segunda-feira, 7 de março de 2022

[L’édito de Valérie Toranian] Le courage des Russes, l’autre résistance à Poutine

Valérie Toranian


C’est une blague qui circule à Moscou depuis la loi votée par la Douma le 4 mars, interdisant la diffusion d’« informations mensongères sur l’armée russe » : les exemplaires de Guerre et Paix de Tolstoï vont être retirés des librairies et remplacés par une nouvelle édition portant le titre « Opération spéciale et paix ». Il n’y a plus de liberté d’informer en Russie et, à bien des égards, on se croirait revenu à la pire époque stalinienne. Le risque encouru par les médias pour divulgation d’informations contraires au discours officiel est de quinze ans de prison. Déferlante de propagande sur les chaînes d’État (on n’hésite pas à affirmer que le bombardement de Kharkiv est le fait des nazis ukrainiens), musèlement des médias, suppression de l’accès aux réseaux sociaux (Facebook, Twitter bientôt, peut-être Instagram et YouTube), surveillance des propos individuels, répression sans état d’âme… : le rouleau compresseur poutinien aurait dû faire couler une chape de plomb et de silence sur la Russie. 

Pourtant, ils sont des milliers et des milliers dans la rue à réclamer l’arrêt de la guerre. Des vidéos montrent des manifestants sauvagement battus par les forces de l’ordre. Le 6 mars, le ministre de l’Intérieur russe affirmait détenir 3 500 manifestants dont 1 700 pour la seule ville de Moscou sur un total de 5 200 manifestants sur l’ensemble de la Russie. L’ONG russe OVD-Info, qui informe depuis 2011 sur les brutalités policières contre les civils, parle d’au moins 4 600 arrestations dans 56 villes différentes dont Iekaterinbourg aux confins de la Sibérie. Et le nombre total d’arrestation depuis le début de la guerre serait d’au moins 7 000.

On ne connaît pas le nombre exact de manifestants et les informations postées sont difficilement vérifiables puisque la loi s’applique aussi aux médias étrangers et empêche la majorité d’entre eux de continuer d’informer depuis la Russie (ils continuent de le faire sur leur propre média). Mais on imagine sans peine que le nombre de Russes participant aux rassemblements est minoré par Moscou.

« Une autre Russie existe, avec une opinion éclairée, articulée, qui ne supporte plus la répression dont elle est l’objet et qui ne se reconnaît pas dans la volonté de puissance et les aventures impériales du chef du Kremlin. »

Dans cette guerre, il y a le courage des Ukrainiens, leur détermination héroïque contre les chars et l’aviation russe, la bravoure des civils qui prennent les armes pour défendre leurs villes martyres, la grandeur de Zelensky, chef de guerre charismatique et président trompe-la-mort. Et il y a aussi le courage de ces Russes en Russie. Défiant le chef du Kremlin, bravant la répression et l’emprisonnement. Diffuser une fake news coûte de 750 000 à 1 500 000 roubles (soit une fois et demie le salaire moyen annuel) ou trois ans d’emprisonnement. Si un citoyen manifeste, la peine est plus lourde : il encourt jusqu’à 2 500 000 roubles ou jusqu’à quatre ans d’emprisonnement, à partir du moment où il résiste aux forces de l’ordre (ce qui est le cas techniquement puisqu’ils se font arrêter manu militari). Et bien sûr, toutes ces sanctions sont à la discrétion du juge qui obéira, en dernier recours, aux instructions du ministère de la Justice.

