S’abstenir ou voter ? Pour Régis de Castelnau, la question ne se pose plus. Macron a démontré sa capacité de nuisance et il convient d’en tirer les leçons, aussi radicales soient-elles. Un communiste qui vote Le Pen. Étrange ? Autant qu’un patriote qui suit le peuple jusqu’au bout.
Lionel Jospin, quand même
idéalement placé, leur a pourtant dit en d’autres temps que c’était « du
théâtre ». Et la plupart savent parfaitement qu’il n’y a aucun danger fasciste
dans notre pays, mais ils font semblant. Parce qu’ils pensent que c’est le
moyen de conserver leurs avantages de classe, aussi maigres soient-ils pour
certains et que le sort de ce pays, leur patrie, leur est indifférent. Le
laisser à la merci du fondé de pouvoir du Capital néolibéral et à celle de la
bureaucratie bruxelloise dirigée par l’Allemagne ne leur pose aucun problème.
Alors on insulte la moitié du peuple français qui, nous disent les sondages,
s’apprête à faire le choix de Marine Le Pen. Les premiers de corvée, ceux qui
travaillent dur, produisent, ceux qui se lèvent tôt, ceux qui sont au chômage,
ceux dont le porte-monnaie est vide le 15 du mois, ceux qui voient disparaître
les services publics, ceux qui s’inquiètent pour leur pays parce qu’ils
l’aiment, et s’angoissent pour l’avenir de leurs enfants, eh bien tous ceux-là,
ce sont des fascistes voire des nazis, nous disent les belles âmes. Faux
prétexte, évidemment, pour tenter de maintenir à tout prix Emmanuel Macron à
l’Élysée, et qui est finalement un message clair pour la France d’en bas : «
qu’ils crèvent ! »
Fidélité à l’enfance
Pierre Desproges disait souvent : « parlons de moi, il n’y a que ça qui m’intéresse », et je crois nécessaire d’en passer par là pour expliciter un choix qui pourrait paraître à certains contradictoire avec ce que furent les engagements d’une vie.
Antoine de Saint-Exupéry
disait qu’on était « de son enfance, comme d’un pays ». Pendant celle-ci, dans
l’éducation que j’ai reçue, on m’a appris la maxime suivante : « avantage de la
particule, on n’aime pas la bourgeoisie, avec le peuple on peut s’arranger. En
commençant par le respecter. » Le meilleur moyen étant de le connaître, ce fut
l’école publique, le sport collectif obligatoire, et les vacances scolaires
étant considérées comme trop longues, le travail d’abord agricole dans les
fermes, puis en usine, histoire de s’occuper. La confrontation avec la
condition ouvrière à la fin des années 60 fut un choc qui eut trois
conséquences. D’abord, de prendre au sérieux les études qui permettaient de
l’éviter, ensuite d’appréhender physiquement ce qu’était l’exploitation, et
enfin la naissance d’une solidarité avec le monde du travail toujours présente
50 ans plus tard. Les étapes qui conduisirent à l’engagement communiste furent
vite franchies grâce au mai 68 ouvrier, à la lecture de Marx et de quelques
autres, et à l’entrée dans la vie active dans un métier où précisément
l’engagement politique était possible. J’ai donc espéré l’émancipation humaine
et j’ai partagé ce qui fut finalement la grande passion du XXe siècle. Le Parti
communiste français était sûrement plein de défauts, mais il était l’expression
politique de la classe ouvrière et l’outil d’intégration de celle-ci à la
Nation. Et la CGT, incontestable « courroie de transmission », la défenseuse
indispensable de ses intérêts. Il n’était pas toujours confortable d’être
communiste, car cela pouvait impliquer des sacrifices familiaux, sociaux ou
matériels. Puis il a fallu se confronter à l’échec du projet qui fut parfois
terrible et sanglant, voir l’espérance s’évanouir et porter son deuil. En
pensant à tous ces camarades de combat, « tous formidables, mais ça n’a pas
marché ».
Mais on finit toujours par se
dire que peut-être, qui sait, l’espoir de l’émancipation n’est pas éteint. Et
en constatant que les ressorts du choix sont intacts, la solidarité avec les
gens d’en bas toujours présente, penser que si nous avions perdu, ce fut
ensemble et que s’il y a quelque chose à reconstruire, ce sera avec eux. Les
invisibles, ceux de la France périphérique, expulsés de la vie publique, dont
la parole n’est jamais prise en compte, à qui on applique des lois discutées et
adoptées par des institutions où il n’y a pas un ouvrier ou un salarié
d’exécution des services. Que l’on matraque, éborgne, ampute, emprisonne s’ils
ont le malheur de se mettre en colère ou de vouloir protester. Eh bien, ceux-là
aujourd’hui, ils font confiance à Marine Le Pen et veulent la porter à la
présidence de la République. Pour mettre fin à l’emprise quarantenaire sur la
Nation du bloc élitaire néolibéral mis en place par François Mitterrand. Pour
s’entendre traiter de fascistes par les profiteurs, les corrompus, les petits
calculateurs, les arrivistes, et les imbéciles. Ravie la bourgeoisie qui ne
pense qu’à son portefeuille, se frotte les mains et leur laisse faire le sale
boulot. Jusqu’aux organisations politiques et syndicales « de gauche » qui ont
tout raté et n’ont rien empêché, appelant aujourd’hui à voter pour un système
liberticide autoritaire dont elles savent très bien qu’il va poursuivre sans
frein le démantèlement de notre État social, et la transformation de la France
en république bananière.
