Le débat aura donc eu lieu un peu avant, beaucoup après, très peu pendant... Michel Onfray analyse le grand débat de la Présidentielle
Michel Onfray
Laissez-moi rire…
C’est au contraire un grand
moment à intégrer dans la société du spectacle qui se présente comme l’exercice
ultime d’une démocratie morte et pas encore enterrée - disons-le autrement :
quand, comme maintenant, elle pue la charogne que cette caste voudrait nous
faire prendre pour de l’eau de rose.
Le journalisme est devenu un
rouage majeur du dispositif autoritaire qui a supplanté l’exercice de la
démocratie. Massivement, les journaux ont appelé à voter pour Macron. Qui ne
l’a pas fait parmi les quotidiens ? Les uns par conviction, les autres par
défaut, ici grossièrement, vulgairement ; là, plus subtilement, sans en avoir
l’air. Tous ces journaux ont en commun, droite et gauche confondues, d’être
détenus par une poignée de milliardaires qui défendent bec et ongles le régime
unique du parti unique : celui de la mondialisation.
Ils ont en commun également,
bien que propriétés de milliardaires, d’être massivement aidés par l’argent du
contribuable au nom, je vous le donne en mille, de la liberté d’expression !
C’est-à-dire qu’on prend dans la poche du citoyen de l’argent offert à des
milliardaires pour qu’ils impriment des journaux qui ne se vendent pas et
insultent les contribuables qui ont l’audace de ne pas voter pour leur candidat
maastrichtien.
Ce vol manifeste se
double d’une déontologie de mafieux. Deux exemples. Le débat n’est
pas encore terminé, il en est à sa moitié, que Libération imprime
déjà sa « Une » contre Marine Le Pen : « Toujours pas au niveau ! ».
Ce journal qui fit l’éloge du
maoïsme, des massacres de Pol-Pot, de la pédophilie, qui, aujourd’hui, nouveaux
combats progressistes, justifie la zoophilie et la coprophagie (lire le texte
de Beatriz Preciado,Manifeste contra-sexuel, publié le 17
janvier 2014), mais aussi la location d’utérus et la marchandisation des
ovocytes des femmes pauvres ou la vente d’enfants, ce journal, donc, ne craint
pas de rendre compte d’un débat qu’il n’a pas vu !
Autre exemple : Nathan Devers, présenté sur CNEWS comme « agrégé de philosophie, éditeur de la revue La règle du jeu », la revue de BHL pour ceux qui l’ignorent et qui sont nombreux. Ce jeune homme y va des habituelles jongleries qui constituent le fonds de commerce des normaliens dont il est. Il dit, paradoxal et à contre-courant de l’évidence pour paraitre profond, comme on apprend à le faire l’ENS : « Marine Le Pen n’a pas fait mieux que lors de son dernier débat… elle a fait pire ! » - une thèse qu’aucune personne de bonne foi ne saurait soutenir.
Suit une argumentation dans
laquelle, naïf, vraiment naïf, il ajoute qu’il n’est pas allé au-delà d’une
heure de ce débat qui l’a ennuyé… Rappelons que Nathan Devers est éditorialiste
sur CNEWS, c’est-à-dire payé par la chaine pour rendre ses oracles, et qu’il ne
trouve pas malhonnête de regarder la moitié d’un débat, mais d’en disserter
tout de même longuement le lendemain matin et ce de façon péremptoire - et
négative pour MLP bien sûr ! Il ne l’a pas vue, mais elle a été moins bonne que
la fois d’avant, un débat qu’il n’a peut-être pas non plus regardé. Peu importe
la vérité, il faut tenir son rang : celui du porteur d’eau du système qui
encaisse le chèque à chaque prise de parole éditorialisée bienpensante. Bonjour
l’honnêteté. Il ira loin ce garçon.
Ce sont des journalistes de
cet acabit qui ont rendu compte de mon débat avec Zemmour la veille du
jour où il a eu lieu, l’an dernier, dans L’Obs ou
qui, dans Marianne pour Jean-François Khan et Jacques
Julliard, pour BHL, le patron de Nathan Devers, dans Le Point,
ont dit pis que pendre de Front Populaire que Stéphane
Simon et moi venions d’annoncer et dont ils n’avaient pu lire la moindre ligne
pour la bonne et simple raison qu’aucun article n’avait encore été écrit
puisque nous nous étions contentés de dévoiler qu’en plein covid nous
travaillions à une revue souverainiste. Nous étions pourtant déjà des
rouge-bruns, des fascistes d’avant-guerre, et même, pour BHL, j’étais Jacques
Doriot, autrement dit : un Français ayant porté l’uniforme nazi sur le front
russe !
Voilà la presse, ses méthodes,
sa déontologie.
Et ce sont ces gens qui, après
avoir censuré Russia Today ou Sputnik en
France, sur ordre de l’Europe maastrichtienne qui aime la liberté, comme chacun
sait, donnent des leçons de liberté de la presse !
