Valérie Toranian
Pourtant, ils sont des milliers et des milliers dans la rue à réclamer
l’arrêt de la guerre. Des vidéos montrent des manifestants sauvagement
battus par les forces de l’ordre. Le 6 mars, le ministre de l’Intérieur russe
affirmait détenir 3 500 manifestants dont 1 700 pour la seule ville de Moscou
sur un total de 5 200 manifestants sur l’ensemble de la Russie. L’ONG russe
OVD-Info, qui informe depuis 2011 sur les brutalités policières contre les
civils, parle d’au moins 4 600 arrestations dans 56 villes différentes dont
Iekaterinbourg aux confins de la Sibérie. Et le nombre total d’arrestation
depuis le début de la guerre serait d’au moins 7 000.
On ne connaît pas le nombre
exact de manifestants et les informations postées sont difficilement
vérifiables puisque la loi s’applique aussi aux médias étrangers et empêche la
majorité d’entre eux de continuer d’informer depuis la Russie (ils continuent
de le faire sur leur propre média). Mais on imagine sans peine que le nombre de
Russes participant aux rassemblements est minoré par Moscou.
«
Une autre Russie existe, avec une opinion éclairée, articulée, qui ne supporte
plus la répression dont elle est l’objet et qui ne se reconnaît pas dans la
volonté de puissance et les aventures impériales du chef du Kremlin. »
Dans cette guerre, il y a le courage des Ukrainiens, leur détermination héroïque contre les chars et l’aviation russe, la bravoure des civils qui prennent les armes pour défendre leurs villes martyres, la grandeur de Zelensky, chef de guerre charismatique et président trompe-la-mort. Et il y a aussi le courage de ces Russes en Russie. Défiant le chef du Kremlin, bravant la répression et l’emprisonnement. Diffuser une fake news coûte de 750 000 à 1 500 000 roubles (soit une fois et demie le salaire moyen annuel) ou trois ans d’emprisonnement. Si un citoyen manifeste, la peine est plus lourde : il encourt jusqu’à 2 500 000 roubles ou jusqu’à quatre ans d’emprisonnement, à partir du moment où il résiste aux forces de l’ordre (ce qui est le cas techniquement puisqu’ils se font arrêter manu militari). Et bien sûr, toutes ces sanctions sont à la discrétion du juge qui obéira, en dernier recours, aux instructions du ministère de la Justice.
Pourquoi un courage aussi
exemplaire ? Pour dénoncer une guerre absurde qui va sacrifier des milliers de
jeunes ? Pour l’Ukraine, pays « frère » qu’on assassine ? Bien sûr mais pas
seulement. Pour l’historien et essayiste Jean-François Colosimo, ce mouvement
de dissidence est « la preuve qu’une autre Russie existe, avec une opinion
éclairée, articulée, qui ne supporte plus la répression dont elle est l’objet
et qui ne se reconnaît pas dans la volonté de puissance et les aventures
impériales du chef du Kremlin. L’acharnement qu’a mis Poutine depuis dix-huit
mois à décapiter cette autre Russie est spectaculaire. L’extinction de toutes les
voix dissidentes est systématique. Les associations sont harcelées, les médias
persécutés, six journalistes de Novaïa Gazeta ont trouvé la
mort. L’association des mères de soldats a été interdite. La loi sur les «
agents de l’étranger » empêche de toucher un seul centime de l’extérieur. Si,
par exemple, une revue russe perçoit le montant d’un abonnement depuis la
France, elle doit se déclarer “agent de l’étranger” ! L’opposant Alexeï
Navalny, de la Fondation contre la corruption, a été empoisonné puis emprisonné
à son retour d’Allemagne où il s’était fait soigner. Saluons le courage de cet
homme qui a choisi en connaissance de cause de passer deux ans et demi en camp
de travail. Il était jugé encore plus dangereux que l’opposant Boris Nemtsov,
assassiné devant le Kremlin en 2015, ou qu’une Anna Politkovskaïa, journaliste
éliminée en 2006 pour ses enquêtes gênantes. Car Navalny avait développé un
réseau sur le territoire russe, une véritable alternative politique.
» (1) « Il faut bien comprendre, poursuit l’historien, que l’hubris expansionniste
impériale de Poutine ne pouvait pas se déployer sans la mise au pas de la
société ainsi que le renforcement gigantesque de la propagande. L’un ne
fonctionne pas sans l’autre. »
«
Poutine n’avait pas prévu l’ampleur de la résistance ukrainienne, ni peut-être
même le courage de cette “autre Russie” qui le défie sous ses fenêtres. Son
pouvoir s’en trouve-t-il menacé ? Rien ne permet de l’affirmer. »
L’autre surprise, pour Moscou,
vient des populations russophones supposées pro-russes d’Ukraine. Loin d’être
soudées derrière le chef du Kremlin, elles se rallient en grand nombre derrière
le drapeau bleu et jaune de la résistance. « Depuis huit ans, la guerre civile
larvée qui oppose, dans le Donbass, les mouvements séparatistes agités par
Moscou et l’armée régulière ukrainienne ont fait plus de 14 000 morts, rappelle
Jean-François Colosimo. Les Ukrainiens de l’Est ont subi, plutôt que choisi,
ces groupes armés violents, constitués d’anciens criminels qui se considéraient
en terrain conquis. Au début, la politique culturelle de dérussification des
régions de l’Est (cette politique a existé dans d’autres anciennes républiques
soviétiques, par exemple dans les pays baltes) avait nourri le sentiment
pro-russe. Mais huit ans après, les miliciens venus “libérer” les Ukrainiens
n’étaient plus considérés d’un si bon œil. L’invasion russe a bouleversé la
donne. Poutine est le seul responsable de ce retournement. Par sa violence, il
a unifié la résistance ukrainienne. L’église orthodoxe ukrainienne autocéphale,
majoritaire, condamne bien sûr la Russie. Mais même le représentant de l’église
orthodoxe ukrainienne affiliée à Moscou (minoritaire) condamne la guerre ! »
Poutine n’avait pas prévu
l’ampleur de la résistance ukrainienne, ni peut-être même le courage de cette «
autre Russie » qui le défie sous ses fenêtres. Son pouvoir s’en trouve-t-il
menacé ? Rien ne permet de l’affirmer. Quelques milliers de manifestants ne
font pas le printemps. Et en Ukraine, les armées russes avancent et détruisent
méthodiquement. En bon paranoïaque du KGB, Poutine n’a prévu qu’une chose : son
assassinat par un de ses proches. Et il a tout fait pour expurger son entourage
et se cloîtrer dans sa forteresse, totalement isolée et inaccessible. Qui aura
le courage de l’en déloger et de l’écarter du pouvoir ?
Titre et Texte: Valérie Toranian, Directrice de la Revue des Deux Mondes, lundi, 7-3-2022
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