Valérie Toranian
Défenseur ardent d’une gauche universaliste,
laïque et républicaine, le politologue Laurent Bouvet s’est
éteint samedi 18 décembre à l’âge de 53 ans. Peu connu du grand public, le cofondateur, en
2016, du Printemps républicain incarnait une gauche du sursaut : celle qui
refusait de voir sa famille politique sombrer dans les dérives idéologiques
identitaristes et racialistes.
Laurent Bouvet se battait contre le
communautarisme, l’islam politique. Il popularisa, après Christophe Guilluy, l’« insécurité culturelle » des classes
populaires due à la mondialisation et à l’immigration non contrôlée. « Vivre,
voir, percevoir ou ressentir le monde ou le voisin comme une gêne ou une menace
en raison de sa “culture”, de différences apparentes ou supposées, qu’il
s’agisse, par exemple, de ses origines ethno-raciales ou de sa religion, voilà
ce qui provoque l’insécurité culturelle », écrivait-il en 2015, dans son
essai L’Insécurité culturelle, sortir du malaise identitaire français (Fayard).
Il le paya cher. On l’accusa d’être un suppôt de
la « fachosphère », de « faire le jeu du Front national », de s’être «
zemmourisé », éternel refrain qu’on sert, dans les médias politiquement
corrects et sur les réseaux sociaux, à ceux qui osent aborder le sujet tabou de
l’immigration et ses conséquences. Voulant revenir aux fondamentaux de la
gauche, c’est-à-dire aux préoccupations des classes populaires, Laurent Bouvet
avait « trahi » la gauche moderne ou plutôt postmoderne et anti-universaliste,
qui s’intéresse à ce qui nous différencie plutôt qu’à ce qui
nous rassemble.
« Comme un symbole, la
disparition de Laurent Bouvet intervient au moment même où la gauche, malade de
ses dénis et de ses reniements, afficherait le pire score de toute son histoire
dans une élection présidentielle. »
Comme un symbole, sa disparition intervient au
moment même où la gauche, malade de ses dénis et de ses reniements, afficherait
le pire score de toute son histoire dans une élection présidentielle.
L’ensemble des différents candidats ne totaliserait pas plus de 25 % des
intentions de vote. Avec Yannick Jadot (EELV) et Jean-Luc Mélenchon (LFI) au
coude-à-coude autour de 8 % tandis qu’Anne Hidalgo (PS) demeure dans l’incapacité
de franchir la barre des 5 %.
Christiane Taubira [photo], figure de proue de la gauche morale, espère éviter le naufrage annoncé en faisant irruption, telle la femme providentielle, au sein d’une primaire populaire en janvier afin de dégager un candidat unique de la gauche. Beaucoup seraient ravis de se rallier à son panache. Elle n’en manque pas. Suffira-t-il à la faire décoller des 2 % d’intentions de vote que lui créditait un sondage OpinionWay publié le 15 décembre ? Christiane Taubira a beau rêver d’une dynamique, la tâche semble incommensurable. D’autant que les deux principaux candidats à gauche, Jean-Luc Mélenchon et Yannick Jadot, ne veulent pas entendre parler d’une primaire comme ils l’ont déjà fait savoir à Anne Hidaldo, elle aussi défenseure d’une primaire, façon honorable pour elle de s’effacer au nom de l’unité derrière le candidat élu.
La gauche fonce droit dans le mur. À qui la faute ? Dire qu’Emmanuel Macron est responsable de la disparition de la droite et de la gauche ne tient plus la route. La droite ne s’est jamais aussi bien portée. Côté bloc populiste, avec Éric Zemmour et Marine Le Pen qui totalisent à eux deux autour de 30 % des intentions de vote (plus que toute la gauche !). Et côté LR, avec la candidature de Valérie Pécresse, qui vient challenger Marine Le Pen : la présidente de la région Île-de-France serait présente au second tour face au président sortant, selon de récents sondages.
« Si la gauche dérive, décline et
est incapable de faire émerger une figure de ralliement, elle ne doit s’en
prendre qu’à elle-même. Elle paye le prix de ses renoncements successifs. Et
surtout de son divorce avec les classes populaires. »
Si la gauche dérive, décline et est incapable de
faire émerger une figure de ralliement, elle ne doit s’en prendre qu’à
elle-même. Elle paye le prix de ses renoncements successifs. Et surtout de son
divorce avec les classes populaires.