Parce qu’il faut être clair,
que veut dire « voter pour Emmanuel Macron » ? C’est d’abord approuver son
bilan, la destruction du droit du travail, la poursuite de celle du système de
santé, entériner l’affaiblissement drastique des institutions avec la
disparition de la séparation des pouvoirs, la violence contre les mouvements
sociaux et en particulier la répression jamais vue depuis la guerre d’Algérie
du mouvement des Gilets jaunes, s’accommoder des multiples lois liberticides,
de la mise en place d’un système ultra autoritaire où les libertés d’expression
et de manifestation sont tous les jours malmenées, ne voir aucun inconvénient
aux privatisations réservées aux copains, à la poursuite du dépeçage de l’outil
industriel français, à la corruption géante du sommet de l’appareil d’État… On
s’en tiendra là, mais la liste est encore longue. Voter pour Emmanuel Macron
c’est ensuite lui donner carte blanche pour un mandat non renouvelable, dans un
contexte où il n’y aura aucune élection intermédiaire avant quatre ans. Alors,
on connaît cet homme, on sait quels sont ses projets et quels intérêts il
défend, ce sera donc « all inclusive et open bar ». La sécurité sociale et le
système des retraites seront démantelés au profit des fonds de pension. Les
amis de chez McKinsey seront chargés à grands frais de la mise en place, et
ceux de Blackrock raflerons la mise. Ce qui reste du tissu industriel français
sera vendu à l’encan pour la grande joie des banques d’affaires qui se
serviront au passage, notre souveraineté finira d’être démantelée au profit
d’une Union européenne dominée par l’Allemagne, à qui nous permettrons de
partager notre siège au conseil de sécurité de l’ONU et de disposer de notre
force de dissuasion nucléaire. Le tout bien sûr au nom d’une « souveraineté
européenne » qui n’existe pas. Et puis il ne faut pas oublier la dilection
personnelle d’Emmanuel Macron pour toutes les dérives sociétales. Les bourgeois
catholiques qui ont abandonné Valérie Pécresse pour protéger leur portefeuille
boiront le calice jusqu’à la lie. Au bout de ces cinq nouvelles années, la
France sera méconnaissable et ce sera irréversible.
Le pari pascalien
Alors quand on entend les
antifascistes de pacotille venir nous dire qu’il faut voter Macron pour ensuite
mener les luttes au Parlement et dans la rue, on reste interdit devant tant de
cynisme ou d’aveuglement. Pendant les mandats présidentiels Hollande et Macron,
aucune grève, aucune mobilisation, aucune activité parlementaire n’a permis de
s’opposer à l’agenda néolibéral.
Par conséquent, même si c’est
difficile de glisser dans l’urne un bulletin portant le nom de Le Pen, il faut
s’y résoudre, en refoulant les états d’âme. Malgré le souvenir de ce que le
Front national et son chef avaient de détestable, et de ce scrutin de 2002 où
pour la seule fois de sa vie on a voté à droite pour le battre à plate couture.
Voter Marine Le Pen, c’est bien sûr d’abord voter contre Macron et son système.
Mais c’est aussi regarder la réalité en face et ce bloc populaire qui se
structure autour d’elle. Et ces ouvriers, ces employés, ces paysans qui disent
désormais massivement qu’il faudra de nouveau compter avec eux, leur rendre la
place qui est la leur, il est nécessaire à ce moment précis d’être de leur
côté. Et, pour ma part, de leur être fidèle.
Élire Marine Le Pen est bien
sûr un pari, mais il est beaucoup moins risqué que de choisir Macron. L’effet
de rupture produira des possibles, ce coup d’arrêt provoquera des
recompositions politiques, et la dirigeante du Rassemblement national ne pourra
pas gouverner seule. Et là, la lutte politique reprendra tout son sens.
Pour conclure, nouveau petit
détour par Pierre Desproges. Cette prise de position que je pense être de
l’intérêt de mon pays, me vaudra, de la part des tenants de la république
bananière autoritaire et des gauchistes imbéciles, mises en cause et insultes,
l’accusation d’être un « rouge-brun », et d’avoir renié mes idéaux de jeunesse.
Je répondrais qu’ils sont intacts et qu’en matière d’antifascisme, je n’ai
aucune leçon à recevoir, et une vie qui en répond.
Mais de toute façon ça n’a
guère d’importance, Jorge Luis Borges disait : « le destin d’un homme aussi
long et compliqué soit-il se résume en fait au jour où il sait définitivement
qui il est ». Pour ce qui me concerne, il y a longtemps que c’est fait. Trop
tard pour changer, j’espérerai toujours l’émancipation humaine même si elle
prend décidément des chemins bien tortueux.ste dans notre pays, mais ils font
semblant. Parce qu’ils pensent que c’est le moyen de conserver leurs avantages
de classe, aussi maigres soient-ils pour certains et que le sort de ce pays,
leur patrie, leur est indifférent. Le laisser à la merci du fondé de pouvoir du
Capital néolibéral et à celle de la bureaucratie bruxelloise dirigée par
l’Allemagne ne leur pose aucun problème. Alors on insulte la moitié du peuple
français qui, nous disent les sondages, s’apprête à faire le choix de Marine Le
Pen. Les premiers de corvée, ceux qui travaillent dur, produisent, ceux qui se
lèvent tôt, ceux qui sont au chômage, ceux dont le porte-monnaie est vide le 15
du mois, ceux qui voient disparaître les services publics, ceux qui
s’inquiètent pour leur pays parce qu’ils l’aiment, et s’angoissent pour
l’avenir de leurs enfants, eh bien tous ceux-là, ce sont des fascistes voire
des nazis, nous disent les belles âmes. Faux prétexte, évidemment, pour tenter
de maintenir à tout prix Emmanuel Macron à l’Élysée, et qui est finalement un
message clair pour la France d’en bas : « qu’ils crèvent ! »
Titre et Texte: Régis de
Castelnau, Front
Populaire, 15-4-2022
Le meeting de Macron à Marseille fait un flop
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