Valérie Toranian
C’est une femme ravissante qui pose en hijab réglementaire (aucune mèche de cheveux ne dépasse) sur une des affiches promouvant la participation citoyenne à la Conférence sur l’avenir de l’Europe. « L’avenir est entre vos mains ». Cette manifestation est organisée et coprésidée par les trois institutions de l’Union européenne, la Commission, le Parlement et le Conseil.
L’idée d’une conférence sur
l’avenir de l’Europe, alors que le monde entier redoute que les troupes russes
franchissent la frontière ukrainienne dans les heures qui viennent, donnerait
plutôt envie de rire (jaune). On aurait tort d’ironiser sur l’avenir d’une
Europe incapable d’exister, incapable d’avoir sa propre défense, incapable de
s’harmoniser pour traiter les flux migratoires, incapable d’exister face aux
géants du numérique qui font la razzia sur nos données… Non, l’avenir de
l’Europe n’a rien à voir avec cette vision inquiète et pessimiste. Il est
serein, il est cool. Il est tout tracé, il appartient aux filles voilées et à
nos identités multiples. Venez comme vous êtes. Enfin un vrai projet fédérateur
qui ne coûte rien, qui ne mange pas de pain, qui ravira les woke et
les illibéraux, la Chine et la Russie, l’Amérique et la Grande-Bretagne, tous
ceux qui rêvent d’une Europe qui n’ait (définitivement !) plus du tout d’âme,
plus de destin, plus d’essence pour son moteur à 27 vitesses.
Les Frères musulmans ont compris l’aubaine que
représentait cet organisme obèse et inerte, et ils ont déployé, depuis des
années, des stratégies d’entrisme très efficaces qui, aujourd’hui, portent
leurs fruits (1). Leur plus belle victoire : avoir transformé le voile en
étendard de la liberté des femmes, alors qu’il n’est pas une prescription
obligatoire de l’islam mais bien le marqueur de la progression de l’islamisme.
Que les militantes pro-voile le portent de façon tout à fait libre n’enlève
rien au symbole qu’il représente : la promotion d’une femme pudique et soumise,
en conformité avec les préceptes d’un islamisme conservateur et identitaire.
«
Elles s’appellent les Hijabeuses, signe que pour elles, le militantisme
islamique prime sur leur amour du sport. »
Mais pourquoi voir les choses en noir ? L’Iran, l’Arabie saoudite, le Pakistan, c’est très loin… En Europe, c’est différent, le foulard, c’est cool ! La preuve ? En France, des joueuses de foot, donc parmi les filles les plus chouettes de la terre, veulent porter le foulard sur le terrain et accusent l’« odieuse » Fédération française de football de les stigmatiser, de faire de l’« islamophobie » parce que l’article 1 du règlement interdit « tout port de signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale ». Alors que la FIFA (Fédération internationale de football association) autorise depuis 2014 le port du voile dans les compétitions internationales pour ne pas empêcher les femmes de pays islamistes de participer aux compétitions.
Elles s’appellent les
Hijabeuses, signe que pour elles, le militantisme islamique prime sur leur
amour du sport. Car ne nous y trompons pas, la revendication du foulard dans le
foot est islamiste et pas religieuse. Les footballeuses des équipes nationales
en Algérie, au Maroc ou en Tunisie ne portent pas le voile sur le terrain.
Elles sont pourtant musulmanes. Et elles n’ont pas l’impression de contrevenir
à leur religion en pratiquant le sport tête nue. Attention aux mots. Bientôt on
voudra nous faire croire que toutes les joueuses de religion musulmane
souhaitent le port du foulard, alors que c’est faux. Le mouvement des
Hijabeuses est soutenu par l’Alliance citoyenne, le mouvement militant pro-burkini dans les piscines
de Grenoble. Par la Ligue des droits de l’homme qui s’est spécialisée dans
le combat contre l’« islamophobie ». Sans oublier l’incontournable Assa Traoré qui y voit la manifestation d’un racisme
systémique stigmatisant les minorités.
Le 19 janvier, un amendement voté par le Sénat, majoritairement de droite,
pour interdire le port de signes religieux dans les compétitions sportives a
déclenché le courroux des Hijabeuses. Les députés LREM, majoritaires, ont
effacé l’amendement. Les militantes pro-voile ont crié victoire. Mais leur
combat contre la Fédération continue. Pour la ministre en charge de l’Égalité
femmes-hommes, Élisabeth Moreno, les femmes « ont le droit de porter le voile
islamique pour jouer » au football. Mais de quoi ce droit est-il l’habillage ?
Certains clubs affichent désormais des règlements indiquant que les douches
doivent être prises habillé, que l’alcool est interdit, que les prières
collectives dans les vestiaires sont autorisées.
«
Ménager la chèvre et le chou, l’islam politique et la laïcité, l’héritage
civilisationnel et le multiculturalisme. Sur ce sujet, comme sur tant d’autres,
à deux mois des élections, la Macronie ne veut indisposer personne. »
Dans le cadre d’une audition à
l’Assemblée nationale, fin 2020, la ministre des Sports avait identifié 127
associations sportives comme « ayant une relation avec une mouvance séparatiste
». C’est peu comparé aux 360 000 structures déclarées et une dizaine d’entre
elles a d’ailleurs été fermée. Mais ce n’est pas négligeable. « Cela fait plus
de 10 000 sportifs qui s’entraînent dans un environnement séparatiste en France
», s’inquiète Médéric Chapitaux membre du Conseil des sages de la laïcité. « C’est
loin d’être un épiphénomène ! »
L’affaire a fait du bruit. Et
divisé la Macronie. La majorité des députés LREM a voté contre l’amendement LR
pour l’interdiction des signes religieux lors de compétitions, mais certains
parlementaires n’ont pas hésité à voter pour : Aurore Bergé (toujours droite
dans ses bottes), François Jolivet ou Anne-Christine Lang. Du côté du
gouvernement, Gabriel Attal, expert en contorsions macroniennes, a expliqué que
la déclaration d’Élisabeth Moreno ne représentait pas la position du
gouvernement, tout en défendant la Ministre. Bien au contraire, Bruno Le Maire
(Économie) et Marlène Schiappa (Citoyenneté) se sont dits favorables à
l’amendement LR…
Ménager la chèvre et le chou,
l’islam politique et la laïcité, l’héritage civilisationnel et le
multiculturalisme. Sur ce sujet, comme sur tant d’autres, à deux mois des
élections, la Macronie ne veut indisposer personne. Mais quel Emmanuel
Macron va se présenter devant les Français ? Avec quelle vision ?
Entrer dans l’arène, c’est clarifier ses positions. Voilà pourquoi le président
sortant ne manifeste aucune hâte à se déclarer. Il sait qu’on ne sort de
l’ambiguïté qu’à ses dépens.
1 Lire l’entretien de l’anthropologue Florence Bergeaud-Blackler.
Titre et Texte: Valérie Toranian,
Directrice de la Revue des Deux Mondes, lundi, 7-2-2022
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