Valérie Toranian
Bienvenue dans le
chamboule-tout de l’entre-deux-tours, la foire aux contorsions politiques et
aux grands écarts idéologiques. On brade la ligne politique, on fait des
réductions sur les grands principes, tous les coups ou presque sont permis dans
la chasse aux voix mélenchonistes.
Le spectacle qu’offrent aux Français tant Emmanuel Macron que Marine Le Pen, pour récupérer une partie des 22 % de voix du candidat d’extrême gauche donne le « vire-vire », comme disent les Provençaux. Les électeurs de Jean-Luc Mélenchon sont plutôt jeunes, plutôt écolos, assez souvent issus des classes populaires et le leader de la France insoumise arrive en tête dans les quartiers à forte composante musulmane. Écologie, classes populaires, communauté musulmane : voilà donc la feuille de route de nos deux candidats pour leur dernière « ligne droite » qui n’aura jamais aussi mal porté son nom.
Vent debout contre les
éoliennes qui défigurent le paysage de la France, le RN ne souhaite désormais
plus les démanteler (ce qui coûterait la bagatelle de 800 millions
d’euros). « Il faut attendre qu’elles finissent leur vie » et
ensuite on ne les remplace pas, a déclaré Louis Aliot. Pas un changement de
programme, argumente le maire de Perpignan, il s’agit simplement de «
repréciser les choses ». Pas sûr que la perspective de champs d’éoliennes
rouillées, s’écroulant les unes derrière les autres n’envoie un signal fort aux
électeurs verts de Jean-Luc Mélenchon.
Emmanuel
Macron n’est pas en reste sur l’écologie. (…) Le président sortant a promis un
« avenir en commun » (nom du programme de la France insoumise !), un
quinquennat écologique, pour une nation écologique avec un Premier ministre «
directement chargé de la planification écologique ».
Emmanuel Macron n’est pas en reste sur l’écologie. Il en a fait le point central de son meeting à Marseille, le samedi 16 avril. Plus belle, la vie en vert. Le président sortant a promis un « avenir en commun » (nom du programme de la France insoumise !), un quinquennat écologique, pour une nation écologique avec un Premier ministre « directement chargé de la planification écologique ». Il sera épaulé par un ministre « chargé de la planification écologique territoriale » et un autre responsable de la « planification énergétique, pour faire sortir la France du gaz, du pétrole et du charbon ». Trois plans pour le prix d’un. Il a conclu son discours en affirmant que le 24 avril était, entre autres, « un référendum pour ou contre l’écologie ». Tout cela ne figurait pas dans son programme. Cela suffira-t-il à « retourner » les électeurs de la France insoumise qui comptent voter blanc et s’abstenir ? Pas certain non plus.
Point fort de Marine Le Pen
pour draguer l’électeur de la France insoumise, la retraite à 60 ans. Emmanuel Macron réajuste le tir : la retraite à 65
ans, oui mais en fait non, pas vraiment, plutôt 64, de toute façon on verra
plus tard. Point faible de Marine Le Pen pour l’électeur de LFI, son référendum
d’initiative citoyenne qui permettrait aux Français de demander le
rétablissement de la peine de mort. Elle réajuste le tir : désormais la
candidate du Rassemblement national considère que c’est impossible car
inconstitutionnel. Il était temps de s’en apercevoir !
Mais c’est la question du
foulard islamique qui a donné lieu aux « ajustements » les plus démagogiques.
Jean-Luc Mélenchon n’ayant cessé de faire campagne sur l’islamophobie de la
France et le racisme d’État, il fait carton plein dans les quartiers à forte
composante arabo-musulmane et en outre-mer. C’est une priorité pour nos deux
candidats : s’attirer une partie du vote musulman séduit par le candidat de la
France insoumise. Marine Le Pen qui, la veille encore, considérait
l’interdiction du voile dans l’espace public comme une mesure essentielle, a
rétropédalé lors d’un déplacement à Saint-Rémy-sur-Avre le 16 avril : elle y a
déclaré que le voile est un « problème complexe », qu’elle n’est « pas obtuse »
et que sa mesure sera débattue à l’Assemblée nationale. Ce n’est plus « une
priorité » ont insisté ses lieutenants.
Emmanuel
Macron, lui, a cru bon devoir s’émerveiller devant une femme « librement voilée
et féministe » à Strasbourg. Un moment pitoyable que les soutiens laïques et
républicains du candidat ont eu du mal à défendre.
Emmanuel Macron, lui, a cru
bon devoir s’émerveiller devant une femme « librement voilée et féministe
» à Strasbourg. Un moment pitoyable que les soutiens laïques et
républicains du candidat ont eu du mal à défendre. Emmanuel Macron est le
produit d’une élite libérale, anglo-saxonne, a priori assez favorable au modèle
multiculturel. Il a changé au cours de son mandat devant le constat de la
montée de l’islam politique, des réseaux des Frères musulmans et salafistes. Il
en a résulté la loi contre le séparatisme qui s’attaque à la radicalisation.
