segunda-feira, 7 de fevereiro de 2022

[L’édito de Valérie Toranian] Les bons conseils de M. Plenel pour relancer la gauche

Valérie Toranian

Les marxistes-léninistes, jusqu’à la chute du Mur (et pour certains même après !), avaient coutume d’expliquer que l’échec du communisme en URSS n’était pas dû à la nature du système. Bien au contraire, c’est parce qu’il n’y avait pas eu assez de communisme que le communisme avait échoué ! La main des révolutionnaires avait tremblé. La transformation n’avait pas été assez radicale. Résultat, le système s’était effondré. Pour les idéologues, la fiction du dogme (ici, « l’avenir radieux » du communisme) est plus « vraie » que la réalité. Il faut donc nier la réalité, y compris contre toute évidence si elle bouscule le dogme.

Invité de l’émission On est en directEdwy Plenel, militant d’extrême gauche et président de Mediapart, s’est livré exactement au même raisonnement concernant les raisons de l’effondrement de la gauche pour l’élection présidentielle de 2022. Ce n’est pas parce qu’elle a abandonné les combats sociaux au profit des luttes sociétales, LGBT, néo-féministes, racialistes et identitaires woke que la gauche a perdu son électorat populaire. C’est au contraire parce que la gauche de parti, la gauche de « système », refuse de prendre suffisamment en considération ces nouveaux combats qu’elle est boudée par le peuple. La gauche, la vraie, s’exprime à travers « les “gilets jaunes”, #MeToo, la bataille contre les discriminations touchant les personnes racisées ». Être de gauche, écrit-il dans À gauche de l’impossible, « c’est d’abord défendre la société contre les abus des pouvoirs, qu’ils soient étatiques, politiques ou économiques, sociaux ou culturels, entremêlant domination sociale, discrimination raciste et oppression patriarcale ».

« Le fait que Christiane Taubira plafonne sous les 5 % d’intention de vote ne semble pas perturber Edwy Plenel. C’est sûrement parce qu’elle n’est pas assez woke que sa candidature piétine ? »

Il y a pourtant parmi les huit candidats de gauche postulant à la magistrature suprême (et dont aucun n’atteint 10 %) des adeptes de cette stratégie émancipatrice par les luttes inclusives contre les dominants. Christiane Taubira notamment en est l’exacte expression. Le fait qu’elle plafonne sous les 5 % d’intention de vote ne semble pas perturber Edwy Plenel. C’est sûrement parce qu’elle n’est pas assez woke que sa candidature piétine ?

À partir des années 1980, la gauche a abandonné les combats sociaux au profit des combats sociétaux. L’antiracisme, le respect des identités et des religions, les droits LGBT sont devenus la quintessence de son programme. Ce virage dévastateur fut acté (plus que théorisé) par la fameuse note du think tank Terra Nova en 2011. « La coalition historique qui a porté la gauche depuis près d’un siècle, fondée sur la classe ouvrière » était en déclin à cause d’un « rétrécissement démographique de la classe ouvrière », expliquait le texte. Les ouvriers n’étaient plus en phase avec le libéralisme culturel adopté par la gauche depuis 1968. Le rapport préconisait de se tourner vers une nouvelle coalition : « la France de demain » composée des « diplômés », des « jeunes », des « minorités » et des « femmes ». Apparemment Edwy Plenel partage le même constat que la note funeste, d’essence très libérale et « strausskahnienne » de Terra Nova. Une vision qui a conduit les classes populaires vers l’extrême droite et la gauche dans le mur avec un parti socialiste aujourd’hui sous les 5 %.

« La gauche d’Edwy Plenel c’est la gauche de la haine de soi. »

Edwy Plenel voue aux gémonies la social-démocratie, la gauche de gouvernement, pourrie par le système. Mais son réquisitoire va encore plus loin. Selon lui, ceux qui se réclament des valeurs républicaines (la gauche universaliste et antiwoke pour résumer) donnent dans « l’incantatoire ». Car la république est appelée au changement, au mouvement, ce n’est pas un ordre mort. « La république appartient à tout le monde. » Si la république appartient à tout le monde et qu’elle n’est pas figée, il faut donc, selon le président de Mediapart, qu’elle prenne en compte les nouvelles aspirations émancipatrices de la société. Qu’elle renonce à sa position de surplomb, au-dessus de la société. Qu’elle accepte au contraire que la société, dans toutes ses composantes, domine l’État, comme dans le système multiculturel américain. Qu’on ne reconnaisse plus des citoyens égaux, mais des individus avec des droits spécifiques. Bref, pour que la république évolue dans le bon sens, il faut qu’elle se fasse hara-kiri. Les valeurs républicaines, qui furent la fierté de la gauche, sont devenues la représentation d’une verticalité honnie. Un repoussoir. La gauche de M. Plenel c’est la gauche de la haine de soi. La république, qui émancipait par l’école et la raison, est accusée d’agir pour le maintien d’un ordre qui favorise, perpétue les inégalités et les injustices de façon « systémique » (son péché originel étant bien sûr la colonisation, certes condamnable, mais qui ne lui sera jamais pardonnée alors qu’on la pardonne aux Arabes ou à l’empire ottoman).

Lorsque l’idéologie woke s’en prend à la violence systémique d’État, ne nous méprenons pas : ce sont en fait les principes régaliens républicains qu’elle vise. La république c’est « l’arrogance universaliste », elle est donc au cœur de la domination. Toutes les plaies de la société deviennent son émanation systémique : le racisme, les violences policières, la domination masculine, et même la maltraitance des personnes âgées, ainsi qu’on l’entend depuis quelques semaines suite aux révélations sur la gestion des Ehpad (alors que justement le scandale touche des Ehpad privés et non publics).

« Oublions ce qui nous rassemble et célébrons ce qui nous divise. Voilà la gauche que réclame Edwy Plenel et ses amis. Une gauche éternellement infantile. Une gauche à 5 %. »

La république jacobine a sûrement ses défauts. Trop rigide, trop centralisée, trop bureaucratique, pas assez pragmatique. Le général de Gaulle lui-même voulait, par la voie du référendum qu’il perdit en 1969, redonner du sens et du pouvoir aux régions. Mais ce qui se joue désormais n’est pas la correction des défauts d’un système républicain qui ne remplit pas toutes ses promesses. Non, ce qui se joue est une guerre d’usure qui grignote, année après année, l’image, les valeurs et le sens du pacte républicain. La république sera acceptable le jour où elle abdiquera toute verticalité. Lorsqu’elle renoncera à une laïcité « qui écrase », selon Christiane Taubira, candidate identitaire de la gauche woke.

La France n’est pas que le cumul des différentes identités ou communautés présentes sur son territoire. La république est un modèle émancipateur qui ne reconnaît pas l’assignation aux origines. L’effort, le travail, la méritocratie, l’ordre et l’égalité des chances pour tous, qui sont au cœur du discours républicain, n’ont pas la côte. Il est plus facile d’être flatté dans sa différence, reconnu dans son altérité et classé en fonction des discriminations dont on est victime. La gauche identitaire aspire à transformer la république en démocratie inclusive délivrée de tout esprit républicain, de toute autorité verticale. La démocratie, écrivait Régis Debray, c’est ce qui reste d’une république quand on éteint les Lumières. Finissons de liquider l’héritage universaliste. Oublions ce qui nous rassemble et célébrons ce qui nous divise. Voilà la gauche que réclame M. Plenel et ses amis. Une gauche éternellement infantile. Une gauche à 5 %.

Titre et Texte: Valérie Toranian, Directrice de la Revue des Deux Mondes, lundi, 7-2-2022

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