Michel Onfray
Les civilisations naissent,
croissent, vivent, connaissent un moment d’acmé, décroissent, chutent et
disparaissent. Rien à voir avec une idéologie décliniste, un tropisme
réactionnaire ou une lubie de pessimiste. Le réel témoigne avec des ruines que
de grandes civilisations furent et sont aujourd’hui disparues.
Les peintures et gravures des
grottes préhistoriques sont les sublimes reliefs d’une civilisation dont on
ignore tout et qui sert souvent de support aux obsessions idéologiques d’une
époque. De même avec les alignements mégalithiques celtes qui, de Carnac
à Stonehenge, ou bien encore méditerranéens avec la Corse, Malte et la
Sardaigne, sinon pacifiques avec les moaïs de l’île de Pâques, attestent
d’une civilisation de la pierre levée dont on ne sait rien et ce, très
probablement, pour toujours.
Personne ne remet en question
le fait que ces civilisations ont eu lieu et ont disparu.
Pourquoi diable les autres
civilisations, dont la nôtre, échapperaient-elles au destin de celles-ci ?
D’autant qu’Assur, Sumer, Babylone, les Chaldéens et les Assyriens, les
Indo-Européens et les Scythes, les Égyptiens des pyramides, les Grecs du
Parthénon, les Romains du Colisée ont eux aussi disparu sans qu’on doute qu’une
même dynamique civilisationnelle permette de penser cette dialectique des
temps.
Mais les progressistes autoproclamés, dont leur essai de civilisation soviétique a échoué en soixante-quinze petites années, tiennent à leur schéma chrétien revisité par la Révolution française : péché originel de la propriété, attente du messie révolutionnaire à même de sauver le monde par sa venue concomitante avec l’établissement de son règne sur le principe de la parousie qui signerait la fin de l’histoire et la disparition de l’enfer de la propriété, ce qui permettrait, bonne nouvelle, épiphanie donc, de retrouver le paradis des biens communs du Jardin d’Éden. Ils tiennent à leur fiction et, pour ce faire, déclarent que le réel de l’Histoire n’a pas eu lieu, n’a pas lieu et n’aura jamais lieu. Ils préfèrent leurs rêves à la réalité.
Nous vivons à la charnière
d’une civilisation qui s’effondre, la judéo-chrétienne, et d’une autre qui
advient, l’occidentalo-californienne, ou la puritano-californienne. Les signes
de l’effondrement ne manquent pas. J’en isole un seul auquel je recours
régulièrement comme exemple : la cathédrale de la Sagrada Familia a été voulue
par le génial architecte Antonio Gaudì au XIXe siècle. Elle commence en 1882 à
Barcelone, c’est la date de naissance de Joyce et de Stravinsky, celle du décès
de Darwin aussi, c’est également celle de la parution du Gai Savoir de
Nietzsche et de la traduction en russe du Manifeste du parti communiste
de Marx…
La totalité du XXe siècle ne
suffit pas à sa construction. Pour mémoire, sous Guillaume le Conquérant, au
XIe siècle, l’abbaye aux hommes et l’abbaye aux dames, le château avec son
échiquier, et ce pour la seule ville de Caen en Normandie, voient le jour en
une vingtaine d’années, ce qui atteste de la quantité, sinon de la qualité, de
l’élan vital chrétien à ce siècle.
C’est au XXIe siècle que la
Sagrada Familia est consacrée, bien que toujours en construction, par le pape
Benoit XVI – pour être précis : le 7 novembre 2010. C’est seulement huit ans
plus tard, en 2018, que la cathédrale obtient… son permis de construire –
délivré l’année suivante, en 2019.
Le creusement d’une ligne de
métro fait s’effondrer le Carmel en 2008. Le ministère de l’Aménagement du
territoire du gouvernement espagnol projette le passage d’une ligne TGV
Barcelone-Paris juste sous la façade principale de l’édifice.
Un attentat islamiste est
déjoué en 2017, il visait l’édifice. Un commando de Daesh a eu le temps d’un
autre attentat qui a fait quatorze morts et 120 blessés à Barcelone. Il devait
être suivi par un carnage dans la cathédrale qui, de ruine anthume, est devenue
un monument pour touristes visité par des millions de gens.
La Sagrada est inscrite au
patrimoine mondial de l’Unesco. C’est désormais un musée plus qu’un lieu pour
la prière et le recueillement. Le pape qui a consacré l’édifice a démissionné
en 2013 pour de prétendues raisons de santé – il est mort le 31 décembre 2022,
âgé de quatre-vingt-quinze ans après presque une dizaine d’années de retraite…
Un jésuite, le détail a son importance, l’a remplacé le 13 mars 2013.
