terça-feira, 19 de abril de 2022

[L’édito de Valérie Toranian] Revirements et contorsions : le chamboule-tout de l’entre-deux-tours

Valérie Toranian

Bienvenue dans le chamboule-tout de l’entre-deux-tours, la foire aux contorsions politiques et aux grands écarts idéologiques. On brade la ligne politique, on fait des réductions sur les grands principes, tous les coups ou presque sont permis dans la chasse aux voix mélenchonistes.

Le spectacle qu’offrent aux Français tant Emmanuel Macron que Marine Le Pen, pour récupérer une partie des 22 % de voix du candidat d’extrême gauche donne le « vire-vire », comme disent les Provençaux. Les électeurs de Jean-Luc Mélenchon sont plutôt jeunes, plutôt écolos, assez souvent issus des classes populaires et le leader de la France insoumise arrive en tête dans les quartiers à forte composante musulmane. Écologie, classes populaires, communauté musulmane : voilà donc la feuille de route de nos deux candidats pour leur dernière « ligne droite » qui n’aura jamais aussi mal porté son nom.

Vent debout contre les éoliennes qui défigurent le paysage de la France, le RN ne souhaite désormais plus les démanteler (ce qui coûterait la bagatelle de 800 millions d’euros). « Il faut attendre qu’elles finissent leur vie » et ensuite on ne les remplace pas, a déclaré Louis Aliot. Pas un changement de programme, argumente le maire de Perpignan, il s’agit simplement de « repréciser les choses ». Pas sûr que la perspective de champs d’éoliennes rouillées, s’écroulant les unes derrière les autres n’envoie un signal fort aux électeurs verts de Jean-Luc Mélenchon.

Emmanuel Macron n’est pas en reste sur l’écologie. (…) Le président sortant a promis un « avenir en commun » (nom du programme de la France insoumise !), un quinquennat écologique, pour une nation écologique avec un Premier ministre « directement chargé de la planification écologique ».

Emmanuel Macron n’est pas en reste sur l’écologie. Il en a fait le point central de son meeting à Marseille, le samedi 16 avril. Plus belle, la vie en vert. Le président sortant a promis un « avenir en commun » (nom du programme de la France insoumise !), un quinquennat écologique, pour une nation écologique avec un Premier ministre « directement chargé de la planification écologique ». Il sera épaulé par un ministre « chargé de la planification écologique territoriale » et un autre responsable de la « planification énergétique, pour faire sortir la France du gaz, du pétrole et du charbon ». Trois plans pour le prix d’un. Il a conclu son discours en affirmant que le 24 avril était, entre autres, « un référendum pour ou contre l’écologie ». Tout cela ne figurait pas dans son programme. Cela suffira-t-il à « retourner » les électeurs de la France insoumise qui comptent voter blanc et s’abstenir ? Pas certain non plus.

Point fort de Marine Le Pen pour draguer l’électeur de la France insoumise, la retraite à 60 ans. Emmanuel Macron réajuste le tir : la retraite à 65 ans, oui mais en fait non, pas vraiment, plutôt 64, de toute façon on verra plus tard. Point faible de Marine Le Pen pour l’électeur de LFI, son référendum d’initiative citoyenne qui permettrait aux Français de demander le rétablissement de la peine de mort. Elle réajuste le tir : désormais la candidate du Rassemblement national considère que c’est impossible car inconstitutionnel. Il était temps de s’en apercevoir !

Mais c’est la question du foulard islamique qui a donné lieu aux « ajustements » les plus démagogiques. Jean-Luc Mélenchon n’ayant cessé de faire campagne sur l’islamophobie de la France et le racisme d’État, il fait carton plein dans les quartiers à forte composante arabo-musulmane et en outre-mer. C’est une priorité pour nos deux candidats : s’attirer une partie du vote musulman séduit par le candidat de la France insoumise. Marine Le Pen qui, la veille encore, considérait l’interdiction du voile dans l’espace public comme une mesure essentielle, a rétropédalé lors d’un déplacement à Saint-Rémy-sur-Avre le 16 avril : elle y a déclaré que le voile est un « problème complexe », qu’elle n’est « pas obtuse » et que sa mesure sera débattue à l’Assemblée nationale. Ce n’est plus « une priorité » ont insisté ses lieutenants.

Emmanuel Macron, lui, a cru bon devoir s’émerveiller devant une femme « librement voilée et féministe » à Strasbourg. Un moment pitoyable que les soutiens laïques et républicains du candidat ont eu du mal à défendre.

