Valérie Toranian
« Ce qui compte, c’est vous », dit son slogan de campagne. Auquel on pourrait ajouter : l’union, c’est moi ! Christiane Taubira [photo] entre en lice dans la course à la présidentielle et porte à six (au nom de l’unité !) le nombre de candidats à gauche, sans compter les deux représentants trotskystes. Sur la ligne de départ et sous réserve des 500 signatures : Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise), Yannick Jadot (Europe Écologie Les Verts), Anne Hidalgo (Parti Socialiste), Christiane Taubira, Arnaud Montebourg (qui devrait se retirer ?), Fabien Roussel (Parti communiste)… Les électeurs de gauche, atterrés, voient leur chance de figurer au second tour définitivement enterrée.
Photo : Raphael Lafargue/ABACAPRESS.COM. |
La gauche est éparpillée par
petits bouts façon puzzle, dynamitée, dispersée, ventilée, selon la célèbre
formule d’Audiard dans Les Tontons flingueurs. Bien qu’en
l’occurrence, on devrait plutôt parler de tatas flingueuses. Car au jeu du
poker menteur et du « c’est pas ma faute, c’est la sienne », nos deux
candidates n’ont vraiment rien à envier à leurs camarades masculins. Bonne
nouvelle, l’égalité en politique est enfin réalisée !
«
Christiane Taubira, c’est la gauche qui s’écoute parler, ravie de parler aussi
bien. Peu importe au fond de perdre, pourvu qu’on perde le verbe haut et
fleuri. »
Christiane Taubira avait juré
en septembre sur les ondes de France Inter qu’elle ne voulait pas «
contribuer à l’éparpillement ». Elle y contribue donc officiellement depuis le
14 janvier. Elle promet de se soumettre au résultat de la Primaire populaire à
laquelle, en gros, participeront des citoyens qui lui sont plutôt acquis : la
France insoumise et Europe Écologie Les Verts ont en effet refusé le principe
de ce scrutin de dernière minute qui ressemble à un faux sondage. Quant à Anne
Hidalgo, qui avait dédaigné la Primaire populaire lorsque Yannick Jadot la lui
avait proposée au printemps, elle l’a réclamée en décembre, sentant sa position
de plus en plus fragilisée… pour finalement s’en dégager de nouveau lorsque le
candidat écologiste lui a répondu qu’il n’y participerait pas. La confusion et
la fébrilité sont à leur comble.
« Cet éparpillement est révélateur de notre époque. Le morcellement des identités […] indique un même recentrage vers les forces individuelles au détriment du collectif. Chacun dans son couloir, chacun persuadé d’être dans le vrai, chacun se drapant d’une exigence d’authenticité vis-à-vis du groupe pour refuser toute alliance, tout compromis. »
Christiane Taubira, c’est la
gauche qui s’écoute parler, ravie de parler aussi bien. Peu importe au fond de
perdre, pourvu qu’on perde le verbe haut et fleuri. La colonne vertébrale de
l’ancienne garde des Sceaux, il est vrai, est plutôt floue. Elle dénonce les
positions d’Éric Zemmour sur l’immigration, alors qu’elle s’inquiétait,
en 2006, face à l’afflux des clandestins en Guyane que « les Guyanais de souche
soient devenus minoritaires sur leur propre terre ». Elle a voté le budget très
libéral du gouvernement Balladur en 1993, alors qu’elle s’est posée, ensuite,
comme le recours des classes précaires. Candidate en 2002 du Parti radical de
gauche pour une « République qui se respecte », elle a enterré ses principes
républicains en 2004 pour voter contre la loi sur les signes religieux à
l’école, au prétexte que « le hijab est un défi lancé à l’invisibilité
institutionnelle de populations refoulées à la périphérie des villes ». Elle a
courageusement défendu la loi pou le mariage pour tous en 2014, promesse du
candidat Hollande. Mais elle a dénaturé sa loi mémorielle sur l’esclavage en
2001, en occultant volontairement les traites africaine et arabo-musulmane, car
« les jeunes Arabes ne doivent pas porter sur leur dos tout le poids des
méfaits des Arabes ». Christiane Taubira rêve d’un souffle nouveau qui la
propulsera en tête des voix de gauche. Elle risque de finir sous les 5 %
d’intention de vote, à l’instar d’Anne Hidalgo.
Cet éparpillement façon puzzle
est révélateur de notre époque. Le morcellement des identités,
l’archipélisation de la France selon l’expression de Jérôme Fourquet, indique un même recentrage vers les forces
individuelles, c’est-à-dire les identités au détriment du collectif.
Chacun dans son couloir, chacun persuadé d’être dans le vrai, chacun se drapant
d’une exigence d’authenticité vis-à-vis du groupe pour refuser toute alliance,
tout compromis. Cette élection présidentielle est un symptôme. Le fait que cinq
femmes se présentent à la magistrature suprême en est un autre.
«
Emmanuel Todd nous rappelle, contre le consensus en vogue, que le basculement
du rapport de force hommes-femmes sur le plan de l’éducation s’est opéré en
faveur des femmes il y a déjà 50 ans. »
Dans son dernier
ouvrage, Où en sont-elles ? Une esquisse de l’histoire des femmes (Seuil) (1), Emmanuel Todd nous rappelle, contre le consensus en
vogue, que le basculement du rapport de force hommes-femmes sur le plan de
l’éducation s’est opéré en faveur des femmes il y a déjà 50 ans. Aujourd’hui,
les femmes sont plus éduquées que les hommes, font des études plus longues,
sont plus diplômées, plus souvent doctorantes, elles sont massivement présentes
dans le secteur tertiaire, l’administration, l’Éducation nationale, les
services publics, etc. Même si des zones de masculinité demeurent dans le haut
de l’échelle, même si des résistances et de la violence subsistent, notre
société est idéologiquement et statistiquement « matridominante », selon
l’expression de l’anthropologue.
Pourtant, l’un des secteurs
dans lequel l’investissement des femmes n’est pas encore réalisé, constate
Emmanuel Todd, est celui du politique. Les femmes y sont moins investies que les
hommes parce qu’elles seraient les héritières (inconsciemment bien sûr) d’une
division du travail qui prévalait il y a cent mille ans : les hommes chassaient
ensemble et partageaient le butin. Les femmes cueillaient chacune pour elle
c’est-à-dire pour leur famille. Les hommes en auraient gardé la passion des
sports d’équipe, des pubs, des mouvements révolutionnaires, des meetings
politiques, de la guerre : bref le sens du collectif. Les femmes, quelles que
soient leurs réussites, continueraient à s’occuper du foyer, de la famille,
protègeraient, organiseraient : elles seraient plus « individualistes ». Tout
cela de façon inconsciente, bien sûr, mais prégnante.
L’élection présidentielle
semble donner tort à Emmanuel Todd puisque, cette année, pas moins de cinq
femmes se présentent à la magistrature suprême, dont deux, Marine Le Pen et Valérie Pécresse, en position de l’emporter. Mais les
femmes qui votent donneront-elles leur voix à des femmes candidates ? De façon
paradoxale, on se demande si ce ne sont pas les hommes qui s’enthousiasment le
plus pour ces « sauveuses » de la France alignées sur la ligne de départ. Comme
si l’élection, cette année, était une édition à haut risque dans une France
blessée, à cran et déprimée. Et que, depuis cent mille ans, la femme est censée
réparer et rassurer. D’autres loups de la politique se réservent-ils pour 2027
?
Titre et Texte: Valérie Toranian,
Directrice de la Revue des Deux Mondes, lundi, le 17-1-2022
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