Le Pen.

Il y a cinq ans, elle avait bêtement souscrit à la ruse de Macron qui avait fait savoir que, si elle se montrait par trop agressive, il quitterait le plateau. Ni une, ni deux, elle tombe dans le panneau, elle agresse. Le renard ne quitte pas le plateau, le corbeau perd son fromage. Macron : 1. Marine Le Pen : 0.

Elle a donc porté sa croix pendant cinq ans. Tout le monde, y compris dans son camp, surtout dans son camp, a crié à l’incompétence, à l’amateurisme, à l’inaptitude, au dilettantisme. Que ne fut-il dit ! Elle n’a pas travaillé ; elle ne comprend rien ; elle est inculte ; elle est fêtarde et n’aime que la fête ; elle ne lit pas la liste des livres qu’on lui prépare dit l’un ; elle se moque comme d’une guigne de la culture dit l’autre. Dernier clou dans le cercueil : c’est une femme à chats quand d’autres sont des hommes à livres, dit un jour Eric Zemmour qui se lance dans la course en disant qu’elle ne gagnera jamais - quelques-uns, attirés par l’odeur du sang, quittent le RN pour Reconquête.

Dans ce débat, Marine Le Pen n’a pas joué la carte du chef de l’État potentiel, elle a joué celle de l’offense à laver. Pour ne pas laisser dans l’histoire la seule trace d’une femme ayant trois fois échoué lamentablement, elle a pris le risque d’échouer élégamment. Pour faire oublier l’offense, il lui fallait être compétente, informée, calme, sereine, autrement dit : le contraire de ce qu’elle avait été cinq ans plus tôt. Elle l’a été. Ça suffit pour laver un affront, pas pour accéder à la présidence de la république en fédérant un peuple qui n’attend pourtant que ça.

Macron a tapé juste quand il lui a dit que la totalité de son programme était impraticable si elle restait dans le cadre de l’Europe maastrichtienne. C’est hélas vrai et c’est la preuve qu’en France, l’État maastrichtien tient la barre, mais plus du tout l’État français.

Qui peut croire que Marine Le Pen puisse changer une Europe de vingt-sept pays en convainquant chacun de ces pays, l’Allemagne en premier lieu, de la justesse de son cap ? Cette Europe-là hait tout ce que MLP prétend défendre : le peuple, l’État, la nation, les pauvres, les sans-grades, les gens modestes, les campagnes, en un mot : la France.

Ce débat n’en fut pas un parce qu’opposer un arrogant suffisant à une revancharde en quête de résilience ne suffit pas pour un vrai débat politique de civilisation. Macron est le client avoué du système ; Le Pen serait le client rattrapé du système.

Une véritable campagne présidentielle eut nécessité une figure courageuse qui propose le cap véritable du Frexit à même de permettre la seule révolution qui soit : recouvrer sa souveraineté pour mener la politique voulue par le peuple, pour le peuple - définition de la démocratie, faut-il le rappeler ? Ce souverainisme, c’est proprement l’essence du gaullisme.

Au lieu de potasser des fiches pendant cinq ans pour ne pas perdre figure une seconde fois dans un débat de deuxième tour, Marine Le Pen eut gagné à avoir des convictions, mais avoir des convictions, ça ne se décrète pas…

Ce débat a montré dans les lumières d’un plateau de télévision l’état de décomposition politique dans lequel se trouve notre pays : les Français ne voulaient pas d’un second tour Macron / Le Pen ; ils l’ont. Ils disent depuis 2005 et leur vote « Non » au traité constitutionnel européen qu’ils ne veulent pas de cette Europe qui saigne les plus pauvres et enrichit les plus riches ; on leur inflige tout de même cette Europe-là depuis le traité de Lisbonne (2008) : c’est ce coup d’État qui a écœuré les Français qui votent tout, n’importe quoi, ou qui, comme moi, ne votent plus pour ne plus participer à cette mascarade. J’ai parié depuis des mois et des mois qu’un candidat maastrichtien serait élu à cette élection. Ce sera le cas - y compris dans l’hypothèse MLP.

Un pays dans lequel on connait les résultats de l’élection avant qu’elle n’ait lieu n’est pas ou plus une démocratie. On a beau jeu de rire de la Russie de Poutine. Libération peut faire imprimer dès ce soir la Une du lendemain de l’élection.

« Vote connard », chantait Léo Ferré…

Titre et Texte: Michel Onfray, Front Populaire, 22-4-2022 

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