segunda-feira, 14 de março de 2022

[L’édito de Valérie Toranian] Ce que Poutine a appris de la dernière guerre arménienne

Valérie Toranian


Quelles leçons Vladimir Poutine a-t-il tirées de la guerre du Haut-Karabakh qui opposait l’Azerbaïdjan et la Turquie aux Arméniens du Haut-Karabakh en 2020 ? L’attitude des Occidentaux l’a-t-elle conforté dans sa décision d’envahir l’Ukraine ? Cette guerre éclair de 44 jours, qui s’était soldée par un accord de cessez-le-feu sous l’égide de la Russie, avait été dévastatrice pour l’Arménie. Les trois-quarts du territoire du Haut-Karabakh passaient sous contrôle azerbaïdjanais. 5000 jeunes réservistes arméniens étaient tués dans des combats impossibles à gagner contre des drones Bayraktar turcs terriblement destructeurs. À l’époque, l’Azerbaïdjan et la Turquie avaient profité de la crise mondiale due à la pandémie. Le monde entier avait les yeux tournés vers la campagne présidentielle américaine. Le moment idéal pour avancer leurs pions.

« L’abandon de l’Europe et des États-Unis, leur manque de fermeté vis-à-vis de l’agression azéro-turque, leur « soumission » de fait à l’agenda russe dans la région était un signal confortant pour la Russie. Qui irait l’arrêter en Ukraine ? »

La Russie avait été la grande gagnante du conflit. Se déclarant liée à l’Arménie, mais amie avec l’Azerbaïdjan, elle avait laissé la tuerie se perpétuer pour intervenir in extremis. À l’issue du conflit, Moscou avait réussi à imposer un nouveau format de discussion : Arménie, Azerbaïdjan, Russie excluant de fait le format précédent, celui du groupe de Minsk de l’OSCE, coprésidé par les États-Unis et la France et censé régler le conflit du Haut-Karabakh depuis 1997. En l’absence de véritable implication américaine et française, la Russie se retrouvait totalement maître du jeu dans une région, désormais « neutralisée ». L’Arménie dépend en effet de la Russie à tout point de vue (surtout énergétique) et Poutine a désormais des troupes de maintien de la paix installée en Azerbaïdjan pour une durée de 5 ans renouvelable : une double victoire pour le Kremlin en termes d’hégémonie.

Hormis des déclarations de principe du président Emmanuel Macron, les protestations occidentales avaient été bien faibles. Le fait accompli avait fonctionné. Les conditions arméniennes pour une reconnaissance du statut de la région arménienne du Karabakh n’existent quasiment plus dans les discussions qui se tiennent actuellement, avec une implication directe de la Turquie. Malheur aux vaincus. L’abandon de l’Europe et des États-Unis, leur manque de fermeté vis-à-vis de l’agression azéro-turque, leur « soumission » de fait à l’agenda russe dans la région était un signal confortant pour la Russie. Qui irait l’arrêter en Ukraine ? Qui pouvait imaginer une communauté internationale prête à s’opposer comme jamais ?

La guerre du Haut-Karabakh a pu inspirer Poutine sur d’autres points : l’utilisation de bombes au phosphore, totalement proscrites par les conventions internationales, ont été utilisées par la Turquie et l’Azerbaïdjan, sans soulever de vague de protestation. Des maternités ont été bombardées, sans que cela émeuve outre mesure. Sur un autre plan, Poutine a dû apprécier l’efficacité des mercenaires djihadistes syriens à la solde d’Erdoğan envoyés en première ligne contre les Arméniens. Entraînés, efficaces et sans état d’âme. On leur doit bon nombre des vidéos où ils exhibent fièrement les corps torturés des soldats arméniens. L’idée est de faire régner la terreur, presque par anticipation. C’est exactement le rôle dévolu aux Tchétchènes de Kadyrov. Cruels et terrifiants.

La guerre du Haut-Karabakh a également servi de théâtre d’expérimentation aux redoutables drones Bayraktar mais c’est l’Ukraine qui en bénéficie puisqu’elle les achète à la Turquie avec qui elle entretient de bonnes relations politiques et commerciales.

