Au lendemain de l’annonce de sa candidature aux prochaines élections présidentielles, le président de République Souveraine, Georges Kouzmanovic, a rédigé ce texte à destination de l’un de ses vieux amis rencontré à l’armée.
Depuis que nous nous sommes
fréquentés sur les bancs de l’École d’état-major, je te savais désespéré : la
France te semblait condamnée à un lent processus de déliquescence. Donc, tu
m’écris qu’aujourd’hui, tu entrevois une lueur d’espoir, une chance de sauver
le pays et lui éviter cinq années supplémentaires de macronisme, qui en
sonneraient définitivement le glas. Cet espoir, cette planche de salut, tu les
trouves dans celui que tu perçois comme un nouveau chevalier dans cette noble
cause : Éric Zemmour.
Je partage, tu le sais, ton
constat concernant la situation de la France. Si Emmanuel Macron repasse, lui
ou un de ses épigones, on aura, comme l’a récemment annoncé le député marcheur
Roland Lescure, le quinquennat précédent « multiplié par dix » : transfert à
l’Union européenne du siège permanent de la France au Conseil de sécurité des
Nations unies, refus du protectionnisme, rejet de l’héritage gaullien. Ce sera
la fin définitive de la puissance industrielle et militaire française, et de
l’identité même de la France : nous sommes d’accord là-dessus. Ce sera aussi,
tu as tendance à l’oublier, la fin de l’hôpital, de la Sécurité sociale et plus
généralement de la République sociale – mais j’y reviendrai.
Comment en serait-il autrement
? Macron est le candidat de l’oligarchie, qu’il a d’ailleurs bien rétribuée, et
l’oligarchie n’a cure des patries. Et puis, il n’a jamais caché ni son objectif
d’une « souveraineté européenne » ni son atlantisme, qu’on vient encore de voir
étalés lors de sa rencontre avec un Joe Biden narquois à la villa Bonaparte à
Rome. Face à l’affront historique qu’a été l’annulation de la vente de nos
sous-marins à l’Australie, notre Président y a accepté quelques vagues excuses
de son homologue étasunien, en le suppliant de l’autoriser à bâtir une
« défense européenne »… sous couvert de l’OTAN – pauvre Napoléon !
Te voilà donc enthousiaste
devant Zemmour, le Charles Martel des temps modernes, plus acceptable pour ta
classe cultivée qu’une Marine Le Pen. Sauf que, même s’il est élu, Zemmour ne
fera rien de ce dont tu rêves, ou pas grand-chose. Permets-moi de t’expliquer
ma pensée.
Certes, l’identité de ce pays est menacée. Mais votre camp oublie que le délitement du pays n’est pas uniquement le fait d’une gauche damnée dont les jeunes cadres intellectualisés – acquis à l’idéologie woke qu’ils empruntent au parti démocrate américain – ont délaissé et la classe ouvrière et le passé de leur propre courant politique. Ce n’est pas seulement à cause d’une immigration trop importante – et surtout mal assimilée par une République affaiblie. Vous omettez trop vite la responsabilité, peut-être plus grave encore, de la droite qui a abandonné la nation.
Car non, face à une part de la
gauche dévoyée, une fraction majoritaire de la droite n’est pas un exemple de
droiture. Elle aussi s’est montrée infidèle, elle aussi a abjuré ses idéaux,
elle aussi s’est abîmée dans la traîtrise. Elle qui prétend avoir pour but le
service de la patrie s’est surtout illustrée dans le service de Mammon,
conséquence inévitable de son addiction au néolibéralisme. Toute à sa passion
de la liberté, la droite s’est appliquée à défaire ce qu’elle percevait comme
d’insupportables contraintes à la liberté de s’enrichir – les barrières
douanières, les lois sociales de l’État-providence, la taxation progressive –
oubliant que ce n’était pas un homme de gauche mais un catholique farouchement
opposé au travail du dimanche, le père Henri-Dominique Lacordaire, qui a dit,
lors d’un sermon à la chaire de Notre-Dame de Paris en 1848 : « Entre le fort
et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur,
c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. » Elle peut bien se
lamenter sur l’effondrement du respect envers les lois, les valeurs et les
forces de l’ordre, elle qui a contribué à le saper de multiples manières.
De fait, la majorité des
forces de droite, aujourd’hui, sont parfaitement Macron-compatibles : on l’a vu
d’emblée avec les Bruno Le Maire, Édouard Philippe ou Gérald Darmanin et leurs
nombreux séides ; on ne cesse de le constater en comparant les programmes qui,
sur le plan économique, se ressemblent comme deux gouttes d’eau – comme,
d’ailleurs, celui de la gauche de gouvernement. C’est pourquoi un socialiste
comme Olivier Dussopt peut succéder à Darmanin à la tête du budget de la nation
sans que les principes de gestion de l’argent public ne bougent d’une semelle.