Rappelons que, sous Macron, la
France a reculé de 4 places dans le classement annuel mondial de la liberté de
la presse effectué par Reporters sans frontières. Elle se trouve désormais à la
34e place. Pour info, le Costa-Rica est 5e, la Jamaïque 7e, le Suriname 19e,
Samoa 21e, la Namibie 24e, le Ghana 30e. Nous ne sommes pas bien loin du
Burkina Faso…
Il faudrait également parler
du rôle des sondages dans la fabrication de l’opinion. Le sondeur n’est pas un
scientifique, mais un propagandiste prescripteur.
Arbitrairement, j’effectue une
capture d’écran sur un sondage paru le 7 avril sur BFM pour la chaine, Opinion
Way et SFR. Il donne Macron à 27.4 % et Marine Le Pen à 21 %. On ne s’étonnera
pas qu’en regard des résultats obtenus trois jours plus tard Macron ait
été surestimé d’un point et demi et Marine Le Pen sous-estimée de
quatre. Six points et demi les séparent dans le sondage, un point dans la
réalité. On connait les éléments de langage des sondeurs : « le sondage n’est
que la photographie à un moment donné », tralala tralalère… Mais avec ce genre
de surestimations et de sous-estimations prétendument obtenues par les fameuses
corrections de ces sondeurs, la clé du dispositif propagandiste, on
fabrique des tendances, on impulse des dynamiques de votes dits utiles. « Ah
mince, Machin remonte, je vais le contrer en votant Bidule », et voici pourquoi
votre jeune fille est muette…
Ce sont donc ces sondeurs qui,
moins d’une heure après le débat, sur un échantillon ai-je entendu de 700
personnes (!), soit un petit village français, annonce que Macron a été le plus
convaincant à presque 60% au détriment de Le Pen à 40%. Eux au moins, au
contraire de Libération, n’ont pas publié le résultat de ce
« sondage » avant la fin de l’émission : c’eut été vraiment trop gros ! Ils ont
finement fait courir un faux suspens qui permettait aux journalistes de dire
qu’ils attendaient les calculs… Nathan Devers aurait pu les commenter avant
même qu’ils ne paraissent. On apprend à faire ce genre de choses à l’ENS et
à La Règle du jeu, la mal nommée…
Le flux d’informations aidant,
chaines d’infos continues et réseaux sociaux chauffant vingt-quatre heures sur
vingt-quatre, le débat eut lieu donc avant le débat, puis après, à peine
pendant. Pendant, la plupart vérifient leurs intuitions : ils voient ce
qu’ils croient. Pas question de croire ce qu’ils voient.
Ce fut un débat de ministres
de l’Europe maastrichtienne. Une litanie de chiffres, de pourcentages, de
calculs assénés par l’un et contestés par l’autre. Ce chiffre était-il trimestriel
ou annuel ? Mais madame… Cette courbe était ascendante le mois d’avant où vous
la prenez ! La baisse était une remontée est-il dit ici ; la baisse était
vraiment une baisse est-il dit là… Les chômeurs A, B, C dit-elle ; mais on ne
compte pas les chômeurs B et C répond-t-il. « Si vous me permettez de rester
président, je ferai ce que j’ai pas eu le temps de faire », dit Macron ; si
vous me faites l’honneur de me porter à la présidence, je ferai ce qu’il n’a
pas fait, dit Le Pen. Le roi s’avachit dans sa chaise, la prétendante cherche
une fiche. Agent du KGB dit presque le jeune homme ; épargné des éoliennes du
Touquet dit l’autre. Comme débat de civilisation, ça se posait là ! In fine,
salamalecs de politesses convenues chez ces deux-là qui se dévoreraient le
museau s’ils pouvaient le faire impunément. C’était un combat de géants.
Ce qui s’est joué dans ce
débat c’est l’affrontement de deux psychopathologies.
Macron fut tel qu’en lui-même
l’éternité ne le changera pas : premier de la classe qui se croit béni des
dieux parce que, jadis, il a été remarqué par les professeurs comme le bon
élève de sa Cinquième, avec une mention spéciale pour le théâtre dans lequel il
excelle. Un mélange d’arrogance et de suffisance, de prétention et
d’effronterie : il a loupé deux fois le concours d’entrée à l’École Normale
supérieure, c’est injuste, il eut mérité d’y entrer, il y aurait fait des
étincelles - pas forcément du feu...
Dans ce faux débat, il a donné
des leçons comme un prof à Sup de Co ; il a récité des tableaux Excel, il eut
fait merveille à une école supérieure de comptabilité ; il a fait l’offusqué,
il a cité Majax, il est toujours au top du club théâtre de son lycée, plutôt
dans du Labiche que dans du Racine ; il s’est avachi dans son fauteuil,
probablement un artifice de mise en scène concocté par son coach en la matière
pour signifier la décontraction dans le registre « même pas peur » ; il a dit
qu’il avait été parfait partout, sur tout et que personne n’aurait mieux fait
que lui - pas de risque qu’il pense contre lui comme le serine
la gauche avec cette scie musicale sartrienne : il était bien le Macron que
l’on connait depuis cinq ans.
