« Les réfugiés sont devenus une arme géopolitique
entre les mains de dictateurs maîtres chanteurs cyniques qui s’en servent pour
déstabiliser l’Europe et pour régler leurs comptes. Alexandre Loukachenko
utilise les migrants comme “arme de guerre hybride”. Quasi ouvertement. »
Six ans plus tard, tout a changé. Le symbole de la crise migratoire n’est plus une plage de Méditerranée mais une forêt biélorusse glacée. Devant les barbelés de la frontière polonaise, porte d’entrée de l’Europe, s’entassent des milliers de réfugiés venus d’Afghanistan, d’Irak, de Syrie, du Kurdistan. Les réfugiés sont devenus une arme géopolitique entre les mains de dictateurs maîtres chanteurs cyniques qui s’en servent pour déstabiliser l’Europe et pour régler leurs comptes. Alexandre Loukachenko utilise les migrants comme « arme de guerre hybride ». Quasi ouvertement. Le régime supervise l’afflux des réfugiés et la rotation des vols en provenance de Turquie, du Moyen-Orient, du Maghreb, du Qatar, de Somalie, de Russie. Une des principales agences sur le terrain est un voyagiste biélorusse qui dépend directement du cabinet du dictateur. Alexandre Loukachenko se venge des sanctions prononcées par l’Europe pour ses atteintes aux droits de l’homme, pour avoir détourné un avion de ligne afin d’y kidnapper des opposants au régime en juin dernier. Loukachenko assume sa politique de chantage. « Nous arrêtions les migrants et les drogues. Attrapez-les vous-mêmes désormais », avait-il menacé en avril dernier, furieux contre l’Europe. Depuis cet été, selon la Commission européenne, près de 8 000 personnes auraient d’ores et déjà franchi les frontières biélorusses pour rejoindre la Lituanie (4 200), la Pologne (3 300) et la Lettonie (400).
La Turquie avait ouvert la voie en 2015. Elle
menaçait l’Europe de transformer ses frontières en passoire et commençait son
chantage migratoire, qu’elle n’a jamais cessé d’exercer depuis, ce qui lui a
permis de bénéficier de centaines de millions de subventions de la part de
l’Union européenne. Erdoğan joue sur nos peurs et en profite pour avancer ses
pions dans la région : Libye, Syrie, mer Égée, Caucase. Face à son
expansionnisme, l’Europe se tait, tremblant devant les « représailles
migratoires ». Loukachenko lui emboîte le pas. Soutenu par la Russie qui le
contrôle à distance, le laisse faire ou le stoppe. Lorsqu’il menace de couper
le gaz russe destiné à l’Europe, Poutine dément. Mais Moscou s’amuse de la
déstabilisation de l’Europe tout en affirmant « n’avoir rien à voir là-dedans
».
« L’Europe dénonce la tentative de déstabilisation
biélorusse et soutient la Pologne, pourtant longtemps accusée d’“inhumanité”
envers les réfugiés. Prise dans ses contradictions, elle plaide pour une
protection européenne mais se dit hostile à toute construction de murs,
”contraire à ses principes”. »
Six ans plus tard, l’Allemagne et la France ne
soutiennent plus « un mécanisme d’accueil permanent et obligatoire ». Le
ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas, s’est déclaré favorable
à de nouvelles sanctions contre Loukachenko. L’Europe dénonce la tentative de
déstabilisation biélorusse et soutient la Pologne, pourtant longtemps accusée
d’« inhumanité » envers les réfugiés. Prise dans ses contradictions, elle plaide
pour une protection européenne mais se dit hostile à toute construction de
murs, « contraire à ses principes ». Quand la Pologne, la Lituanie et la
Lettonie modifient leur législation afin d’autoriser les refoulements, y
compris pour les migrants pouvant prétendre à l’asile, le vice-président de la
Commission européenne, Margaritis Schinas, ne hurle pas au scandale. Il admet
qu’« à circonstances exceptionnelles, aménagements exceptionnels. » « Il serait
bon que l’UE prenne aussi des dispositions permettant de couvrir de telles
circonstances. »
Six ans plus tard, la question migratoire est
devenue un thème central de la campagne présidentielle française. Plus personne
n’ignore l’insécurité que fait peser sur le pays une immigration non maîtrisée.
Il ne s’agit plus de savoir comment accueillir mais comment accueillir moins.
Six ans plus tard, l’Europe est au pied du mur. Si
elle ne met pas au point une politique commune, elle sera la cible de nouvelles
tentatives de déstabilisation aux conséquences politiques potentiellement
désastreuses au sein des États membres. La France va prendre la présidence de
l’Europe en janvier. L’occasion pour Emmanuel Macron de prendre l’initiative et
de convaincre ses homologues de l’urgence d’une refondation.
Six ans plus tard, les enjeux sont les mêmes. En
pire.
Titre et Texte: Valérie Toranian, Directrice de la Revue des Deux Mondes, lundi, le 15-11-2021
Illustration : Des réfugiés regroupés dans un camp
de fortune, le 14 novembre 2021, en Biélorussie, à la frontière avec la
Pologne.
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