Valérie Toranian
Les marxistes-léninistes,
jusqu’à la chute du Mur (et pour certains même après !), avaient coutume
d’expliquer que l’échec du communisme en URSS n’était pas dû à la nature du
système. Bien au contraire, c’est parce qu’il n’y avait pas eu assez de
communisme que le communisme avait échoué ! La main des révolutionnaires
avait tremblé. La transformation n’avait pas été assez radicale. Résultat, le
système s’était effondré. Pour les idéologues, la fiction du dogme (ici, «
l’avenir radieux » du communisme) est plus « vraie » que la réalité. Il faut
donc nier la réalité, y compris contre toute évidence si elle bouscule le
dogme.
Invité de l’émission On est en direct, Edwy Plenel, militant d’extrême gauche et président de Mediapart, s’est livré exactement au même raisonnement concernant les raisons de l’effondrement de la gauche pour l’élection présidentielle de 2022. Ce n’est pas parce qu’elle a abandonné les combats sociaux au profit des luttes sociétales, LGBT, néo-féministes, racialistes et identitaires woke que la gauche a perdu son électorat populaire. C’est au contraire parce que la gauche de parti, la gauche de « système », refuse de prendre suffisamment en considération ces nouveaux combats qu’elle est boudée par le peuple. La gauche, la vraie, s’exprime à travers « les “gilets jaunes”, #MeToo, la bataille contre les discriminations touchant les personnes racisées ». Être de gauche, écrit-il dans À gauche de l’impossible, « c’est d’abord défendre la société contre les abus des pouvoirs, qu’ils soient étatiques, politiques ou économiques, sociaux ou culturels, entremêlant domination sociale, discrimination raciste et oppression patriarcale ».
« Le fait que Christiane
Taubira plafonne sous les 5 % d’intention de vote ne semble pas perturber Edwy
Plenel. C’est sûrement parce qu’elle n’est pas assez woke que
sa candidature piétine ? »
Il y a pourtant parmi les huit candidats de gauche postulant à la magistrature suprême (et dont aucun n’atteint 10 %) des adeptes de cette stratégie émancipatrice par les luttes inclusives contre les dominants. Christiane Taubira notamment en est l’exacte expression. Le fait qu’elle plafonne sous les 5 % d’intention de vote ne semble pas perturber Edwy Plenel. C’est sûrement parce qu’elle n’est pas assez woke que sa candidature piétine ?
À partir des années 1980, la
gauche a abandonné les combats sociaux au profit des combats sociétaux.
L’antiracisme, le respect des identités et des religions, les droits LGBT sont
devenus la quintessence de son programme. Ce virage dévastateur fut acté (plus
que théorisé) par la fameuse note du think tank Terra Nova en 2011. « La coalition
historique qui a porté la gauche depuis près d’un siècle, fondée sur la classe
ouvrière » était en déclin à cause d’un « rétrécissement démographique de la
classe ouvrière », expliquait le texte. Les ouvriers n’étaient plus en phase
avec le libéralisme culturel adopté par la gauche depuis 1968. Le rapport
préconisait de se tourner vers une nouvelle coalition : « la France de demain »
composée des « diplômés », des « jeunes », des « minorités » et des « femmes ».
Apparemment Edwy Plenel partage le même constat que la note funeste, d’essence
très libérale et « strausskahnienne » de Terra Nova. Une vision qui a conduit
les classes populaires vers l’extrême droite et la gauche dans le mur avec un
parti socialiste aujourd’hui sous les 5 %.
