segunda-feira, 25 de abril de 2022

[L’édito de Valérie Toranian] Après le « ouf », la gueule de bois ?

Valérie Toranian

Emmanuel Macron a gagné l’élection présidentielle avec un meilleur score que celui que lui prédisaient les instituts de sondage : 58,5 % des voix contre 41,5 % à Marine Le Pen. Pour la troisième fois consécutive, le « front républicain » contre un candidat Le Pen a fonctionné mais il est clair que le ouf de soulagement ne soulage plus grand monde. La France est tellement archipelisée, fracturée et déprimée qu’il va falloir au président réélu du courage, de l’inventivité, de l’humilité et l’aide de la providence pour éteindre les braises du ressentiment qui couve.

Le désenchantement est à fleur de peau : deux millions de voix en plus pour la candidate du Rassemblement national alors qu’Emmanuel Macron avait promis que son quinquennat ferait reculer Marine Le Pen ; une abstention record, surtout chez les jeunes ; des classes laborieuses largement représentées chez Marine Le Pen ; et enfin, les villes et les cadres supérieurs, surreprésentés chez Macron. Tout cela confirme le fossé entre deux France qui ne se comprennent plus.

Sans parler de la fracture générationnelle. Est-ce parce qu’il a été élu par une majorité de seniors et de retraités qu’Emmanuel Macron a choisi de cheminer vers l’estrade du Champs de Mars, pour célébrer sa victoire, entouré d’enfants et d’adolescents ? Un paradoxe dont la symbolique appuyée n’aura échappé à personne : Emmanuel Macron veut œuvrer pour l’avenir, pour les générations futures à qui il promet de ne pas léguer un pays décomposé, ruiné et écologiquement irresponsable. Au premier tour, les jeunes qui votaient avaient plutôt choisi Jean-Luc Mélenchon. Au second tour, les 18-24 ont plutôt voté Macron mais ils ont surtout choisi l’abstention (41 %). Bâtir en pensant aux générations futures est effectivement le devoir d’un président de la République. Bâtir sans exclure les générations présentes en est un autre. « Ce vote m’oblige », a déclaré Emmanuel Macron après sa victoire en pensant aux électeurs de gauche qui ont fait barrage à l’extrême droite. Contrairement à ce qu’avait fait Chirac en 2002, ce vote l’oblige à une « méthode », à une « ouverture » selon ses propres termes. Mais il l’oblige aussi à une vision, une stratégie plus consistante qu’un bilan de bon gestionnaire de pandémie. Sera-t-il à la hauteur ?

« Emmanuel Macron doit tirer rapidement les leçons du large vote contestataire, sans non plus concéder tout et n’importe quoi pour vivre son quinquennat en paix. Sinon, la prochaine fois sera la bonne pour le Rassemblement national. »

Marine Le Pen ne manque pas d’air lorsqu’elle parle de victoire au soir de sa défaite mais, pour cette pragmatique, un électorat en hausse avec un score historique est déjà une demi-victoire. Elle se paye même le luxe de refuser la main tendue d’Éric Zemmour (7 %) pour une union des droites aux législatives. L’aventure de Reconquête ! semble finie. En tout cas provisoirement. Mais il ne faudrait pas sous-estimer la dynamique que le polémiste avait suscitée dans les premières semaines de sa candidature. Le pouvoir d’achat a été le thème dominant de la fin de la campagne mais les questions de sécurité, d’identité et d’immigration ne manqueront pas de resurgir.

Les grandes manœuvres pour les législatives ont déjà commencé. Mais avant d’entrer de nouveau en campagne, il est urgent de méditer ces quatre faits marquants.

La France qui souffre, souffre en silence. Selon un sondage Ipsos publié le 25 avril, 27 % des personnes insatisfaites de leur vie et 40 % des personnes touchant moins de 1250 euros par mois n’ont pas voté. (Ils sont 32 % parmi ceux qui gagnent entre 1250 et 2000 euros.) Souffriront-ils longtemps en silence ?

La France populaire qui travaille a voté Le Pen. Que se passera-t-il lorsque notre pays devra subir les conséquences de la guerre en Ukraine et notamment des sanctions votées contre la Russie ? Que se passera-t-il si l’inflation galope et le prix des carburants s’envole dans les mois qui viennent ? Ceux qui ont du mal à boucler leur fin de mois seront les premières victimes de la crise. Comment réagiront-ils ?

L’axe « brun rouge » existe. La porosité est manifeste entre les électeurs d’extrême droite et d’extrême gauche dans le vote en outre-mer. Alors que Jean-Luc Mélenchon avait terminé en tête des suffrages du premier tour, Marine Le Pen a emporté le second tour avec des scores plébiscitaires (69,6 % en Guadeloupe, 60 % en Guyane, 60 % en Martinique…). Les électeurs de Mélenchon n’ont donc pas respecté les consignes du dirigeant de la France insoumise (pas une seule voix à Marine Le Pen). Le ressentiment anti-Macron a été le plus fort. Faut-il craindre une « outre-merisation » du vote des Français dans cinq ans au sein du bloc ultra-contestataire qui constitue désormais deux tiers de l’électorat ?

L’extrême gauche est totalement légitimée. Elle est devenue le vote utile à gauche. Alors que la diabolisation de l’extrême droite a donné lieu à des déclarations indigentes et hystériques, la France insoumise et son programme d’extrême gauche sectaire ont été quasiment adoubés par tous les grands médias de gauche. Mélenchon Premier ministre est une hypothèse certes farfelue mais désormais considérée comme envisageable et raisonnable. Parmi les électeurs du second tour d’Emmanuel Macron favorables à une cohabitation (un tiers), 83 % préfèreraient comme Premier ministre le candidat de la France insoumise !

Trois heures avant la proclamation du résultat du second tour de l’élection présidentielle, l’historien et anthropologue Emmanuel Todd, interrogé par votre serviteuse lors d’une rencontre au Festival du Livre de Paris, déclarait : « Dans un premier temps, tout le monde fera “ouf” ; dans un deuxième temps, tout le monde aura la gueule de bois devant la progression du vote Le Pen dans les communes ; et dans un troisième temps, hélas ! on se dépêchera d’oublier et tout redeviendra comme avant. » Il avait raison sur les deux premiers points. La carte de France des résultats du second tour de l’élection montre que plus d’une commune sur deux a voté Marine Le Pen. Espérons que l’avenir lui donnera tort sur le troisième point.

Emmanuel Macron doit tirer rapidement les leçons du large vote contestataire, sans non plus concéder tout et n’importe quoi pour vivre son quinquennat en paix. Sinon, la prochaine fois sera la bonne pour le Rassemblement national.

Titre et Texte: Valérie Toranian, Directrice de la Revue des Deux Mondes, lundi, 25-4-2022 

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