segunda-feira, 30 de maio de 2022

[L’édito de Valérie Toranian] Crimes, mensonges et vidéos : les non-dits de la campagne

Valérie Toranian


Ah cette perfide Albion ! Non contente d’avoir brulé Jeanne d’Arc, décapité notre alliée écossaise Marie Stuart, coulé par deux fois la flotte française à Trafalgar en 1805 et à Mers el-Kébir en 1940, voilà qu’elle dépêche ses hordes rouges au Stade de France pour transformer la finale de la Ligue des champions en guerre urbaine. Les lâches ! Derrière la vitre de son PC sécurité en haut des tribunes, Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur a twitté son indignation : « Des milliers de supporters britanniques, sans billet ou avec des faux billets, ont forcé les entrées et, parfois, violenté les stadiers ». On devrait toujours tourner sept fois son doigt sur son écran avant de s’exprimer sur les réseaux sociaux lorsqu’on est ministre. Nous voilà au bord de l’incident diplomatique. Révoltés à juste titre, les Anglais, mais aussi les Espagnols et l’ensemble des envoyés spéciaux de la presse internationale, pointent avec force, détails et vidéos les déficiences colossales de l’UEFA, organisatrice de la rencontre, et des forces de l’ordre. Présentes en « nombre suffisant » d’après notre ministre, mais visiblement dépassées par les évènements, elles ont tenté de maîtriser le chaos par des gaz lacrymogènes. 105 arrestations, 39 personnes déférées en garde à vue.

« L’ensauvagement systématique des manifestations publiques par des bandes venues pour tout sauf la beauté du sport, de la musique ou de l’engagement politique semble devenu la règle. Est-ce dicible ? »

Qu’en est-il en vérité ? Dans l’attente des résultats d’une véritable enquête réclamée par le monde du foot, les témoignages concordent. Sécurité sous-dimensionnée, goulot d’étranglement du dispositif qui entraîne des heures d’attente et l’exaspération des supporters, fausse billetterie et vrais resquilleurs des quartiers qui escaladent les grilles et profitent de la confusion pour attaquer, voler, dépouiller. Chaque grand évènement sportif, chaque rassemblement citoyen est désormais l’occasion d’incidents, de violences. L’ensauvagement systématique des manifestations publiques par des bandes venues pour tout sauf la beauté du sport, de la musique ou de l’engagement politique semble devenu la règle. Est-ce dicible ? Dans le cas de la finale de l’UEFA, il est plus facile d’évoquer les hooligans étrangers imbibés d’alcool (un classique de l’imaginaire footeux) que les « endogènes » (comme l’écrivent certains commentateurs étrangers) qui échappent au contrôle des forces de l’ordre. En toute logique, le président aurait dû réclamer la démission du ministre de l’Intérieur. Mais ce serait encore une perte de crédibilité pour une majorité présidentielle déjà malmenée par l’affaire Damien Abad. Non, le pas de vague est impératif. Surtout à quinze jours des élections législatives.

La Macronie souhaite continuer d’envoyer ses « signaux à gauche ». Nomination à l’Éducation nationale d’une personnalité woke et respectée jusqu’à l’extrême-gauche, Pap Ndiaye, émerveillement d’Emmanuel Macron devant le « féminisme » d’une femme librement voilée… Il ne faut pas que tous ces efforts soient ruinés par la dénonciation des violences et la perte de repères républicains dans nombre de quartiers de Seine-Saint-Denis. D’autant que Jean-Luc Mélenchon a obtenu un score impressionnant à la présidentielle dans ce département, et que la France insoumise y espère quelques belles victoires aux législatives. Pas question de critiquer une délinquance issue de l’immigration extra-européenne, car cela signifierait « stigmatiser », « discriminer ».