Plus encore que la gauche, la
droite est coupable d’avoir sacrifié la France sur l’autel de la finance, de la
compétitivité, d’une Union européenne ultralibérale. La désindustrialisation,
l’abandon de la France travailleuse à la concurrence déloyale, vous en portez,
vous aussi, une immense responsabilité. C’est ensemble avec la gauche, à tour
de rôle, que vous avez massacré les acquis du Conseil national de la Résistance
; si la gauche a trahi la tradition communiste et socialiste, vous avez, vous,
trahi le gaullisme en vous vautrant dans l’atlantisme, antithèse de la
souveraineté – le dernier grand champion de la droite, Nicolas Sarkozy, « Sarko
l’Américain », en est le plus bel exemple.
Or, votre suivisme atlantiste
et votre passion de l’argent ne vous ont pas uniquement fait importer le modèle
de management anglo-saxon, source de profits pour les plus riches mais de
souffrances pour les salariés ; ils vous ont aussi fait prendre une position
hypocrite sur l’immigration, que vous dénoncez d’une part, mais que vous
encouragez de l’autre. Car ce ne sont pas les ONG ni les militants des droits
de l’homme qui en sont les premiers responsables, mais ceux qui exploitent
cette misère humaine, bien contents de payer des clopinettes le plongeur malien
qui ne fera jamais grève ou le plombier polonais qui ne réclamera pas les
cotisations patronales pour assurer ses vieux jours. Oui, mon ami, tu le sais,
au fond : le MEDEF et BusinessEurope ont plus fait pour l’immigration que tous
les gauchistes de France.
Et si ce n’était que cela !
Même ce wokisme que tu exècres – et je te comprends ! – d’où vient-il à la
gauche française sinon des États-Unis ? De quoi est-il une conséquence,
peut-être inattendue, sinon de votre propre adulation du grand frère américain
?
Et que dire de l’acceptation,
de facto, de tous les transferts de souveraineté ?
D’abord, celui de la
souveraineté nationale à une Union européenne oligarchique. Certes, le dernier
défenseur d’une France indépendante de cette tyrannie moderne fut homme de
droite, Philippe Séguin, mais quid depuis ? Ce fut le chant du cygne du
gaullisme dont pourtant vous vous gargarisez. Ensuite, ce fut l’enterrement en
grande pompe, à Versailles, de la souveraineté populaire, et donc de la
démocratie, quand Nicolas Sarkozy a entériné le traité de Lisbonne en
s’asseyant, main dans la main avec la gauche du gouvernement, sur le référendum
populaire de 2005 contre le Traité constitutionnel européen. À ce titre, vos
cousins conservateurs britanniques ont plus de dignité et de hauteur ; vous
devriez en tirer quelques leçons. Enfin, et c’est sûrement le pire car il
regroupe ces deux abandons de souveraineté, vous avez puissamment contribué,
sinon le plus, à ce que se créent ou se renforcent de puissantes
multinationales et institutions financières transnationales qui n’ont que faire
des États-nations, dont elles redoutent les lois régulatrices, et des peuples.
D’ailleurs, n’est-ce pas la panacée dans vos rangs que d’y travailler et
surtout d’en être fier d’y travailler ? Combien de tes amis, des membres de ta
famille, des anciens de ton parti politique y travaillent, mais en plus, en
véhiculent les valeurs qui vont absolument à l’encontre de celles que tu dis
être les tiennes ? Tu connais mieux que moi la réponse.
En somme, je t’accuse
d’aveuglement et de schizophrénie. Il est temps de se réveiller.
Tant que vous ne ferez pas la
critique de vos positions en matière économique et sociale, vous resterez dans
les vœux pieux. On ne peut pas sauver la France en parlant juste d’immigration
et d’identité. Car, mon cher D…, cette identité qui t’est si chère, cette
France au visage singulier, à nul autre pareil que tu aimes, elle n’est ni dans
la couleur de peau ni dans l’origine ethnique de ses habitants ; encore moins
dans la quantité d’argent gagnée par ses élites. Elle est dans l’esprit et les
valeurs des Français, pris collectivement, dans la beauté qu’ils sont capables
de créer et de transmettre, et dans le caractère original, unique, non
reproductible de ces réalisations. Cette identité, cette culture, a résisté,
tout en se transformant et en s’épanouissant, à bien des vicissitudes de
l’Histoire ; rien, jamais, ne l’a altérée autant que l’uniformité imposée par
la mondialisation libérale. Alors il serait peut-être temps de reconnaître que
tout est lié, et que ce qu’il s’agit de défendre, quand on veut défendre « la
France », ce n’est pas seulement son histoire, sa culture ou son folklore ; ce
sont aussi les traditions sociales qui permettent aux Français d’être ce qu’ils
sont. Ce n’est pas seulement dénoncer les errements des autres, mais
reconnaître les siens.
