terça-feira, 21 de dezembro de 2021

[L’édito de Valérie Toranian] Taubira pour sauver la gauche. Mais quelle gauche ?

Valérie Toranian

Défenseur ardent d’une gauche universaliste, laïque et républicaine, le politologue Laurent Bouvet s’est éteint samedi 18 décembre à l’âge de 53 ans. Peu connu du grand public, le cofondateur, en 2016, du Printemps républicain incarnait une gauche du sursaut : celle qui refusait de voir sa famille politique sombrer dans les dérives idéologiques identitaristes et racialistes.

Laurent Bouvet se battait contre le communautarisme, l’islam politique. Il popularisa, après Christophe Guilluy, l’« insécurité culturelle » des classes populaires due à la mondialisation et à l’immigration non contrôlée. « Vivre, voir, percevoir ou ressentir le monde ou le voisin comme une gêne ou une menace en raison de sa “culture”, de différences apparentes ou supposées, qu’il s’agisse, par exemple, de ses origines ethno-raciales ou de sa religion, voilà ce qui provoque l’insécurité culturelle », écrivait-il en 2015, dans son essai L’Insécurité culturelle, sortir du malaise identitaire français (Fayard).

Il le paya cher. On l’accusa d’être un suppôt de la « fachosphère », de « faire le jeu du Front national », de s’être « zemmourisé », éternel refrain qu’on sert, dans les médias politiquement corrects et sur les réseaux sociaux, à ceux qui osent aborder le sujet tabou de l’immigration et ses conséquences. Voulant revenir aux fondamentaux de la gauche, c’est-à-dire aux préoccupations des classes populaires, Laurent Bouvet avait « trahi » la gauche moderne ou plutôt postmoderne et anti-universaliste, qui s’intéresse à ce qui nous différencie plutôt qu’à ce qui nous rassemble.

« Comme un symbole, la disparition de Laurent Bouvet intervient au moment même où la gauche, malade de ses dénis et de ses reniements, afficherait le pire score de toute son histoire dans une élection présidentielle. »

Comme un symbole, sa disparition intervient au moment même où la gauche, malade de ses dénis et de ses reniements, afficherait le pire score de toute son histoire dans une élection présidentielle. L’ensemble des différents candidats ne totaliserait pas plus de 25 % des intentions de vote. Avec Yannick Jadot (EELV) et Jean-Luc Mélenchon (LFI) au coude-à-coude autour de 8 % tandis qu’Anne Hidalgo (PS) demeure dans l’incapacité de franchir la barre des 5 %.

Christiane Taubira [photo], figure de proue de la gauche morale, espère éviter le naufrage annoncé en faisant irruption, telle la femme providentielle, au sein d’une primaire populaire en janvier afin de dégager un candidat unique de la gauche. Beaucoup seraient ravis de se rallier à son panache. Elle n’en manque pas. Suffira-t-il à la faire décoller des 2 % d’intentions de vote que lui créditait un sondage OpinionWay publié le 15 décembre ? Christiane Taubira a beau rêver d’une dynamique, la tâche semble incommensurable. D’autant que les deux principaux candidats à gauche, Jean-Luc Mélenchon et Yannick Jadot, ne veulent pas entendre parler d’une primaire comme ils l’ont déjà fait savoir à Anne Hidaldo, elle aussi défenseure d’une primaire, façon honorable pour elle de s’effacer au nom de l’unité derrière le candidat élu.

La gauche fonce droit dans le mur. À qui la faute ? Dire qu’Emmanuel Macron est responsable de la disparition de la droite et de la gauche ne tient plus la route. La droite ne s’est jamais aussi bien portée. Côté bloc populiste, avec Éric Zemmour et Marine Le Pen qui totalisent à eux deux autour de 30 % des intentions de vote (plus que toute la gauche !). Et côté LR, avec la candidature de Valérie Pécresse, qui vient challenger Marine Le Pen : la présidente de la région Île-de-France serait présente au second tour face au président sortant, selon de récents sondages.

« Si la gauche dérive, décline et est incapable de faire émerger une figure de ralliement, elle ne doit s’en prendre qu’à elle-même. Elle paye le prix de ses renoncements successifs. Et surtout de son divorce avec les classes populaires. »

Si la gauche dérive, décline et est incapable de faire émerger une figure de ralliement, elle ne doit s’en prendre qu’à elle-même. Elle paye le prix de ses renoncements successifs. Et surtout de son divorce avec les classes populaires.