Mais visiblement le président sortant n’a pas compris le symbole que représente
aujourd’hui en France le foulard islamique. C’est un acte militant, souvent «
librement » choisi, identitaire, incarnation d’un islam qui se veut politique
plus que religieux et qui veut faire de la femme voilée la représentante de la
femme musulmane. Qui veut imposer cette équivalence à l’ensemble du monde
musulman. Qui veut en faire l’étendard de la reconnaissance des droits d’une
communauté supposée stigmatisée et en proie à l’islamophobie. Pas question de
pratique religieuse privée qui n’a pas besoin de s’extérioriser. Il faut bien
au contraire se montrer, s’ériger en victime des « laïcards », manifester. Se
proclamer « libres et féministes » et exiger qu’on vous reconnaisse comme
telle.
Ce n’est pas par hasard si
cette jeune femme apostrophe le président Macron avec cette question : «
Êtes-vous féministe ? » Il répond oui et le piège se referme. Car ce qui
sous-tend cette question est : si vous l’êtes alors vous devez respecter le
choix des femmes et mon choix c’est le foulard… Une dialectique perverse, un
retournement des valeurs qui est la signature même de l’islam politique.
Culpabiliser au nom de nos propres valeurs.
Dans ce dialogue, le président
Macron aurait dû affirmer son féminisme certes, mais refuser de commenter le
pseudo-féminisme de son interlocutrice. Ne pas lui demander, comble de la
démagogie, si elle portait le foulard par choix ou par contrainte (comme si
elle allait répondre devant les caméras qu’elle était contrainte !… Et encore
une fois, le problème n’est pas là). Il n’aurait pas dû s’émerveiller qu’elle
porte librement le foulard et soit « féministe ».
Car, non, il ne suffit pas de
s’exprimer en tant que femme pour tenir des propos féministes. Le foulard est
le symbole même d’une inégalité entre les deux sexes, il oblige la femme à la «
pudeur » et à la soumission en l’obligeant à se couvrir pour ne pas susciter le
désir chez l’homme, désir qui le transforme en prédateur, ce dont la femme est
responsable. Le président Macron avait pourtant déclaré en 2018 que le voile
nous insécurisait parce qu’il n’était pas « conforme à la civilité qu’il y a
dans notre pays. Nous sommes attachés à l’égalité entre la femme et l’homme ».
Comme
le rappelle Fatiha Boudjahlat, si cette femme « peut jouir de droits égaux, de
libertés, ce n’est pas à l’islam ou à une pratique cool de l’islam qu’elle le
doit, mais à l’État de droit et aux valeurs occidentales, européennes et
françaises qui contiennent, retiennent les religieux. »
Emmanuel Macron aurait dû se
contenter de marquer sa différence avec Marine Le Pen en rappelant qu’il
n’interdirait jamais le foulard dans l’espace public. Et ne surtout pas se livrer
à cet échange complaisant. Comme le rappelle Fatiha Boudjahlat, si cette femme
« peut jouir de droits égaux, de libertés, ce n’est pas à l’islam ou à une
pratique cool de l’islam qu’elle le doit, mais à l’État de droit et aux valeurs
occidentales, européennes et françaises qui contiennent, retiennent les
religieux. »
Du point de vue des
entrepreneurs identitaires qui rêvent d’étendre leur influence sur l’ensemble
de la communauté et qui veulent s’ériger en représentant d’un islam politique
militant auprès des pouvoirs publics, cet échange public clientéliste avec la
jeune femme voilée est une victoire supplémentaire.
Qui des deux candidats
parviendra à rallier le plus d’électeurs de Jean-Luc Mélenchon ? Un récent sondage indique que 46% des électeurs de
Jean-Luc Mélenchon demeurent partisans de l’abstention et du vote blanc. 38%
pourraient voter au second tour Emmanuel Macron, 16%
Quelle conclusion tireront les
Français de cette succession de revirements électoralistes témoignant au mieux
d’une fébrilité inquiétante, au pire d’un cynisme sans état d’âme ? Qu’ils ont
en face d’eux, dans la course à la magistrature suprême, deux candidats sans
colonne vertébrale. Cela n’améliorera pas la vision pessimiste, voire nihiliste
de nombre de nos concitoyens sur l’état de la démocratie.
On espère qu’Emmanuel Macron
sortira vainqueur de ce second tour. Sinon, son échec engagerait la France dans
une aventure populiste et autoritaire, pour le grand bonheur de la France
insoumise qui se présenterait alors comme un rempart contre l’extrême droite
dès les prochaines législatives. Mais si Macron gagne, il faudra qu’il trouve
rapidement une fermeté et une colonne vertébrale qui lui ont souvent fait
défaut. La France souffre trop d’un divorce entre ceux qui profitent d’un
système qui leur convient et ceux qui n’en profitent pas et chez lesquels le
ressentiment ne cesse de monter.
Titre et Texte: Valérie Toranian, Directrice de la Revue des Deux Mondes, mardi, 19-4-2022
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