Valérie Toranian
L’historien Pap Ndiaye, nommé ministre de l’Éducation nationale par Emmanuel Macron, est un intellectuel brillant. Et habile. Il se félicite d’être un pur produit de la méritocratie française, à laquelle il rend hommage dans son discours de passation ; il admet volontiers n’avoir jamais eu à subir le racisme dans son parcours scolaire et universitaire. Mais depuis vingt ans, ce spécialiste de la question des minorités plaide pour une discrimination positive à la française qui remettrait pourtant en question le principe méritocratique. Il interroge l’universalisme républicain, qu’il juge obsolète, hypocrite et inopérant. Il est le chantre d’un indigénisme à la française.
Pap Ndiaye condamne les
extrémistes de l’idéologie
décoloniale mais s’inspire de leurs thèses, les postcolonial
studies, découvertes lors de son séjour aux États-Unis dans les années 90 :
la société occidentale est travaillée en profondeur par un néo-colonialisme
dont l’homme blanc hétérosexuel constitue le dominant et la personne
racisée/immigrée, le dominé. L’universitaire nie l’existence de races
biologiques mais souhaite que le concept de race continue de figurer dans la
Constitution car il faut analyser la société et le « privilège blanc » à
travers son prisme…
«
Pap Ndiaye, un indigénisme de fer dans un gant de velours républicain ? »
Le ministre de l’Éducation rend hommage à Samuel Paty dans son discours de passation. Tant mieux. On verra de quel soutien effectif bénéficieront les professeurs, lorsqu’ils subiront intimidations et menaces. Ou lorsqu’ils feront face aux revendications religieuses et communautaristes (cantine, sorties scolaires, enseignement contesté de la laïcité, etc.). Mais Pap Ndiaye rend aussi hommage à Assa Traoré. Il déclare dans un entretien au Monde : « Au fond, quand on la lit, quand on l’écoute, son discours est rassembleur. J’entends un discours de convergence plutôt qu’un discours de clivage et de séparation, un discours qui réclame l’égalité. » Rassembleur, le discours d’Assa Traoré en guerre contre toute la police sans distinction, contre l’« islamophobie » et le racisme d’État ? Justement, Pap Ndiaye refuse le terme de racisme d’État : la différence flagrante entre la culture politique racialiste des États-Unis et celle de la France n’échappe pas à cet esprit fin. Il préfère le terme de « racisme structurel »… Distinguo subtil. Qui lui permet d’être célébré par les associations décoloniales racialistes dont il salue le travail militant (il fut lui-même un des fondateurs du CRAN – Conseil représentatif des associations noires) tout en s’écartant du discours de radicalité qui le disqualifierait auprès de ses pairs. Pap Ndiaye, un indigénisme de fer dans un gant de velours républicain ?
Pap Ndiaye et Emmanuel Macron
partagent le même cerveau bien fait et la même colonne vertébrale adaptée au
XXIe siècle. Ondulante et souple. Pour mieux absorber les chocs et épouser les
paradoxes du postmodernisme, qui ne croit plus en la vérité mais en la multiplicité
des points de vue, tous respectables. « En même temps » était le credo de Pap
Ndiaye bien avant de devenir le mantra d’Emmanuel Macron. Entre les deux
hommes, le coup de foudre intellectuel ne pouvait qu’avoir lieu. « Parce que
c’était moi, parce que c’était lui », comme Montaigne et La Boétie.
«
Est-il capable de réorienter sa vision, de laisser au vestiaire wokisme et
indigénisme et prendre à bras le corps le défi colossal qui lui est lancé :
améliorer le niveau des élèves, recruter les professeurs qui manquent, lutter
contre les inégalités sans renoncer à la méritocratie »
Pap Ndiaye est séduit
par le président qui affirme qu’« il n’y a pas de culture française
» en 2017, puis fait voter une loi contre le communautarisme en 2021, pour
finir par virer son ministre de l’Éducation, Jean-Michel Blanquer, qui dénonçait l’islamo-gauchisme au
sein de l’université, islamo-gauchisme dont Pap Ndiaye nie catégoriquement
l’existence. Macron admire l’adéquation à l’esprit du temps de son nouveau
ministre, son multiculturalisme en marche, sa laïcité « ouverte », ses
ambiguïtés qui sont autant de qualités pour notre président.
Pap Ndiaye sera-t-il un
ministre woke ?
Peut-être. Ou pas. Pour faire
carrière au sein de l’université dans les années 2000, les études
post-coloniales étaient la voie royale. Leur domination idéologique était
flagrante. Un peu comme le marxisme dans les années 50. Et le constructivisme
dans les années 60. Pap Ndiaye découvre un champ de recherches universitaires
dont il comprend qu’ils seront déterminants dans le futur. Il s’y investit.
Est-il capable de réorienter sa vision, de laisser au vestiaire wokisme et
indigénisme et prendre à bras le corps le défi colossal qui lui est lancé :
améliorer le niveau des élèves, recruter les professeurs qui manquent, lutter
contre les inégalités sans renoncer à la méritocratie qui permettait aux élèves
défavorisés les plus doués et les plus travailleurs d’intégrer la voie royale
des élites républicaines ?
Cette nomination surprise
répond bien sûr à un calcul du président de la République. Il faut séduire
l’électorat de gauche de la France insoumise, qui veut désormais conquérir la
première place à l’Assemblée nationale avec la Nupes. Ndiaye constitue une prise
de guerre indéniable pour afficher le virage à gauche promis par le chef de
l’État. Une pierre dans le jardin de Mélenchon. Cela suffira-t-il à convaincre
les électeurs de la Nupes de voter Macron ? On en doute. Pap Ndiaye, esprit
complexe et penseur polymorphe, a-t-il les épaules suffisamment solides pour
porter le mammouth sur son dos ? Sans insulter l’avenir, on en doute également.
Tout funambule habile qu’il soit, il ne serait pas le premier occupant de la
rue de Grenelle broyé par la machine.
«
Le primaire, le collège et le lycée peuvent bien attendre. Le niveau s’effondre
? On dira que c’est la faute à Blanquer. Et bientôt à Ndiaye. »
Enchanté par sa nomination
symbole, le président de la République semble se moquer du mammouth comme de
son premier cartable. Macron l’acrobate est tout à la joie de sa dernière
pirouette. On lui reproche son virage à 180° entre un Jean-Michel Blanquer,
républicain laïc, et un Pap Ndiaye indigénophile ? Peu lui chaut. Si la pilule
ne passe pas, il remplacera son ministre de l’Éducation nationale. Et pourquoi
pas avec un nouveau virage politique, si les circonstances l’exigent ?
L’important, c’est de s’adapter. De slalomer. Il n’y a que les imbéciles qui ne
changent pas d’avis. Le manque de cohérence du président de la République n’est
pas un défaut pour la macronie. D’ailleurs tous ceux qui s’avisent de critiquer
la nomination de Pap Ndiaye sont illico qualifiés de racistes d’extrême droite,
avec la honteuse complicité des médias macronistes. Pour le président et son entourage,
bien au contraire, le virage à 180° est la preuve d’une excellente adaptabilité
à la conjoncture. L’objectif ? Garder le cap pour les trente prochains jours.
Voire les trente prochaines heures.
Le primaire, le collège et le
lycée peuvent bien attendre. Le niveau s’effondre ? On dira que c’est la faute
à Blanquer. Et bientôt à Ndiaye.
Titre et Texte: Valérie Toranian, Directrice
de la Revue des Deux Mondes, lundi, 23-5-2022
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