Permets-moi, pour conclure, de
te raconter un souvenir. Il y a quelques années, je visitais Uzès et son
château, celui des premiers ducs et pairs de France, qui étaient, depuis des
siècles, la plus ancienne lignée du pays, au sommet de la hiérarchie nobiliaire
de l’Ancien régime. La devise des ducs d’Uzès, qui figure à plusieurs endroits
au château, comme sur les armes du duché, est Ferro non auro : « Par le fer,
non par l’or ». La vieille noblesse de France, disposant certes de privilèges
exorbitants, tirait sa légitimité de la charge militaire qu’elle exerçait, du
courage dont elle faisait preuve et du service qu’elle rendait au pays. Il
paraît même qu’à Louis XVIII qui s’étonnait qu’aucun duc d’Uzès n’eût été
maréchal de France, le duc de l’époque aurait répliqué : « Sire, nous nous
faisons tuer avant. » Le château appartenant toujours, fait rare, à la famille
d’Uzès, j’ai demandé au guide ce que l’actuel duc faisait dans la vie :
était-il militaire, ou bien haut fonctionnaire ou peut-être dirigeant d’une
grande entreprise d’État ? Réponse : l’actuel tenant du titre, diplômé d’un MBA
d’une université américaine, « travaille dans l’immobilier ». Quelle ironie,
ai-je alors pensé. Aurum a donc fini par avoir le dernier mot.
Loin de moi l’idée de
critiquer les choix du duc, qui emploie d’ailleurs une partie de ses
confortables revenus à entretenir le joyau architectural dont il a la charge ;
mais l’anecdote a ici valeur d’illustration. Ce qui faisait la grandeur des
ducs d’Uzès, leur identité si tu veux, ce n’était pas leur fortune ni même la
splendeur de leur château, mais leur noblesse, leur bravoure et leur sens du
devoir envers leur pays ; c’est cela qu’il faudrait préserver, au-delà du
folklore, et qu’une grande partie de la droite a oublié.
Tu te dis conservateur, mon
ami ; je le suis également, cependant je suis pour conserver non pas tout ce
qui a été, mais ce qui a été bon : la nation, un État fort, une école
rigoureuse, un système social juste, une industrie prospère et régulée, une
répartition des richesses raisonnable et bien sûr le culte du récit national
dans toute sa richesse. Conserver les acquis du Conseil national de la
Résistance, la justice sociale chère à Jean Jaurès et l’indépendance de la
France chère au général de Gaulle. Or de tout cela, que voudrait conserver ton
nouveau champion Éric Zemmour ? Si peu, et pas toujours le plus glorieux. Sur
le domaine économique et social, il a d’emblée prévenu n’avoir pas grand-chose
à dire, et ne rien vouloir changer sur le fond ; dont acte. Pour ce qui est de
l’indépendance de la France, s’il l’évoque parfois dans ses discours, il ne
compte visiblement pas remettre en cause le carcan de l’Union européenne – pas
plus que Marine Le Pen d’ailleurs, récemment reconvertie à l’européisme – ou
tout autre représentant politique de la droite actuelle. Tu m’avais évoqué les
légers espoirs que vous nourrissiez avec Xavier Bertrand ; ils ont été vite
douchés par son attachement déclaré à l’inique traité d’Aix-la-Chapelle en
2019, clef de voûte macroniste de l’effondrement de la souveraineté de la
France. Crois-tu vraiment que simplement en boutant tous les étrangers hors de
France – ce que, du reste, il n’aura pas les moyens de faire – Zemmour réussira
à rendre à notre pays sa physionomie d’antan ?
Je vois, pour ma part, le
salut dans une attitude différente : une union dans laquelle chacun vient avec
ce que son courant politique a de meilleur. Un nouveau Conseil national de la
Résistance capable, comme par le passé, de transcender les limitations de
chaque camp et de s’entendre sur un programme syncrétique, afin de sortir notre
pays de son déclin. Je ne perds pas l’espoir de voir une telle union se
réaliser. À toi de me dire, ami, si tu la penses possible.
Texte: Georges Kuzmanovic, Revue Front Populaire, nº 7, Hiver 2021
Georges Kuzmanovic, né Djordje Kuzmanović le 16 mai 1973 à Belgrade, Yougoslavie (RFS de Yougoslavie, actuellement RS de Serbie), est un homme politique français, analyste géopolitique et officier de réserve.
Il est membre du Parti de
gauche dès sa création et siège à son bureau national. Il rejoint ensuite
La France insoumise et devient conseiller de Jean-Luc Mélenchon durant
la campagne présidentielle de 2017. Invoquant des divergences de programmes, il
quitte les deux organisations en 2018 puis fonde son propre parti, République
souveraine, l'année suivante.
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