Dans ses premières déclarations après sa victoire à l’investiture LR pour la présidentielle, Valérie Pécresse [photo] n’a pas manqué de saluer « l’audace des militants » qui n’ont pas hésité à voter pour une femme. Une grande première pour la droite, et plus spécialement pour le parti héritier du général de Gaulle, de Pompidou, de Chirac et de Sarkozy. La candidate confessait son émotion et convoquait les figures féminines de sa famille qui l’avaient inspirée mais qui, à leur époque, « étaient reléguées au second plan ».
Nous voilà de nouveau face à l’éternel paradoxe des femmes en politique. Elles ont très longtemps souffert, et souffrent encore en partie, de la misogynie du monde politique, elles rêveraient d’un univers « dégenré » où la question du sexe ne soit plus une question, où le fait qu’une femme soit candidate à la plus haute fonction soit un « non-évènement ». Mais dès qu’elles sont en position de mener bataille et de gagner, le fait d’être une femme resurgit immanquablement. Et les mêmes qui protestent lorsqu’on les juge « en tant que femme », n’hésitent pas à se présenter aussi en tant que femme aux électeurs.
« À l’ère post #MeToo, les commentaires
incroyablement misogynes qui ont émaillé la campagne présidentielle de Ségolène
Royal en 2007 seraient totalement inaudibles. »
Peut-on leur donner tort ? Avoir été une femme en
politique a si longtemps été un handicap qu’espérer en tirer désormais quelque
avantage ne pourrait être que de bonne guerre. D’autant que l’époque est au «
respect » des femmes. Pour le pire, avec l’idéologie
néoféministe qui ne
voit les femmes qu’en éternelles victimes d’une domination hétéropatriarcale
blanche. Pour le meilleur, si l’on considère que certains comportements et
propos sexistes sont désormais (et pour toujours espérons-le) disqualifiés. À
l’ère post #MeToo, les commentaires
incroyablement misogynes qui ont émaillé la campagne présidentielle de Ségolène
Royal en 2007 seraient
totalement inaudibles. « Qui va garder les enfants ? » ; « La présidentielle
n’est pas un concours de beauté » ; « Les militants socialistes ne choisissent
pas la couverture de Paris Match » ; etc. L’ex-candidate
socialiste n’a pas tort lorsqu’elle déclare que les hommes de son parti,
pourtant porteur des luttes féministes contrairement à la droite, n’étaient pas
prêts. « Beaucoup plus secoués que ceux de LR aujourd’hui de voir une femme
leur passer devant. » Sans parler d’un avantage privé indéniable. « Valérie
Pécresse, elle, a un mari qui la soutient », n’a pu s’empêcher de tacler
Ségolène Royal.
La France est-elle pour autant prête à élire une femme à la présidence ? Quatre se présentent l’an prochain sur la ligne de départ. Valérie Pécresse, Marine Le Pen, Anne Hidalgo et Nathalie Artaud pour Lutte ouvrière. Dans la photographie actuelle des intentions de vote, Marine Le Pen reste la favorite pour figurer au second tour. Mais Valérie Pécresse espère bien perturber le jeu et se présenter en challenger d’Emmanuel Macron, à la faveur de la compétition entre Éric Zemmour et la patronne du Rassemblement national qui risque de faire chuter le score de cette dernière. D’autant qu’on a vu un Éric Zemmour plus en forme et plus décidé à en découdre que jamais lors de son meeting à Villepinte dimanche 5 décembre.
Dans un sondage Harris
Interactive de novembre 2021, neuf Français sur dix se déclaraient prêts à voter pour une femme. Mais
cette déclaration d’intention générale ne signifie pas, et heureusement, que
les Français veulent une femme à la présidence. Un sexe n’est
pas un programme politique. Pourquoi le serait-il ? Rien de plus désobligeant,
si l’on y réfléchit, à l’argument selon lequel « une femme après tout, c’est
l’option qui n’a jamais été tentée ». En somme, après les déceptions à droite,
les déceptions à gauche et la déconvenue du « en même temps » macronien, on
pourrait « essayer » une femme. Les Français ont beau être sujets à la
déprime, l’idée selon laquelle ils seraient prêts à céder à la tentation d’une
femme à l’Élysée, juste parce qu’une femme c’est « nouveau », ça « sait écouter
», c’est « plus concret » et « moins vaniteux qu’un homme », est à la fois
désobligeant pour les Français et faussement bienveillant pour les femmes.