Laurent Bouvet fut l’un des premiers à dénoncer le
ralliement du PS à la stratégie de conquête du pouvoir préconisée par Terra
Nova. Dans sa fameuse note de 2011, le think tank avait « acté » le divorce
entre la gauche et la classe ouvrière, ralliée au « populisme » et au Front
national. Terra Nova proposait de se tourner vers un nouvel électorat urbain
comprenant « les diplômés », « les jeunes », « les minorités des quartiers
populaires » et « les femmes » : tous unifiés par « des valeurs culturelles,
progressistes ». Le nouveau « prolétariat » était défini. Restait à le séduire.
Pour conquérir ces nouveaux « damnés de la terre », musulmans et/ou racisés, on
ne lésina pas notamment avec le clientélisme dans beaucoup de quartiers
populaires travaillés par l’islamisme…
Cet abandon de la classe ouvrière traditionnelle
au profit des combats sociétaux et des identités de groupe obligea la gauche à
se recentrer sur des questions de race, d’ethnie, de religion, de sexe
(jusque-là, thèmes de la droite !). Ce qui l’éloigna encore plus des classes
populaires. Et ouvrit la voie au macronisme. Pire, la gauche fit « cadeau » à
la droite de la laïcité devenue trop encombrante, trop suspecte
d’intransigeance républicaine, trop « dogmatique ». Comme si son logiciel
laïcité était incapable de s’adapter aux menaces nouvelles. Ainsi que le
rappelle Jacques Julliard : « la gauche a conservé de la
laïcité l’idée que c’est un truc contre les curés. » L’islam, en tant que
religion minoritaire, est forcément un allié. Hormis quelques voix obstinément
républicaines et droites dans leurs bottes comme celle de Manuel Valls, la
gauche s’est collée à la remorque de l’extrême gauche dans ses luttes
racialistes, climatiques et sociétales.
Que l’on pense au retournement spectaculaire d’un
Jean-Luc Mélenchon, longtemps chantre de la laïcité républicaine et désormais
champion de la lutte contre « l’islamophobie », transformant toute critique de la
religion musulmane en crime de « racisme » et restaurant, de fait, le crime de
blasphème. Que l’on songe aux écologistes dont le parti est travaillé par des
courants néo-féministes et islamo-gauchistes radicaux (Sandrine Rousseau,
figure de proue de cette mouvance idéologique, a fait un score important à la
primaire d’EELV).
« Il faudra beaucoup
à Christiane Taubira ou à quiconque pour recoudre le corps démantibulé de
la gauche, retisser le lien avec les classes populaires et changer radicalement
de stratégie en reprenant le fil des fondamentaux républicains et
universalistes. »
Ce dévoiement idéologique a également contaminé
une grande partie de la presse institutionnelle de gauche comme Le
Monde ou Libération. Leurs comptes rendus sur la
disparition de Laurent Bouvet ne manquent pas de souligner (au cas où on les
suspecterait de complaisance avec ce « laïcard zemmourisé ») que «
l’intellectuel s’abîme » et « devient un twittos fiévreux » (Le Monde) ;
que « son activisme sur les réseaux sociaux le mène à s’abîmer dans des
campagnes de disqualification », avec des « raids numériques ciblant les
citoyennes de confession musulmane » (Libération). Le « raid numérique »
en question, ciblant la « citoyenne musulmane », était un tweet soulignant «
l’incohérence de la tenue de la représentante de l’Unef Maryam Pougetoux, avec
son engagement syndical à gauche ». Voilà le type de déclarations dans
lesquelles « s’abîmait » Laurent Bouvet. Pauvres forces de progrès. Pauvre
gauche.
En juin 2020, dans l’émission Quotidien,
Christiane Taubira s’exclamait face à Assa Traoré, sœur d’Adama Traoré qui
dénonçait le racisme systémique de l’État français : « Vous êtes notre chance,
vous êtes aussi une chance pour la France, nous avons la chance de vous avoir.
» Et d’ajouter avec émotion, parlant de la mère d’Adama et Assa Traoré : « Si
je pouvais capturer un bataillon de vers à soie, je le ferais pour recoudre
juste un petit bout de son cœur brisé ». Il faudra plus d’une armée de vers à
soie à Christiane Taubira ou à quiconque pour recoudre le corps démantibulé de
la gauche, retisser le lien avec les classes populaires et changer radicalement
de stratégie en reprenant le fil des fondamentaux républicains et
universalistes. Pour ce faire, il faudra certainement plus de quatre mois. Et a
priori Christiane Taubira n’est pas la mieux placée.
Titre et Texte: Valérie Toranian,
Directrice de la Revue des Deux Mondes, lundi, le 20-12-2021
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Valérie Pécresse : être une femme est-il un bon argument de campagne ?
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