Pourquoi un courage aussi exemplaire ? Pour dénoncer une guerre absurde qui va sacrifier des milliers de jeunes ? Pour l’Ukraine, pays « frère » qu’on assassine ? Bien sûr mais pas seulement. Pour l’historien et essayiste Jean-François Colosimo, ce mouvement de dissidence est « la preuve qu’une autre Russie existe, avec une opinion éclairée, articulée, qui ne supporte plus la répression dont elle est l’objet et qui ne se reconnaît pas dans la volonté de puissance et les aventures impériales du chef du Kremlin. L’acharnement qu’a mis Poutine depuis dix-huit mois à décapiter cette autre Russie est spectaculaire. L’extinction de toutes les voix dissidentes est systématique. Les associations sont harcelées, les médias persécutés, six journalistes de Novaïa Gazeta ont trouvé la mort. L’association des mères de soldats a été interdite. La loi sur les « agents de l’étranger » empêche de toucher un seul centime de l’extérieur. Si, par exemple, une revue russe perçoit le montant d’un abonnement depuis la France, elle doit se déclarer “agent de l’étranger” ! L’opposant Alexeï Navalny, de la Fondation contre la corruption, a été empoisonné puis emprisonné à son retour d’Allemagne où il s’était fait soigner. Saluons le courage de cet homme qui a choisi en connaissance de cause de passer deux ans et demi en camp de travail. Il était jugé encore plus dangereux que l’opposant Boris Nemtsov, assassiné devant le Kremlin en 2015, ou qu’une Anna Politkovskaïa, journaliste éliminée en 2006 pour ses enquêtes gênantes. Car Navalny avait développé un réseau sur le territoire russe, une véritable alternative politique. » (1) « Il faut bien comprendre, poursuit l’historien, que l’hubris expansionniste impériale de Poutine ne pouvait pas se déployer sans la mise au pas de la société ainsi que le renforcement gigantesque de la propagande. L’un ne fonctionne pas sans l’autre. »

« Poutine n’avait pas prévu l’ampleur de la résistance ukrainienne, ni peut-être même le courage de cette “autre Russie” qui le défie sous ses fenêtres. Son pouvoir s’en trouve-t-il menacé ? Rien ne permet de l’affirmer. »

L’autre surprise, pour Moscou, vient des populations russophones supposées pro-russes d’Ukraine. Loin d’être soudées derrière le chef du Kremlin, elles se rallient en grand nombre derrière le drapeau bleu et jaune de la résistance. « Depuis huit ans, la guerre civile larvée qui oppose, dans le Donbass, les mouvements séparatistes agités par Moscou et l’armée régulière ukrainienne ont fait plus de 14 000 morts, rappelle Jean-François Colosimo. Les Ukrainiens de l’Est ont subi, plutôt que choisi, ces groupes armés violents, constitués d’anciens criminels qui se considéraient en terrain conquis. Au début, la politique culturelle de dérussification des régions de l’Est (cette politique a existé dans d’autres anciennes républiques soviétiques, par exemple dans les pays baltes) avait nourri le sentiment pro-russe. Mais huit ans après, les miliciens venus “libérer” les Ukrainiens n’étaient plus considérés d’un si bon œil. L’invasion russe a bouleversé la donne. Poutine est le seul responsable de ce retournement. Par sa violence, il a unifié la résistance ukrainienne. L’église orthodoxe ukrainienne autocéphale, majoritaire, condamne bien sûr la Russie. Mais même le représentant de l’église orthodoxe ukrainienne affiliée à Moscou (minoritaire) condamne la guerre ! »

Poutine n’avait pas prévu l’ampleur de la résistance ukrainienne, ni peut-être même le courage de cette « autre Russie » qui le défie sous ses fenêtres. Son pouvoir s’en trouve-t-il menacé ? Rien ne permet de l’affirmer. Quelques milliers de manifestants ne font pas le printemps. Et en Ukraine, les armées russes avancent et détruisent méthodiquement. En bon paranoïaque du KGB, Poutine n’a prévu qu’une chose : son assassinat par un de ses proches. Et il a tout fait pour expurger son entourage et se cloîtrer dans sa forteresse, totalement isolée et inaccessible. Qui aura le courage de l’en déloger et de l’écarter du pouvoir ?

Titre et Texte: Valérie Toranian, Directrice de la Revue des Deux Mondes, lundi, 7-3-2022

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