« La gauche d’Edwy Plenel
c’est la gauche de la haine de soi. »
Edwy Plenel voue aux gémonies
la social-démocratie, la gauche de gouvernement, pourrie par le système. Mais
son réquisitoire va encore plus loin. Selon lui, ceux qui se réclament des
valeurs républicaines (la gauche universaliste et antiwoke pour
résumer) donnent dans « l’incantatoire ». Car la république est appelée au
changement, au mouvement, ce n’est pas un ordre mort. « La république
appartient à tout le monde. » Si la république appartient à tout le monde
et qu’elle n’est pas figée, il faut donc, selon le président de Mediapart,
qu’elle prenne en compte les nouvelles aspirations émancipatrices de la
société. Qu’elle renonce à sa position de surplomb, au-dessus de la société.
Qu’elle accepte au contraire que la société, dans toutes ses composantes,
domine l’État, comme dans le système multiculturel américain. Qu’on ne
reconnaisse plus des citoyens égaux, mais des individus avec des droits
spécifiques. Bref, pour que la république évolue dans le bon sens, il faut
qu’elle se fasse hara-kiri. Les valeurs républicaines, qui furent la fierté de
la gauche, sont devenues la représentation d’une verticalité honnie. Un
repoussoir. La gauche de M. Plenel c’est la gauche de la haine de soi. La
république, qui émancipait par l’école et la raison, est accusée d’agir pour le
maintien d’un ordre qui favorise, perpétue les inégalités et les injustices de
façon « systémique » (son péché originel étant bien sûr la colonisation, certes
condamnable, mais qui ne lui sera jamais pardonnée alors qu’on la pardonne aux
Arabes ou à l’empire ottoman).
Lorsque l’idéologie woke s’en
prend à la violence systémique d’État, ne nous méprenons pas : ce sont en fait
les principes régaliens républicains qu’elle vise. La république c’est «
l’arrogance universaliste », elle est donc au cœur de la domination. Toutes les
plaies de la société deviennent son émanation systémique : le racisme, les
violences policières, la domination masculine, et même la maltraitance des
personnes âgées, ainsi qu’on l’entend depuis quelques semaines suite aux
révélations sur la gestion des Ehpad (alors que justement le scandale touche
des Ehpad privés et non publics).
« Oublions ce qui nous
rassemble et célébrons ce qui nous divise. Voilà la gauche que réclame Edwy
Plenel et ses amis. Une gauche éternellement infantile. Une gauche à 5 %. »
La république jacobine a
sûrement ses défauts. Trop rigide, trop centralisée, trop bureaucratique, pas
assez pragmatique. Le général de Gaulle lui-même voulait, par la voie du
référendum qu’il perdit en 1969, redonner du sens et du pouvoir aux régions.
Mais ce qui se joue désormais n’est pas la correction des défauts d’un système
républicain qui ne remplit pas toutes ses promesses. Non, ce qui se joue est
une guerre d’usure qui grignote, année après année, l’image, les valeurs et le
sens du pacte républicain. La république sera acceptable le jour où elle
abdiquera toute verticalité. Lorsqu’elle renoncera à une laïcité « qui écrase
», selon Christiane Taubira, candidate identitaire de la gauche woke.
La France n’est pas que le
cumul des différentes identités ou communautés présentes sur son territoire. La
république est un modèle émancipateur qui ne reconnaît pas l’assignation aux
origines. L’effort, le travail, la méritocratie, l’ordre et l’égalité des
chances pour tous, qui sont au cœur du discours républicain, n’ont pas la côte.
Il est plus facile d’être flatté dans sa différence, reconnu dans son altérité
et classé en fonction des discriminations dont on est victime. La gauche
identitaire aspire à transformer la république en démocratie inclusive délivrée
de tout esprit républicain, de toute autorité verticale. La démocratie,
écrivait Régis Debray, c’est ce qui reste d’une république
quand on éteint les Lumières. Finissons de liquider l’héritage universaliste.
Oublions ce qui nous rassemble et célébrons ce qui nous divise. Voilà la gauche
que réclame M. Plenel et ses amis. Une gauche éternellement infantile. Une
gauche à 5 %.
Titre et Texte: Valérie Toranian,
Directrice de la Revue des Deux Mondes, lundi, 7-2-2022
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