segunda-feira, 23 de maio de 2022

[L’édito de Valérie Toranian] Emmanuel Macron et Pap Ndiaye : l’acrobate et le funambule

Valérie Toranian

L’historien Pap Ndiaye, nommé ministre de l’Éducation nationale par Emmanuel Macron, est un intellectuel brillant. Et habile. Il se félicite d’être un pur produit de la méritocratie française, à laquelle il rend hommage dans son discours de passation ; il admet volontiers n’avoir jamais eu à subir le racisme dans son parcours scolaire et universitaire. Mais depuis vingt ans, ce spécialiste de la question des minorités plaide pour une discrimination positive à la française qui remettrait pourtant en question le principe méritocratique. Il interroge l’universalisme républicain, qu’il juge obsolète, hypocrite et inopérant. Il est le chantre d’un indigénisme à la française.

Pap Ndiaye condamne les extrémistes de l’idéologie décoloniale mais s’inspire de leurs thèses, les postcolonial studies, découvertes lors de son séjour aux États-Unis dans les années 90 : la société occidentale est travaillée en profondeur par un néo-colonialisme dont l’homme blanc hétérosexuel constitue le dominant et la personne racisée/immigrée, le dominé. L’universitaire nie l’existence de races biologiques mais souhaite que le concept de race continue de figurer dans la Constitution car il faut analyser la société et le « privilège blanc » à travers son prisme…

« Pap Ndiaye, un indigénisme de fer dans un gant de velours républicain ? »

Le ministre de l’Éducation rend hommage à Samuel Paty dans son discours de passation. Tant mieux. On verra de quel soutien effectif bénéficieront les professeurs, lorsqu’ils subiront intimidations et menaces. Ou lorsqu’ils feront face aux revendications religieuses et communautaristes (cantine, sorties scolaires, enseignement contesté de la laïcité, etc.). Mais Pap Ndiaye rend aussi hommage à Assa Traoré. Il déclare dans un entretien au Monde : « Au fond, quand on la lit, quand on l’écoute, son discours est rassembleur. J’entends un discours de convergence plutôt qu’un discours de clivage et de séparation, un discours qui réclame l’égalité. » Rassembleur, le discours d’Assa Traoré en guerre contre toute la police sans distinction, contre l’« islamophobie » et le racisme d’État ? Justement, Pap Ndiaye refuse le terme de racisme d’État : la différence flagrante entre la culture politique racialiste des États-Unis et celle de la France n’échappe pas à cet esprit fin. Il préfère le terme de « racisme structurel »… Distinguo subtil. Qui lui permet d’être célébré par les associations décoloniales racialistes dont il salue le travail militant (il fut lui-même un des fondateurs du CRAN – Conseil représentatif des associations noires) tout en s’écartant du discours de radicalité qui le disqualifierait auprès de ses pairs. Pap Ndiaye, un indigénisme de fer dans un gant de velours républicain ?

Pap Ndiaye et Emmanuel Macron partagent le même cerveau bien fait et la même colonne vertébrale adaptée au XXIe siècle. Ondulante et souple. Pour mieux absorber les chocs et épouser les paradoxes du postmodernisme, qui ne croit plus en la vérité mais en la multiplicité des points de vue, tous respectables. « En même temps » était le credo de Pap Ndiaye bien avant de devenir le mantra d’Emmanuel Macron. Entre les deux hommes, le coup de foudre intellectuel ne pouvait qu’avoir lieu. « Parce que c’était moi, parce que c’était lui », comme Montaigne et La Boétie.

« Est-il capable de réorienter sa vision, de laisser au vestiaire wokisme et indigénisme et prendre à bras le corps le défi colossal qui lui est lancé : améliorer le niveau des élèves, recruter les professeurs qui manquent, lutter contre les inégalités sans renoncer à la méritocratie »

Pap Ndiaye est séduit par le président qui affirme qu’« il n’y a pas de culture française » en 2017, puis fait voter une loi contre le communautarisme en 2021, pour finir par virer son ministre de l’Éducation, Jean-Michel Blanquer, qui dénonçait l’islamo-gauchisme au sein de l’université, islamo-gauchisme dont Pap Ndiaye nie catégoriquement l’existence. Macron admire l’adéquation à l’esprit du temps de son nouveau ministre, son multiculturalisme en marche, sa laïcité « ouverte », ses ambiguïtés qui sont autant de qualités pour notre président.

Pap Ndiaye sera-t-il un ministre woke ?

Peut-être. Ou pas. Pour faire carrière au sein de l’université dans les années 2000, les études post-coloniales étaient la voie royale. Leur domination idéologique était flagrante. Un peu comme le marxisme dans les années 50. Et le constructivisme dans les années 60. Pap Ndiaye découvre un champ de recherches universitaires dont il comprend qu’ils seront déterminants dans le futur. Il s’y investit. Est-il capable de réorienter sa vision, de laisser au vestiaire wokisme et indigénisme et prendre à bras le corps le défi colossal qui lui est lancé : améliorer le niveau des élèves, recruter les professeurs qui manquent, lutter contre les inégalités sans renoncer à la méritocratie qui permettait aux élèves défavorisés les plus doués et les plus travailleurs d’intégrer la voie royale des élites républicaines ?

Cette nomination surprise répond bien sûr à un calcul du président de la République. Il faut séduire l’électorat de gauche de la France insoumise, qui veut désormais conquérir la première place à l’Assemblée nationale avec la Nupes. Ndiaye constitue une prise de guerre indéniable pour afficher le virage à gauche promis par le chef de l’État. Une pierre dans le jardin de Mélenchon. Cela suffira-t-il à convaincre les électeurs de la Nupes de voter Macron ? On en doute. Pap Ndiaye, esprit complexe et penseur polymorphe, a-t-il les épaules suffisamment solides pour porter le mammouth sur son dos ? Sans insulter l’avenir, on en doute également. Tout funambule habile qu’il soit, il ne serait pas le premier occupant de la rue de Grenelle broyé par la machine.

« Le primaire, le collège et le lycée peuvent bien attendre. Le niveau s’effondre ? On dira que c’est la faute à Blanquer. Et bientôt à Ndiaye. »

Enchanté par sa nomination symbole, le président de la République semble se moquer du mammouth comme de son premier cartable. Macron l’acrobate est tout à la joie de sa dernière pirouette. On lui reproche son virage à 180° entre un Jean-Michel Blanquer, républicain laïc, et un Pap Ndiaye indigénophile ? Peu lui chaut. Si la pilule ne passe pas, il remplacera son ministre de l’Éducation nationale. Et pourquoi pas avec un nouveau virage politique, si les circonstances l’exigent ? L’important, c’est de s’adapter. De slalomer. Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. Le manque de cohérence du président de la République n’est pas un défaut pour la macronie. D’ailleurs tous ceux qui s’avisent de critiquer la nomination de Pap Ndiaye sont illico qualifiés de racistes d’extrême droite, avec la honteuse complicité des médias macronistes. Pour le président et son entourage, bien au contraire, le virage à 180° est la preuve d’une excellente adaptabilité à la conjoncture. L’objectif ? Garder le cap pour les trente prochains jours. Voire les trente prochaines heures.

Le primaire, le collège et le lycée peuvent bien attendre. Le niveau s’effondre ? On dira que c’est la faute à Blanquer. Et bientôt à Ndiaye.

Titre et Texte: Valérie Toranian, Directrice de la Revue des Deux Mondes, lundi, 23-5-2022

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