Laurent Bouvet fut l’un des premiers à dénoncer le ralliement du PS à la stratégie de conquête du pouvoir préconisée par Terra Nova. Dans sa fameuse note de 2011, le think tank avait « acté » le divorce entre la gauche et la classe ouvrière, ralliée au « populisme » et au Front national. Terra Nova proposait de se tourner vers un nouvel électorat urbain comprenant « les diplômés », « les jeunes », « les minorités des quartiers populaires » et « les femmes » : tous unifiés par « des valeurs culturelles, progressistes ». Le nouveau « prolétariat » était défini. Restait à le séduire. Pour conquérir ces nouveaux « damnés de la terre », musulmans et/ou racisés, on ne lésina pas notamment avec le clientélisme dans beaucoup de quartiers populaires travaillés par l’islamisme…

Cet abandon de la classe ouvrière traditionnelle au profit des combats sociétaux et des identités de groupe obligea la gauche à se recentrer sur des questions de race, d’ethnie, de religion, de sexe (jusque-là, thèmes de la droite !). Ce qui l’éloigna encore plus des classes populaires. Et ouvrit la voie au macronisme. Pire, la gauche fit « cadeau » à la droite de la laïcité devenue trop encombrante, trop suspecte d’intransigeance républicaine, trop « dogmatique ». Comme si son logiciel laïcité était incapable de s’adapter aux menaces nouvelles. Ainsi que le rappelle Jacques Julliard : « la gauche a conservé de la laïcité l’idée que c’est un truc contre les curés. » L’islam, en tant que religion minoritaire, est forcément un allié. Hormis quelques voix obstinément républicaines et droites dans leurs bottes comme celle de Manuel Valls, la gauche s’est collée à la remorque de l’extrême gauche dans ses luttes racialistes, climatiques et sociétales.

Que l’on pense au retournement spectaculaire d’un Jean-Luc Mélenchon, longtemps chantre de la laïcité républicaine et désormais champion de la lutte contre « l’islamophobie », transformant toute critique de la religion musulmane en crime de « racisme » et restaurant, de fait, le crime de blasphème. Que l’on songe aux écologistes dont le parti est travaillé par des courants néo-féministes et islamo-gauchistes radicaux (Sandrine Rousseau, figure de proue de cette mouvance idéologique, a fait un score important à la primaire d’EELV).

« Il faudra beaucoup à Christiane Taubira ou à quiconque pour recoudre le corps démantibulé de la gauche, retisser le lien avec les classes populaires et changer radicalement de stratégie en reprenant le fil des fondamentaux républicains et universalistes. »

Ce dévoiement idéologique a également contaminé une grande partie de la presse institutionnelle de gauche comme Le Monde ou Libération. Leurs comptes rendus sur la disparition de Laurent Bouvet ne manquent pas de souligner (au cas où on les suspecterait de complaisance avec ce « laïcard zemmourisé ») que « l’intellectuel s’abîme » et « devient un twittos fiévreux » (Le Monde) ; que « son activisme sur les réseaux sociaux le mène à s’abîmer dans des campagnes de disqualification », avec des « raids numériques ciblant les citoyennes de confession musulmane » (Libération). Le « raid numérique » en question, ciblant la « citoyenne musulmane », était un tweet soulignant « l’incohérence de la tenue de la représentante de l’Unef Maryam Pougetoux, avec son engagement syndical à gauche ». Voilà le type de déclarations dans lesquelles « s’abîmait » Laurent Bouvet. Pauvres forces de progrès. Pauvre gauche.

En juin 2020, dans l’émission Quotidien, Christiane Taubira s’exclamait face à Assa Traoré, sœur d’Adama Traoré qui dénonçait le racisme systémique de l’État français : « Vous êtes notre chance, vous êtes aussi une chance pour la France, nous avons la chance de vous avoir. » Et d’ajouter avec émotion, parlant de la mère d’Adama et Assa Traoré : « Si je pouvais capturer un bataillon de vers à soie, je le ferais pour recoudre juste un petit bout de son cœur brisé ». Il faudra plus d’une armée de vers à soie à Christiane Taubira ou à quiconque pour recoudre le corps démantibulé de la gauche, retisser le lien avec les classes populaires et changer radicalement de stratégie en reprenant le fil des fondamentaux républicains et universalistes. Pour ce faire, il faudra certainement plus de quatre mois. Et a priori Christiane Taubira n’est pas la mieux placée.

Titre et Texte: Valérie Toranian, Directrice de la Revue des Deux Mondes, lundi, le 20-12-2021 

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