quinta-feira, 27 de janeiro de 2022

Lettre à un ami souverainiste de droite

Au lendemain de l’annonce de sa candidature aux prochaines élections présidentielles, le président de République Souveraine, Georges Kouzmanovic, a rédigé ce texte à destination de l’un de ses vieux amis rencontré à l’armée.

Georges Kouzmanovic

Cher D…

Depuis que nous nous sommes fréquentés sur les bancs de l’École d’état-major, je te savais désespéré : la France te semblait condamnée à un lent processus de déliquescence. Donc, tu m’écris qu’aujourd’hui, tu entrevois une lueur d’espoir, une chance de sauver le pays et lui éviter cinq années supplémentaires de macronisme, qui en sonneraient définitivement le glas. Cet espoir, cette planche de salut, tu les trouves dans celui que tu perçois comme un nouveau chevalier dans cette noble cause : Éric Zemmour.

Je partage, tu le sais, ton constat concernant la situation de la France. Si Emmanuel Macron repasse, lui ou un de ses épigones, on aura, comme l’a récemment annoncé le député marcheur Roland Lescure, le quinquennat précédent « multiplié par dix » : transfert à l’Union européenne du siège permanent de la France au Conseil de sécurité des Nations unies, refus du protectionnisme, rejet de l’héritage gaullien. Ce sera la fin définitive de la puissance industrielle et militaire française, et de l’identité même de la France : nous sommes d’accord là-dessus. Ce sera aussi, tu as tendance à l’oublier, la fin de l’hôpital, de la Sécurité sociale et plus généralement de la République sociale – mais j’y reviendrai.

Comment en serait-il autrement ? Macron est le candidat de l’oligarchie, qu’il a d’ailleurs bien rétribuée, et l’oligarchie n’a cure des patries. Et puis, il n’a jamais caché ni son objectif d’une « souveraineté européenne » ni son atlantisme, qu’on vient encore de voir étalés lors de sa rencontre avec un Joe Biden narquois à la villa Bonaparte à Rome. Face à l’affront historique qu’a été l’annulation de la vente de nos sous-marins à l’Australie, notre Président y a accepté quelques vagues excuses de son homologue étasunien, en le suppliant de l’autoriser à bâtir une « défense européenne »… sous couvert de l’OTAN – pauvre Napoléon !

Te voilà donc enthousiaste devant Zemmour, le Charles Martel des temps modernes, plus acceptable pour ta classe cultivée qu’une Marine Le Pen. Sauf que, même s’il est élu, Zemmour ne fera rien de ce dont tu rêves, ou pas grand-chose. Permets-moi de t’expliquer ma pensée.

Certes, l’identité de ce pays est menacée. Mais votre camp oublie que le délitement du pays n’est pas uniquement le fait d’une gauche damnée dont les jeunes cadres intellectualisés – acquis à l’idéologie woke qu’ils empruntent au parti démocrate américain – ont délaissé et la classe ouvrière et le passé de leur propre courant politique. Ce n’est pas seulement à cause d’une immigration trop importante – et surtout mal assimilée par une République affaiblie. Vous omettez trop vite la responsabilité, peut-être plus grave encore, de la droite qui a abandonné la nation.

Car non, face à une part de la gauche dévoyée, une fraction majoritaire de la droite n’est pas un exemple de droiture. Elle aussi s’est montrée infidèle, elle aussi a abjuré ses idéaux, elle aussi s’est abîmée dans la traîtrise. Elle qui prétend avoir pour but le service de la patrie s’est surtout illustrée dans le service de Mammon, conséquence inévitable de son addiction au néolibéralisme. Toute à sa passion de la liberté, la droite s’est appliquée à défaire ce qu’elle percevait comme d’insupportables contraintes à la liberté de s’enrichir – les barrières douanières, les lois sociales de l’État-providence, la taxation progressive – oubliant que ce n’était pas un homme de gauche mais un catholique farouchement opposé au travail du dimanche, le père Henri-Dominique Lacordaire, qui a dit, lors d’un sermon à la chaire de Notre-Dame de Paris en 1848 : « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. » Elle peut bien se lamenter sur l’effondrement du respect envers les lois, les valeurs et les forces de l’ordre, elle qui a contribué à le saper de multiples manières.

De fait, la majorité des forces de droite, aujourd’hui, sont parfaitement Macron-compatibles : on l’a vu d’emblée avec les Bruno Le Maire, Édouard Philippe ou Gérald Darmanin et leurs nombreux séides ; on ne cesse de le constater en comparant les programmes qui, sur le plan économique, se ressemblent comme deux gouttes d’eau – comme, d’ailleurs, celui de la gauche de gouvernement. C’est pourquoi un socialiste comme Olivier Dussopt peut succéder à Darmanin à la tête du budget de la nation sans que les principes de gestion de l’argent public ne bougent d’une semelle.

