Valérie Toranian
« L’ensauvagement systématique
des manifestations publiques par des bandes venues pour tout sauf la beauté du
sport, de la musique ou de l’engagement politique semble devenu la règle.
Est-ce dicible ? »
Qu’en est-il en vérité ? Dans l’attente des résultats d’une véritable enquête réclamée par le monde du foot, les témoignages concordent. Sécurité sous-dimensionnée, goulot d’étranglement du dispositif qui entraîne des heures d’attente et l’exaspération des supporters, fausse billetterie et vrais resquilleurs des quartiers qui escaladent les grilles et profitent de la confusion pour attaquer, voler, dépouiller. Chaque grand évènement sportif, chaque rassemblement citoyen est désormais l’occasion d’incidents, de violences. L’ensauvagement systématique des manifestations publiques par des bandes venues pour tout sauf la beauté du sport, de la musique ou de l’engagement politique semble devenu la règle. Est-ce dicible ? Dans le cas de la finale de l’UEFA, il est plus facile d’évoquer les hooligans étrangers imbibés d’alcool (un classique de l’imaginaire footeux) que les « endogènes » (comme l’écrivent certains commentateurs étrangers) qui échappent au contrôle des forces de l’ordre. En toute logique, le président aurait dû réclamer la démission du ministre de l’Intérieur. Mais ce serait encore une perte de crédibilité pour une majorité présidentielle déjà malmenée par l’affaire Damien Abad. Non, le pas de vague est impératif. Surtout à quinze jours des élections législatives.
La Macronie souhaite continuer
d’envoyer ses « signaux à gauche ». Nomination à l’Éducation nationale d’une personnalité woke et
respectée jusqu’à l’extrême-gauche, Pap Ndiaye, émerveillement d’Emmanuel
Macron devant le « féminisme » d’une femme librement voilée… Il ne
faut pas que tous ces efforts soient ruinés par la dénonciation des violences
et la perte de repères républicains dans nombre de quartiers de
Seine-Saint-Denis. D’autant que Jean-Luc Mélenchon a obtenu un score
impressionnant à la présidentielle dans ce département, et que la France
insoumise y espère quelques belles victoires aux législatives. Pas question de
critiquer une délinquance issue de l’immigration extra-européenne, car cela
signifierait « stigmatiser », « discriminer ».
« Qui parle d’Alban Gervaise
et René Hadjadj ? Quelle marche blanche ? Pas de vague. Pas de « fait
divers anxiogène » qui puisse encourager les électeurs du Rassemblement
national à aller voter. »
Cette violence, d’ailleurs,
n’est qu’une réponse à l’oppression de l’État. Une révolte, une rébellion, un
peu comme les auteurs de rodéos urbains dont la réalisatrice Lola Quivoron a
fait le vibrant éloge dans son film Rodeo, sélectionné à Cannes,
et qui n’hésite pas à transformer les voyous en victimes… Le
silence est d’or à quinze jours des élections. Pas seulement sur la
Seine-Saint-Denis.
Qui parle d’Alban Gervaise, médecin attaqué à la gorge au couteau, au
cri de « Allahou Akbar », devant l’école catholique Sévigné de Marseille,
en présence de deux de ses trois enfants (3 et 7 ans) le 10 mai dernier ?
Ce radiologue de 41 ans, médecin militaire, est mort des suites de ses
blessures. On parle de confusion mentale, de psychiatrie, éventuellement de
« loup solitaire », mais rien n’indique dans la perquisition de son
domicile une affiliation à une organisation terroriste, s’empressent de nous
rassurer les enquêteurs. Un malade.
Qui parle de René Hadjadj, 89 ans, jeté du 17e étage de son
appartement lyonnais par son voisin de 51 ans, le 17 mai dernier ? Un
déséquilibré ? Comme l’assassin de Sarah Halimi, auquel cette nouvelle affaire fait
tristement écho ? Souvenons-nous du contexte de l’affaire
Halimi survenue à quelques semaines de l’élection présidentielle
d’Emmanuel Macron. Tout à leur crainte de voir progresser le Rassemblement
national, les médias avaient eu un très long temps de réaction… Le quasi-black-out sur
cette affaire Hadjadj à quelques jours des législatives, répond-il aux mêmes
appréhensions ? Après que le parquet, dans un premier temps, n’ait pas
« reconnu le caractère antisémite dans le passage à l’acte », le
procureur de Lyon, Nicolas Jacquet, a finalement changé de cap suite à des
« éléments nouveaux sur les réseaux sociaux ». Le parquet a
élargi « la saisine des juges d’instruction à la circonstance aggravante
d’acte commis à raison de l’appartenance de la victime à une ethnie, une
nation, une race ou une religion déterminée ». L’assassin sera-t-il
psychiatrisé comme Kobili Traoré, déclaré pénalement irresponsable ?
« Le maire de Grenoble se veut
le héros des femmes burkinisées stigmatisées pour faire parler de lui et
alimenter sa notoriété. Un ambitieux très opportuniste qui n’a que faire de la
régression de la question des femmes dans les quartiers »
Qui parle de ces deux
victimes ? Quelle marche blanche ? Pas de vague. Pas de « fait
divers anxiogène » qui puisse encourager les électeurs du Rassemblement
national à aller voter.
Pendant ce temps-là, la France
se déchire autour du burkini dans les piscines, la grande bataille progressiste du
maire de Grenoble, à qui personne, en tout cas pas la communauté musulmane de
sa ville, n’avait rien demandé. Il se veut le héros des femmes burkinisées
stigmatisées pour faire parler de lui et alimenter sa notoriété. Un ambitieux
très opportuniste qui n’a que faire de la régression de la question des femmes
dans les quartiers face à un islam politique de plus en plus menaçant.
Pendant ce temps-là, la France
s’émerveille de l’interview sur Brut de Mélanie ex-Diam’s, touchée
par la grâce salafiste, qui l’a réconciliée avec le monde, avec la vie, avec la
paix, mais pas avec la musique, puisqu’elle explique que ses filles
« méritent mieux que ça » au journaliste Augustin Trapenard qui, lui,
semble avoir vu la vierge. Il aurait pu faire remarquer que selon le dogme
radical, dont Mélanie se fait l’ardente et convaincante prosélyte, ses filles
n’auront de toute façon pas l’occasion de pratiquer la musique, car c’est
péché. Mais règne en France une appétence pour l’amnésie, le silence religieux,
le pas de vague, la mémoire sélective, la réécriture du réel, qui ne nourrit
pas le débat démocratique et ne fait que l’enterrer.
Titre et Texte: Valérie Toranian,
Directrice de la Revue des Deux Mondes, lundi, 30-5-2022
Stade de France : la honte ! – JT du lundi 30 mai 2022
Carnage au Stade de France : le monde découvre l’état réel de la France
Anteriores :
Emmanuel Macron et Pap Ndiaye : l’acrobate et le funambule
La guerre en Ukraine est-elle une guerre américaine ?
Après le « ouf », la gueule de bois ?
[L’édito de Valérie Toranian] Revirements et contorsions : le chamboule-tout de l’entre-deux-tours
Élection présidentielle : gauche et droite, année zéro
Nenhum comentário:
Postar um comentário
Não aceitamos/não publicamos comentários anônimos.
Se optar por "Anônimo", escreva o seu nome no final do comentário.
Não use CAIXA ALTA, (Não grite!), isto é, não escreva tudo em maiúsculas, escreva normalmente. Obrigado pela sua participação!
Volte sempre!
Abraços./-