« Qui parle d’Alban Gervaise et René Hadjadj ? Quelle marche blanche ? Pas de vague. Pas de « fait divers anxiogène » qui puisse encourager les électeurs du Rassemblement national à aller voter. »

Cette violence, d’ailleurs, n’est qu’une réponse à l’oppression de l’État. Une révolte, une rébellion, un peu comme les auteurs de rodéos urbains dont la réalisatrice Lola Quivoron a fait le vibrant éloge dans son film Rodeo, sélectionné à Cannes, et qui n’hésite pas à transformer les voyous en victimes… Le silence est d’or à quinze jours des élections. Pas seulement sur la Seine-Saint-Denis.

Qui parle d’Alban Gervaise, médecin attaqué à la gorge au couteau, au cri de « Allahou Akbar », devant l’école catholique Sévigné de Marseille, en présence de deux de ses trois enfants (3 et 7 ans) le 10 mai dernier ? Ce radiologue de 41 ans, médecin militaire, est mort des suites de ses blessures. On parle de confusion mentale, de psychiatrie, éventuellement de « loup solitaire », mais rien n’indique dans la perquisition de son domicile une affiliation à une organisation terroriste, s’empressent de nous rassurer les enquêteurs. Un malade.

Qui parle de René Hadjadj, 89 ans, jeté du 17e étage de son appartement lyonnais par son voisin de 51 ans, le 17 mai dernier ? Un déséquilibré ? Comme l’assassin de Sarah Halimi, auquel cette nouvelle affaire fait tristement écho ? Souvenons-nous du contexte de l’affaire Halimi survenue à quelques semaines de l’élection présidentielle d’Emmanuel Macron. Tout à leur crainte de voir progresser le Rassemblement national, les médias avaient eu un très long temps de réaction… Le quasi-black-out sur cette affaire Hadjadj à quelques jours des législatives, répond-il aux mêmes appréhensions ? Après que le parquet, dans un premier temps, n’ait pas « reconnu le caractère antisémite dans le passage à l’acte », le procureur de Lyon, Nicolas Jacquet, a finalement changé de cap suite à des « éléments nouveaux sur les réseaux sociaux ». Le parquet a élargi « la saisine des juges d’instruction à la circonstance aggravante d’acte commis à raison de l’appartenance de la victime à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ». L’assassin sera-t-il psychiatrisé comme Kobili Traoré, déclaré pénalement irresponsable ?

« Le maire de Grenoble se veut le héros des femmes burkinisées stigmatisées pour faire parler de lui et alimenter sa notoriété. Un ambitieux très opportuniste qui n’a que faire de la régression de la question des femmes dans les quartiers »

Qui parle de ces deux victimes ? Quelle marche blanche ? Pas de vague. Pas de « fait divers anxiogène » qui puisse encourager les électeurs du Rassemblement national à aller voter.

Pendant ce temps-là, la France se déchire autour du burkini dans les piscines, la grande bataille progressiste du maire de Grenoble, à qui personne, en tout cas pas la communauté musulmane de sa ville, n’avait rien demandé. Il se veut le héros des femmes burkinisées stigmatisées pour faire parler de lui et alimenter sa notoriété. Un ambitieux très opportuniste qui n’a que faire de la régression de la question des femmes dans les quartiers face à un islam politique de plus en plus menaçant.

Pendant ce temps-là, la France s’émerveille de l’interview sur Brut de Mélanie ex-Diam’s, touchée par la grâce salafiste, qui l’a réconciliée avec le monde, avec la vie, avec la paix, mais pas avec la musique, puisqu’elle explique que ses filles « méritent mieux que ça » au journaliste Augustin Trapenard qui, lui, semble avoir vu la vierge. Il aurait pu faire remarquer que selon le dogme radical, dont Mélanie se fait l’ardente et convaincante prosélyte, ses filles n’auront de toute façon pas l’occasion de pratiquer la musique, car c’est péché. Mais règne en France une appétence pour l’amnésie, le silence religieux, le pas de vague, la mémoire sélective, la réécriture du réel, qui ne nourrit pas le débat démocratique et ne fait que l’enterrer.

Titre et Texte: Valérie Toranian, Directrice de la Revue des Deux Mondes, lundi, 30-5-2022

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