Et puis il y a Marine Le Pen.
Il y a cinq ans, elle avait
bêtement souscrit à la ruse de Macron qui avait fait savoir que, si elle se
montrait par trop agressive, il quitterait le plateau. Ni une, ni deux, elle
tombe dans le panneau, elle agresse. Le renard ne quitte pas le plateau, le
corbeau perd son fromage. Macron : 1. Marine Le Pen : 0.
Elle a donc porté sa croix
pendant cinq ans. Tout le monde, y compris dans son camp, surtout dans son
camp, a crié à l’incompétence, à l’amateurisme, à l’inaptitude, au
dilettantisme. Que ne fut-il dit ! Elle n’a pas travaillé ; elle ne comprend
rien ; elle est inculte ; elle est fêtarde et n’aime que la fête ; elle ne lit
pas la liste des livres qu’on lui prépare dit l’un ; elle se moque comme d’une
guigne de la culture dit l’autre. Dernier clou dans le cercueil : c’est une
femme à chats quand d’autres sont des hommes à livres, dit un jour Eric Zemmour
qui se lance dans la course en disant qu’elle ne gagnera jamais - quelques-uns,
attirés par l’odeur du sang, quittent le RN pour Reconquête.
Dans ce débat, Marine Le Pen
n’a pas joué la carte du chef de l’État potentiel, elle a joué celle de
l’offense à laver. Pour ne pas laisser dans l’histoire la seule trace d’une
femme ayant trois fois échoué lamentablement, elle a pris le risque d’échouer
élégamment. Pour faire oublier l’offense, il lui fallait être compétente,
informée, calme, sereine, autrement dit : le contraire de ce qu’elle avait été
cinq ans plus tôt. Elle l’a été. Ça suffit pour laver un affront, pas pour
accéder à la présidence de la république en fédérant un peuple qui n’attend
pourtant que ça.
Macron a tapé juste quand il
lui a dit que la totalité de son programme était impraticable si elle restait
dans le cadre de l’Europe maastrichtienne. C’est hélas vrai et c’est la preuve
qu’en France, l’État maastrichtien tient la barre, mais plus du tout l’État
français.
Qui peut croire que Marine Le
Pen puisse changer une Europe de vingt-sept pays en convainquant chacun de ces
pays, l’Allemagne en premier lieu, de la justesse de son cap ? Cette Europe-là
hait tout ce que MLP prétend défendre : le peuple, l’État, la nation, les
pauvres, les sans-grades, les gens modestes, les campagnes, en un mot : la
France.
Ce débat n’en fut pas un parce
qu’opposer un arrogant suffisant à une revancharde en quête de résilience ne
suffit pas pour un vrai débat politique de civilisation. Macron est le client
avoué du système ; Le Pen serait le client rattrapé du système.
Une véritable campagne
présidentielle eut nécessité une figure courageuse qui propose le cap véritable
du Frexit à même de permettre la seule révolution qui soit : recouvrer sa
souveraineté pour mener la politique voulue par le peuple, pour le peuple -
définition de la démocratie, faut-il le rappeler ? Ce souverainisme, c’est
proprement l’essence du gaullisme.
Au lieu de potasser des fiches
pendant cinq ans pour ne pas perdre figure une seconde fois dans un débat de
deuxième tour, Marine Le Pen eut gagné à avoir des convictions, mais avoir des
convictions, ça ne se décrète pas…
Ce débat a montré dans les lumières
d’un plateau de télévision l’état de décomposition politique dans lequel se
trouve notre pays : les Français ne voulaient pas d’un second tour Macron / Le
Pen ; ils l’ont. Ils disent depuis 2005 et leur vote « Non » au traité
constitutionnel européen qu’ils ne veulent pas de cette Europe qui saigne les
plus pauvres et enrichit les plus riches ; on leur inflige tout de même cette
Europe-là depuis le traité de Lisbonne (2008) : c’est ce coup d’État qui a
écœuré les Français qui votent tout, n’importe quoi, ou qui, comme moi, ne
votent plus pour ne plus participer à cette mascarade. J’ai parié depuis des
mois et des mois qu’un candidat maastrichtien serait élu à cette élection. Ce
sera le cas - y compris dans l’hypothèse MLP.
Un pays dans lequel on connait
les résultats de l’élection avant qu’elle n’ait lieu n’est pas ou plus une
démocratie. On a beau jeu de rire de la Russie de Poutine. Libération peut
faire imprimer dès ce soir la Une du lendemain de l’élection.
« Vote connard », chantait Léo
Ferré…
Titre et Texte: Michel
Onfray, Front Populaire, 22-4-2022
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