Valérie Toranian
Emmanuel Macron a gagné l’élection présidentielle avec un meilleur score que celui que lui prédisaient les instituts de sondage : 58,5 % des voix contre 41,5 % à Marine Le Pen. Pour la troisième fois consécutive, le « front républicain » contre un candidat Le Pen a fonctionné mais il est clair que le ouf de soulagement ne soulage plus grand monde. La France est tellement archipelisée, fracturée et déprimée qu’il va falloir au président réélu du courage, de l’inventivité, de l’humilité et l’aide de la providence pour éteindre les braises du ressentiment qui couve.
Le désenchantement est à fleur
de peau : deux millions de voix en plus pour la candidate du
Rassemblement national alors qu’Emmanuel Macron avait promis que son
quinquennat ferait reculer Marine Le Pen ; une abstention record, surtout chez
les jeunes ; des classes laborieuses largement représentées chez Marine Le Pen
; et enfin, les villes et les cadres supérieurs, surreprésentés chez Macron.
Tout cela confirme le fossé entre deux France qui ne se comprennent plus.
Sans parler de la fracture
générationnelle. Est-ce parce qu’il a été élu par une majorité de seniors et de
retraités qu’Emmanuel Macron a choisi de cheminer vers l’estrade du
Champs de Mars, pour célébrer sa victoire, entouré d’enfants et d’adolescents ?
Un paradoxe dont la symbolique appuyée n’aura échappé à personne : Emmanuel
Macron veut œuvrer pour l’avenir, pour les générations futures à qui il promet
de ne pas léguer un pays décomposé, ruiné et écologiquement irresponsable. Au
premier tour, les jeunes qui votaient avaient plutôt choisi Jean-Luc Mélenchon.
Au second tour, les 18-24 ont plutôt voté Macron mais ils ont surtout choisi
l’abstention (41 %). Bâtir en pensant aux générations futures est effectivement
le devoir d’un président de la République. Bâtir sans exclure les générations
présentes en est un autre. « Ce vote m’oblige », a déclaré Emmanuel Macron
après sa victoire en pensant aux électeurs de gauche qui ont fait barrage à
l’extrême droite. Contrairement à ce qu’avait fait Chirac en 2002, ce vote
l’oblige à une « méthode », à une « ouverture » selon ses propres termes. Mais
il l’oblige aussi à une vision, une stratégie plus consistante qu’un bilan de
bon gestionnaire de pandémie. Sera-t-il à la hauteur ?
« Emmanuel Macron doit tirer
rapidement les leçons du large vote contestataire, sans non plus concéder tout
et n’importe quoi pour vivre son quinquennat en paix. Sinon, la prochaine fois
sera la bonne pour le Rassemblement national. »
Marine Le Pen ne manque pas d’air lorsqu’elle parle de victoire au soir de sa défaite mais, pour cette pragmatique, un électorat en hausse avec un score historique est déjà une demi-victoire. Elle se paye même le luxe de refuser la main tendue d’Éric Zemmour (7 %) pour une union des droites aux législatives. L’aventure de Reconquête ! semble finie. En tout cas provisoirement. Mais il ne faudrait pas sous-estimer la dynamique que le polémiste avait suscitée dans les premières semaines de sa candidature. Le pouvoir d’achat a été le thème dominant de la fin de la campagne mais les questions de sécurité, d’identité et d’immigration ne manqueront pas de resurgir.
Les grandes manœuvres pour les
législatives ont déjà commencé. Mais avant d’entrer de nouveau en campagne, il
est urgent de méditer ces quatre faits marquants.
La France qui souffre,
souffre en silence. Selon un sondage Ipsos publié le 25 avril, 27 % des
personnes insatisfaites de leur vie et 40 % des personnes touchant moins de
1250 euros par mois n’ont pas voté. (Ils sont 32 % parmi ceux qui gagnent entre
1250 et 2000 euros.) Souffriront-ils longtemps en silence ?
La France populaire qui
travaille a voté Le Pen. Que se passera-t-il lorsque notre pays devra subir
les conséquences de la guerre en Ukraine et notamment des sanctions votées
contre la Russie ? Que se passera-t-il si l’inflation galope et le prix des
carburants s’envole dans les mois qui viennent ? Ceux qui ont du mal à boucler
leur fin de mois seront les premières victimes de la crise. Comment
réagiront-ils ?
L’axe « brun rouge » existe.
La porosité est manifeste entre les électeurs d’extrême droite et d’extrême
gauche dans le vote en outre-mer. Alors que Jean-Luc Mélenchon avait terminé en
tête des suffrages du premier tour, Marine Le Pen a emporté le second tour avec
des scores plébiscitaires (69,6 % en Guadeloupe, 60 % en Guyane, 60 % en
Martinique…). Les électeurs de Mélenchon n’ont donc pas respecté les consignes
du dirigeant de la France insoumise (pas une seule voix à Marine Le Pen). Le
ressentiment anti-Macron a été le plus fort. Faut-il craindre une «
outre-merisation » du vote des Français dans cinq ans au sein du bloc
ultra-contestataire qui constitue désormais deux tiers de l’électorat ?
L’extrême gauche est
totalement légitimée. Elle est devenue le vote utile à gauche. Alors que la
diabolisation de l’extrême droite a donné lieu à des déclarations indigentes et
hystériques, la France insoumise et son programme d’extrême gauche sectaire ont
été quasiment adoubés par tous les grands médias de gauche. Mélenchon Premier
ministre est une hypothèse certes farfelue mais désormais considérée comme
envisageable et raisonnable. Parmi les électeurs du second tour d’Emmanuel Macron favorables
à une cohabitation (un tiers), 83 % préfèreraient comme Premier ministre le
candidat de la France insoumise !
Trois heures avant la
proclamation du résultat du second tour de l’élection présidentielle,
l’historien et anthropologue Emmanuel Todd, interrogé par votre serviteuse lors d’une
rencontre au Festival du Livre de Paris, déclarait : « Dans un premier temps,
tout le monde fera “ouf” ; dans un deuxième temps, tout le monde aura la gueule
de bois devant la progression du vote Le Pen dans les communes ; et dans un
troisième temps, hélas ! on se dépêchera d’oublier et tout redeviendra comme
avant. » Il avait raison sur les deux premiers points. La carte de France des
résultats du second tour de l’élection montre que plus d’une commune sur deux a
voté Marine Le Pen. Espérons que l’avenir lui donnera tort sur le troisième
point.
Emmanuel Macron doit tirer
rapidement les leçons du large vote contestataire, sans non plus concéder tout
et n’importe quoi pour vivre son quinquennat en paix. Sinon, la prochaine fois
sera la bonne pour le Rassemblement national.
Titre et Texte: Valérie Toranian,
Directrice de la Revue des Deux Mondes, lundi, 25-4-2022
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