« Qu’est-ce qu’être une femme en politique ?
Puisque la question continue de se poser, comment la poser ? Valérie Pécresse a
décidé de se positionner du côté de la « femme puissante », image qu’elle
martèle dans ses discours et ses interviews. Elle se définit comme « deux
tiers Merkel, un tiers Thatcher ».»
Il n’empêche. Qu’est-ce qu’être une femme en
politique ? Puisque la question continue de se poser, comment la poser ?
Valérie Pécresse a décidé de se positionner du côté de la « femme puissante »,
image qu’elle martèle dans ses discours et ses interviews. Elle se définit
comme « deux tiers Merkel, un tiers Thatcher ». Bonne gouvernance,
fermeté, dureté même dans le cas de la Première ministre britannique. Mais
aussi habileté politique et profil de rassembleuse pour la chancelière
allemande.
Valérie Pécresse insiste sur la puissance. Comme
si être une femme pouvait encore trop souvent signifier, dans l’inconscient
collectif, impuissance et incapacité. Celle qu’on surnommait « jeune et jolie »
à l’ENA avait, jusqu’à récemment, très peu évoqué la misogynie en politique.
Elle s’en est ouverte à Marion Van Renterghem dans le livre d’entretiens
que la journaliste lui a consacré. Valérie Pécresse faisait plutôt partie d’une génération de femmes qui
avançait tête baissée pour conquérir des places. Pas du genre à se plaindre.
Plutôt du genre à croire, qu’à force, le travail paye et le mérite est reconnu.
Ce ne fut pas toujours vrai.
En 2007, les « amis » politiques de Ségolène Royal
lui reprochaient d’être hystérique, ingérable, d’avoir un égo surdimensionné,
de « se prendre pour la sainte Vierge ». Tout au long de sa carrière, les «
amis » politiques de Valérie Pécresse lui ont reproché exactement l’inverse :
elle manquait de flamboyance et de charisme. Trop invisible, sans fantaisie,
trop têtue, trop besogneuse, scolaire… Valérie Pécresse pense que ce qui fut
longtemps considéré comme son handicap de femme de second plan (besogneuse et
têtue) est devenue un atout de « femme puissante ». Plus que d’un sauveur, d’un
homme brillant ou d’un personnage charismatique, la France a besoin d’un chef
qui sache « cheffer » et qui ait la volonté de réformer. Margaret Thatcher
disait : « En politique, si vous voulez des discours, demandez un homme ; si
vous voulez des actes, demandez une femme. » Valérie Pécresse déclare que,
contrairement à Emmanuel Macron, elle ne veut « pas plaire mais faire ». Un
cliché reste un cliché. Celui de la femme plus capable que l’homme est aussi
idiot que celui de l’homme plus capable que la femme. Mais la question du
courage politique, donc du caractère et du tempérament, est effectivement une
des clés du débat de la présidentielle. Désormais Valérie Pécresse va devoir
convaincre, bien au-delà des images et des symboles. Et le fait qu’elle soit
une femme va devenir de moins en moins déterminant.
Le cliché qui lui colle à la peau et qu’elle doit tout faire pour gommer n’est d’ailleurs pas forcément celui qu’elle croit. On ne va pas tant lui reprocher (de façon subliminale) d’être incapable parce que femme, mais plutôt d’être disqualifiée parce que trop « bourgeoise versaillaise ». Une « fracture sociale » que son mentor, Jacques Chirac, savait si bien faire disparaître par son caractère chaleureux lorsqu’il était en campagne. Elle doit de toute urgence se souvenir de ses leçons.
Titre et Texte: Valérie Toranian,
Directrice de la Revue des Deux Mondes, lundi, le 29-11-2021
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