Valérie Toranian
« L’abandon de l’Europe et des
États-Unis, leur manque de fermeté vis-à-vis de l’agression azéro-turque, leur
« soumission » de fait à l’agenda russe dans la région était un signal
confortant pour la Russie. Qui irait l’arrêter en Ukraine ? »
La Russie avait été la grande
gagnante du conflit. Se déclarant liée à l’Arménie, mais amie avec
l’Azerbaïdjan, elle avait laissé la tuerie se perpétuer pour intervenir in
extremis. À l’issue du conflit, Moscou avait réussi à imposer un nouveau format
de discussion : Arménie, Azerbaïdjan, Russie excluant de fait le format
précédent, celui du groupe de Minsk de l’OSCE, coprésidé par les États-Unis et
la France et censé régler le conflit du Haut-Karabakh depuis 1997. En l’absence
de véritable implication américaine et française, la Russie se retrouvait
totalement maître du jeu dans une région, désormais « neutralisée ». L’Arménie
dépend en effet de la Russie à tout point de vue (surtout énergétique) et
Poutine a désormais des troupes de maintien de la paix installée en Azerbaïdjan
pour une durée de 5 ans renouvelable : une double victoire pour le Kremlin en
termes d’hégémonie.
Hormis des déclarations de principe du président Emmanuel Macron, les protestations occidentales avaient été bien faibles. Le fait accompli avait fonctionné. Les conditions arméniennes pour une reconnaissance du statut de la région arménienne du Karabakh n’existent quasiment plus dans les discussions qui se tiennent actuellement, avec une implication directe de la Turquie. Malheur aux vaincus. L’abandon de l’Europe et des États-Unis, leur manque de fermeté vis-à-vis de l’agression azéro-turque, leur « soumission » de fait à l’agenda russe dans la région était un signal confortant pour la Russie. Qui irait l’arrêter en Ukraine ? Qui pouvait imaginer une communauté internationale prête à s’opposer comme jamais ?
La guerre du Haut-Karabakh a
pu inspirer Poutine sur d’autres points : l’utilisation de bombes au phosphore,
totalement proscrites par les conventions internationales, ont été utilisées
par la Turquie et l’Azerbaïdjan, sans soulever de vague de protestation. Des
maternités ont été bombardées, sans que cela émeuve outre mesure. Sur un autre
plan, Poutine a dû apprécier l’efficacité des mercenaires djihadistes syriens à
la solde d’Erdoğan envoyés en première ligne contre les
Arméniens. Entraînés, efficaces et sans état d’âme. On leur doit bon nombre des
vidéos où ils exhibent fièrement les corps torturés des soldats arméniens.
L’idée est de faire régner la terreur, presque par anticipation. C’est
exactement le rôle dévolu aux Tchétchènes de Kadyrov. Cruels et terrifiants.
La guerre du Haut-Karabakh a
également servi de théâtre d’expérimentation aux redoutables drones Bayraktar
mais c’est l’Ukraine qui en bénéficie puisqu’elle les achète à la Turquie avec
qui elle entretient de bonnes relations politiques et commerciales.
Une plus grande fermeté des
Occidentaux lors du conflit du Haut-Karabakh aurait-elle fait hésiter Poutine
avant de se lancer dans l’aventure ukrainienne ? Rien ne permet de l’affirmer
mais l’assurance incroyable du dictateur russe, sa certitude d’avoir en face de
lui des faibles et des dégénérés (l’Occident et l’OTAN) qui feraient une fois
de plus la preuve de leur impuissance, fait partie de son logiciel. Car ce
n’est pas tant par arrogance que l’Europe et l’OTAN ont pêché ces dernières
années, mais bien plutôt par leur mollesse à chaque fois qu’un autocrate en mal
de restaurer un empire se lançait dans une politique étrangère agressive.
Poutine ou Erdoğan. Mais l’Ukraine n’est pas le Haut-Karabakh. Et Poutine
semble s’être lancé dans la guerre de trop.
Cette fois-ci, le monde n’a
pas regardé ailleurs. Tant mieux pour les Ukrainiens qui, contrairement aux
Arméniens, bénéficient du soutien des opinions publiques et de l’Europe. Cela
ne leur garantit en rien la victoire. Leurs pertes vont être immenses et
l’issue de la guerre est hélas prévisible. Le rouleau compresseur russe, même
défaillant, même usé, n’en reste pas moins terriblement efficace.
« Les Arméniens ont très peu
de marge de manœuvre. Il leur faudra déployer une diplomatie virtuose pour
s’extraire des multiples menaces qui pèsent sur eux, accentuées par une
dépendance économique à la Russie qui va détériorer le quotidien de la
population. Toute guerre génère des sous-guerres. Les Arméniens en feront-ils
une nouvelle fois les frais ? »
Une autre question vitale,
cruciale se pose désormais dans le Caucase. Les troupes azerbaïdjanaises ne
vont-elles pas profiter de la guerre en Ukraine qui mobilise les Russes sur
plusieurs fronts, et occupe la communauté internationale, pour lancer une
nouvelle offensive contre les Arméniens du Haut-Karabakh ? Les Russes vont-ils
rapatrier les soldats postés dans le Karabakh pour les envoyer sur le théâtre
des opérations ukrainiennes ? Et laisser la région à la merci d’une nouvelle
agression ? Ce n’est pas le cas pour le moment mais si les combats s’enlisent
et se poursuivent ? Plusieurs faits ont réactivé les craintes arméniennes : des
tirs aux mortiers azéris ont lieu depuis 8 jours sur des villages arméniens. Le
gazoduc qui alimente le Karabakh a été détruit. La région est sans chauffage
depuis une semaine. Les Azerbaïdjanais ne laissent ni les Russes ni les
Arméniens intervenir pour réparer. Pourquoi ?
Le président Aliev, grisé par
sa victoire de 2020, peut tenter une ultime opération militaire histoire de «
finir le travail ». Ou plutôt accentuer ce qu’il fait depuis le cessez-le-feu :
des escarmouches, des tirs sur les villageois, sur les troupeaux, une guerre
d’usure, une guerre des nerfs, jusqu’à ce que plus un seul habitant arménien
n’ait le courage de rester. D’autant que l’Europe est en train de chercher par
tous les moyens à diversifier ses sources énergétiques. Avec son gaz et son
pétrole, l’Azerbaïdjan est plus que jamais courtisé. Si le président Aliev
reprenait l’offensive, l’Europe le laisserait probablement faire, trop
soucieuse de protéger son nouveau fournisseur…
Les Arméniens ont très peu de
marge de manœuvre. Il leur faudra déployer une diplomatie virtuose pour
s’extraire des multiples menaces qui pèsent sur eux, accentuées par une
dépendance économique à la Russie qui va détériorer le quotidien de la
population. Toute guerre génère des sous-guerres. Les Arméniens en feront-ils
une nouvelle fois les frais ?
Titre et Texte: Valérie Toranian,
Directrice de la Revue des Deux Mondes, lundi, 14-3-2022
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Esse infeliz ainda está vivo? Pensei que estivesse queimando os ossos no inferno.
ResponderExcluirCarina Bratt
Ca
Vila Velha Es