Plus encore que la gauche, la droite est coupable d’avoir sacrifié la France sur l’autel de la finance, de la compétitivité, d’une Union européenne ultralibérale. La désindustrialisation, l’abandon de la France travailleuse à la concurrence déloyale, vous en portez, vous aussi, une immense responsabilité. C’est ensemble avec la gauche, à tour de rôle, que vous avez massacré les acquis du Conseil national de la Résistance ; si la gauche a trahi la tradition communiste et socialiste, vous avez, vous, trahi le gaullisme en vous vautrant dans l’atlantisme, antithèse de la souveraineté – le dernier grand champion de la droite, Nicolas Sarkozy, « Sarko l’Américain », en est le plus bel exemple.

Or, votre suivisme atlantiste et votre passion de l’argent ne vous ont pas uniquement fait importer le modèle de management anglo-saxon, source de profits pour les plus riches mais de souffrances pour les salariés ; ils vous ont aussi fait prendre une position hypocrite sur l’immigration, que vous dénoncez d’une part, mais que vous encouragez de l’autre. Car ce ne sont pas les ONG ni les militants des droits de l’homme qui en sont les premiers responsables, mais ceux qui exploitent cette misère humaine, bien contents de payer des clopinettes le plongeur malien qui ne fera jamais grève ou le plombier polonais qui ne réclamera pas les cotisations patronales pour assurer ses vieux jours. Oui, mon ami, tu le sais, au fond : le MEDEF et BusinessEurope ont plus fait pour l’immigration que tous les gauchistes de France.

Et si ce n’était que cela ! Même ce wokisme que tu exècres – et je te comprends ! – d’où vient-il à la gauche française sinon des États-Unis ? De quoi est-il une conséquence, peut-être inattendue, sinon de votre propre adulation du grand frère américain ?

Et que dire de l’acceptation, de facto, de tous les transferts de souveraineté ?

D’abord, celui de la souveraineté nationale à une Union européenne oligarchique. Certes, le dernier défenseur d’une France indépendante de cette tyrannie moderne fut homme de droite, Philippe Séguin, mais quid depuis ? Ce fut le chant du cygne du gaullisme dont pourtant vous vous gargarisez. Ensuite, ce fut l’enterrement en grande pompe, à Versailles, de la souveraineté populaire, et donc de la démocratie, quand Nicolas Sarkozy a entériné le traité de Lisbonne en s’asseyant, main dans la main avec la gauche du gouvernement, sur le référendum populaire de 2005 contre le Traité constitutionnel européen. À ce titre, vos cousins conservateurs britanniques ont plus de dignité et de hauteur ; vous devriez en tirer quelques leçons. Enfin, et c’est sûrement le pire car il regroupe ces deux abandons de souveraineté, vous avez puissamment contribué, sinon le plus, à ce que se créent ou se renforcent de puissantes multinationales et institutions financières transnationales qui n’ont que faire des États-nations, dont elles redoutent les lois régulatrices, et des peuples. D’ailleurs, n’est-ce pas la panacée dans vos rangs que d’y travailler et surtout d’en être fier d’y travailler ? Combien de tes amis, des membres de ta famille, des anciens de ton parti politique y travaillent, mais en plus, en véhiculent les valeurs qui vont absolument à l’encontre de celles que tu dis être les tiennes ? Tu connais mieux que moi la réponse.

En somme, je t’accuse d’aveuglement et de schizophrénie. Il est temps de se réveiller.

Tant que vous ne ferez pas la critique de vos positions en matière économique et sociale, vous resterez dans les vœux pieux. On ne peut pas sauver la France en parlant juste d’immigration et d’identité. Car, mon cher D…, cette identité qui t’est si chère, cette France au visage singulier, à nul autre pareil que tu aimes, elle n’est ni dans la couleur de peau ni dans l’origine ethnique de ses habitants ; encore moins dans la quantité d’argent gagnée par ses élites. Elle est dans l’esprit et les valeurs des Français, pris collectivement, dans la beauté qu’ils sont capables de créer et de transmettre, et dans le caractère original, unique, non reproductible de ces réalisations. Cette identité, cette culture, a résisté, tout en se transformant et en s’épanouissant, à bien des vicissitudes de l’Histoire ; rien, jamais, ne l’a altérée autant que l’uniformité imposée par la mondialisation libérale. Alors il serait peut-être temps de reconnaître que tout est lié, et que ce qu’il s’agit de défendre, quand on veut défendre « la France », ce n’est pas seulement son histoire, sa culture ou son folklore ; ce sont aussi les traditions sociales qui permettent aux Français d’être ce qu’ils sont. Ce n’est pas seulement dénoncer les errements des autres, mais reconnaître les siens.