Une plus grande fermeté des Occidentaux lors du conflit du Haut-Karabakh aurait-elle fait hésiter Poutine avant de se lancer dans l’aventure ukrainienne ? Rien ne permet de l’affirmer mais l’assurance incroyable du dictateur russe, sa certitude d’avoir en face de lui des faibles et des dégénérés (l’Occident et l’OTAN) qui feraient une fois de plus la preuve de leur impuissance, fait partie de son logiciel. Car ce n’est pas tant par arrogance que l’Europe et l’OTAN ont pêché ces dernières années, mais bien plutôt par leur mollesse à chaque fois qu’un autocrate en mal de restaurer un empire se lançait dans une politique étrangère agressive. Poutine ou Erdoğan. Mais l’Ukraine n’est pas le Haut-Karabakh. Et Poutine semble s’être lancé dans la guerre de trop.

Cette fois-ci, le monde n’a pas regardé ailleurs. Tant mieux pour les Ukrainiens qui, contrairement aux Arméniens, bénéficient du soutien des opinions publiques et de l’Europe. Cela ne leur garantit en rien la victoire. Leurs pertes vont être immenses et l’issue de la guerre est hélas prévisible. Le rouleau compresseur russe, même défaillant, même usé, n’en reste pas moins terriblement efficace.

« Les Arméniens ont très peu de marge de manœuvre. Il leur faudra déployer une diplomatie virtuose pour s’extraire des multiples menaces qui pèsent sur eux, accentuées par une dépendance économique à la Russie qui va détériorer le quotidien de la population. Toute guerre génère des sous-guerres. Les Arméniens en feront-ils une nouvelle fois les frais ? »

Une autre question vitale, cruciale se pose désormais dans le Caucase. Les troupes azerbaïdjanaises ne vont-elles pas profiter de la guerre en Ukraine qui mobilise les Russes sur plusieurs fronts, et occupe la communauté internationale, pour lancer une nouvelle offensive contre les Arméniens du Haut-Karabakh ? Les Russes vont-ils rapatrier les soldats postés dans le Karabakh pour les envoyer sur le théâtre des opérations ukrainiennes ? Et laisser la région à la merci d’une nouvelle agression ? Ce n’est pas le cas pour le moment mais si les combats s’enlisent et se poursuivent ? Plusieurs faits ont réactivé les craintes arméniennes : des tirs aux mortiers azéris ont lieu depuis 8 jours sur des villages arméniens. Le gazoduc qui alimente le Karabakh a été détruit. La région est sans chauffage depuis une semaine. Les Azerbaïdjanais ne laissent ni les Russes ni les Arméniens intervenir pour réparer. Pourquoi ?

Le président Aliev, grisé par sa victoire de 2020, peut tenter une ultime opération militaire histoire de « finir le travail ». Ou plutôt accentuer ce qu’il fait depuis le cessez-le-feu : des escarmouches, des tirs sur les villageois, sur les troupeaux, une guerre d’usure, une guerre des nerfs, jusqu’à ce que plus un seul habitant arménien n’ait le courage de rester. D’autant que l’Europe est en train de chercher par tous les moyens à diversifier ses sources énergétiques. Avec son gaz et son pétrole, l’Azerbaïdjan est plus que jamais courtisé. Si le président Aliev reprenait l’offensive, l’Europe le laisserait probablement faire, trop soucieuse de protéger son nouveau fournisseur…

Les Arméniens ont très peu de marge de manœuvre. Il leur faudra déployer une diplomatie virtuose pour s’extraire des multiples menaces qui pèsent sur eux, accentuées par une dépendance économique à la Russie qui va détériorer le quotidien de la population. Toute guerre génère des sous-guerres. Les Arméniens en feront-ils une nouvelle fois les frais ?

Titre et Texte: Valérie Toranian, Directrice de la Revue des Deux Mondes, lundi, 14-3-2022 

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Um comentário:

  1. Esse infeliz ainda está vivo? Pensei que estivesse queimando os ossos no inferno.
    Carina Bratt
    Ca
    Vila Velha Es

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