Emmanuel Macron, lui, a cru bon devoir s’émerveiller devant une femme « librement voilée et féministe » à Strasbourg. Un moment pitoyable que les soutiens laïques et républicains du candidat ont eu du mal à défendre. Emmanuel Macron est le produit d’une élite libérale, anglo-saxonne, a priori assez favorable au modèle multiculturel. Il a changé au cours de son mandat devant le constat de la montée de l’islam politique, des réseaux des Frères musulmans et salafistes. Il en a résulté la loi contre le séparatisme qui s’attaque à la radicalisation. Mais visiblement le président sortant n’a pas compris le symbole que représente aujourd’hui en France le foulard islamique. C’est un acte militant, souvent « librement » choisi, identitaire, incarnation d’un islam qui se veut politique plus que religieux et qui veut faire de la femme voilée la représentante de la femme musulmane. Qui veut imposer cette équivalence à l’ensemble du monde musulman. Qui veut en faire l’étendard de la reconnaissance des droits d’une communauté supposée stigmatisée et en proie à l’islamophobie. Pas question de pratique religieuse privée qui n’a pas besoin de s’extérioriser. Il faut bien au contraire se montrer, s’ériger en victime des « laïcards », manifester. Se proclamer « libres et féministes » et exiger qu’on vous reconnaisse comme telle.

Ce n’est pas par hasard si cette jeune femme apostrophe le président Macron avec cette question : « Êtes-vous féministe ? » Il répond oui et le piège se referme. Car ce qui sous-tend cette question est : si vous l’êtes alors vous devez respecter le choix des femmes et mon choix c’est le foulard… Une dialectique perverse, un retournement des valeurs qui est la signature même de l’islam politique. Culpabiliser au nom de nos propres valeurs.

Dans ce dialogue, le président Macron aurait dû affirmer son féminisme certes, mais refuser de commenter le pseudo-féminisme de son interlocutrice. Ne pas lui demander, comble de la démagogie, si elle portait le foulard par choix ou par contrainte (comme si elle allait répondre devant les caméras qu’elle était contrainte !… Et encore une fois, le problème n’est pas là). Il n’aurait pas dû s’émerveiller qu’elle porte librement le foulard et soit « féministe ».

Car, non, il ne suffit pas de s’exprimer en tant que femme pour tenir des propos féministes. Le foulard est le symbole même d’une inégalité entre les deux sexes, il oblige la femme à la « pudeur » et à la soumission en l’obligeant à se couvrir pour ne pas susciter le désir chez l’homme, désir qui le transforme en prédateur, ce dont la femme est responsable. Le président Macron avait pourtant déclaré en 2018 que le voile nous insécurisait parce qu’il n’était pas « conforme à la civilité qu’il y a dans notre pays. Nous sommes attachés à l’égalité entre la femme et l’homme ».

Comme le rappelle Fatiha Boudjahlat, si cette femme « peut jouir de droits égaux, de libertés, ce n’est pas à l’islam ou à une pratique cool de l’islam qu’elle le doit, mais à l’État de droit et aux valeurs occidentales, européennes et françaises qui contiennent, retiennent les religieux. »

Emmanuel Macron aurait dû se contenter de marquer sa différence avec Marine Le Pen en rappelant qu’il n’interdirait jamais le foulard dans l’espace public. Et ne surtout pas se livrer à cet échange complaisant. Comme le rappelle Fatiha Boudjahlat, si cette femme « peut jouir de droits égaux, de libertés, ce n’est pas à l’islam ou à une pratique cool de l’islam qu’elle le doit, mais à l’État de droit et aux valeurs occidentales, européennes et françaises qui contiennent, retiennent les religieux. »

Du point de vue des entrepreneurs identitaires qui rêvent d’étendre leur influence sur l’ensemble de la communauté et qui veulent s’ériger en représentant d’un islam politique militant auprès des pouvoirs publics, cet échange public clientéliste avec la jeune femme voilée est une victoire supplémentaire.

Qui des deux candidats parviendra à rallier le plus d’électeurs de Jean-Luc Mélenchon ? Un récent sondage indique que 46% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon demeurent partisans de l’abstention et du vote blanc. 38% pourraient voter au second tour Emmanuel Macron, 16%

Quelle conclusion tireront les Français de cette succession de revirements électoralistes témoignant au mieux d’une fébrilité inquiétante, au pire d’un cynisme sans état d’âme ? Qu’ils ont en face d’eux, dans la course à la magistrature suprême, deux candidats sans colonne vertébrale. Cela n’améliorera pas la vision pessimiste, voire nihiliste de nombre de nos concitoyens sur l’état de la démocratie.

On espère qu’Emmanuel Macron sortira vainqueur de ce second tour. Sinon, son échec engagerait la France dans une aventure populiste et autoritaire, pour le grand bonheur de la France insoumise qui se présenterait alors comme un rempart contre l’extrême droite dès les prochaines législatives. Mais si Macron gagne, il faudra qu’il trouve rapidement une fermeté et une colonne vertébrale qui lui ont souvent fait défaut. La France souffre trop d’un divorce entre ceux qui profitent d’un système qui leur convient et ceux qui n’en profitent pas et chez lesquels le ressentiment ne cesse de monter.

Titre et Texte: Valérie Toranian, Directrice de la Revue des Deux Mondes, mardi, 19-4-2022

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