Permets-moi, pour conclure, de te raconter un souvenir. Il y a quelques années, je visitais Uzès et son château, celui des premiers ducs et pairs de France, qui étaient, depuis des siècles, la plus ancienne lignée du pays, au sommet de la hiérarchie nobiliaire de l’Ancien régime. La devise des ducs d’Uzès, qui figure à plusieurs endroits au château, comme sur les armes du duché, est Ferro non auro : « Par le fer, non par l’or ». La vieille noblesse de France, disposant certes de privilèges exorbitants, tirait sa légitimité de la charge militaire qu’elle exerçait, du courage dont elle faisait preuve et du service qu’elle rendait au pays. Il paraît même qu’à Louis XVIII qui s’étonnait qu’aucun duc d’Uzès n’eût été maréchal de France, le duc de l’époque aurait répliqué : « Sire, nous nous faisons tuer avant. » Le château appartenant toujours, fait rare, à la famille d’Uzès, j’ai demandé au guide ce que l’actuel duc faisait dans la vie : était-il militaire, ou bien haut fonctionnaire ou peut-être dirigeant d’une grande entreprise d’État ? Réponse : l’actuel tenant du titre, diplômé d’un MBA d’une université américaine, « travaille dans l’immobilier ». Quelle ironie, ai-je alors pensé. Aurum a donc fini par avoir le dernier mot.

Loin de moi l’idée de critiquer les choix du duc, qui emploie d’ailleurs une partie de ses confortables revenus à entretenir le joyau architectural dont il a la charge ; mais l’anecdote a ici valeur d’illustration. Ce qui faisait la grandeur des ducs d’Uzès, leur identité si tu veux, ce n’était pas leur fortune ni même la splendeur de leur château, mais leur noblesse, leur bravoure et leur sens du devoir envers leur pays ; c’est cela qu’il faudrait préserver, au-delà du folklore, et qu’une grande partie de la droite a oublié.

Tu te dis conservateur, mon ami ; je le suis également, cependant je suis pour conserver non pas tout ce qui a été, mais ce qui a été bon : la nation, un État fort, une école rigoureuse, un système social juste, une industrie prospère et régulée, une répartition des richesses raisonnable et bien sûr le culte du récit national dans toute sa richesse. Conserver les acquis du Conseil national de la Résistance, la justice sociale chère à Jean Jaurès et l’indépendance de la France chère au général de Gaulle. Or de tout cela, que voudrait conserver ton nouveau champion Éric Zemmour ? Si peu, et pas toujours le plus glorieux. Sur le domaine économique et social, il a d’emblée prévenu n’avoir pas grand-chose à dire, et ne rien vouloir changer sur le fond ; dont acte. Pour ce qui est de l’indépendance de la France, s’il l’évoque parfois dans ses discours, il ne compte visiblement pas remettre en cause le carcan de l’Union européenne – pas plus que Marine Le Pen d’ailleurs, récemment reconvertie à l’européisme – ou tout autre représentant politique de la droite actuelle. Tu m’avais évoqué les légers espoirs que vous nourrissiez avec Xavier Bertrand ; ils ont été vite douchés par son attachement déclaré à l’inique traité d’Aix-la-Chapelle en 2019, clef de voûte macroniste de l’effondrement de la souveraineté de la France. Crois-tu vraiment que simplement en boutant tous les étrangers hors de France – ce que, du reste, il n’aura pas les moyens de faire – Zemmour réussira à rendre à notre pays sa physionomie d’antan ?

Je vois, pour ma part, le salut dans une attitude différente : une union dans laquelle chacun vient avec ce que son courant politique a de meilleur. Un nouveau Conseil national de la Résistance capable, comme par le passé, de transcender les limitations de chaque camp et de s’entendre sur un programme syncrétique, afin de sortir notre pays de son déclin. Je ne perds pas l’espoir de voir une telle union se réaliser. À toi de me dire, ami, si tu la penses possible.

Texte: Georges Kuzmanovic, Revue Front Populaire, nº 7, Hiver 2021 

Georges Kuzmanovic, né Djordje Kuzmanović le 16 mai 1973 à Belgrade, Yougoslavie (RFS de Yougoslavie, actuellement RS de Serbie), est un homme politique français, analyste géopolitique et officier de réserve. 

Il est membre du Parti de gauche dès sa création et siège à son bureau national. Il rejoint ensuite La France insoumise et devient conseiller de Jean-Luc Mélenchon durant la campagne présidentielle de 2017. Invoquant des divergences de programmes, il quitte les deux organisations en 2018 puis fonde son propre parti, République souveraine, l'année suivante.

Wikipédia

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