La Sagrada Familia est une
ruine avant même d’avoir vraiment et pleinement existé. C’est dire l’état du
christianisme dans la vieille Europe ! L’élan vital chrétien ressemble au
souffle court du vieillard au bord de la tombe. Il ne produit plus rien. En
revanche, les charognards qui sentent l’animal malade commencent à donner des
coups de griffes et de bec à la vieille religion judéo-chrétienne.
Des philosophes en vue
exposent dans un journal progressiste, Libération pour ne pas le nommer,
l’excellence de la zoophilie et de la coprophagie, les mêmes supports célèbrent
l’achat et la vente d’enfants, ils souscrivent également à toute négativité qui
travaille à l’affaiblissement de la bête judéo-chrétienne.
LA SAGRADA FAMILIA EST UNE
RUINE AVANT MÊME D’AVOIR VRAIMENT ET PLEINEMENT EXISTÉ. C’EST DIRE L’ÉTAT DU CHRISTIANISME DANS LA VIEILLE EUROPE ! L’ÉLAN VITAL
CHRÉTIEN RESSEMBLE AU SOUFFLE COURT DU VIEILLARD AU BORD DE LA TOMBE. IL NE
PRODUIT PLUS RIEN.
L’avortement, valeur
thanatophilique s’il en est, qui plus est dans une époque où la promotion de la
contraception s’effectue dès le collège, devient un marqueur civilisationnel
revendiqué par le président de la République d’une France vassalisée à
l’Amérique wokiste et décolonialiste. Ce même chef de l’État devenu président
de la Communauté européenne réitère : il veut que l’avortement figure dans la
Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Faut-il faire de ce droit
un pilier ontologique de la nouvelle civilisation ?
Dans la logique de ceux qui
travaillent à cette nouvelle civilisation, dont le chef de l’État français
Emmanuel Macron, la réponse ne fait aucun doute : c’est oui. Car l’avortement,
au-delà de ce qu’en a fait Simone Veil dans d’heureuses limites aujourd’hui
explosées, dit que la marchandisation du monde doit s’étendre à tout,
absolument tout, y compris le corps humain. Et pourquoi ne pas commencer par
les plus faibles ? C’est-à-dire les enfants dans le ventre de leur mère avant
de poursuivre avec « ceux qui ne sont rien », pour parler le langage macroniste,
à savoir les vieux privés d’utilité sociale, voire, pire, qui coûtent au
contribuable, selon la logique utilitariste de ces Nouveaux Barbares.
J’en veux pour preuve ce coup
d’État ontologique qui a eu lieu dans la nuit du 31 juillet et du 1er août 2020
à l’Assemblée nationale avec un projet de loi concernant l’Interruption
médicale de grossesse (IMG, à ne pas confondre avec l’IVG) qui prévoyait de
rendre possible l’avortement pour « des raisons psychosociales », c’est-à-dire
pour des motivations personnelles permettant d’invoquer les souffrances
psychiques et sociales, afin d’en finir avec la vie d’un enfant jusqu’à neuf
mois dans le ventre de sa mère.
Il n’est pas question de nier
l’existence ou l’importance de ces souffrances, mais d’interroger le
soubassement ontologique et idéologique de cette idée : avec cette néobarbarie,
un enfant n’est pas un être autonome disposant de droits, un vivant doué d’une
existence propre avec des parents qui le protègent, mais un projet de couple
qui autorise les géniteurs à infliger la peine de mort à l’enfant qu’ils ne
désireraient plus. « Je n’en veux plus, je m’en débarrasse » : c’est
techniquement faisable, c’est donc moralement défendable, affirment ces
nouveaux barbares. Ils réduisent l’être humain au statut d’un mouchoir jetable.
Le docteur Mengele assure ainsi sa descendance – et il recrute à gauche2 – avec
un Sartre embarqué !
Dans la grande logique de
l’existentialisme sartrien, la nature n’existe pas, il n’y a que de la culture.
Dans ses romans, mais également dans ses essais philosophiques, dont L’Être
et le Néant, Sartre associe la femme au gluant, au visqueux, au glaireux,
au coulant, au poisseux. La sexualité se réduit à un échange épidermique de
sueur, de salive, de bave, de sperme, où la pénétration est par principe viol
et n’est pas distinguée de sa dimension érotique et contractuelle. À quand une
campagne des néoféministes pour lutter contre les lieux publics honorant le nom
de Sartre, qui fut aussi très proche des occupants à Paris ? Par exemple en
pistonnant Beauvoir à une radio collabo dans la capitale en… 1944.
Simone de Beauvoir, dite « la
grande sartreuse », sous le conseil de son mâle dominant Sartre qu’elle
sollicite pour une idée de livre, s’essaie à la méthode existentialiste sur le
sujet du : « Que signifie être une femme quand on est femme ? » Ce qui
donne Le Deuxième Sexe. Elle qui aime la nature, les balades, les
randonnées, la marche, la montagne, les sorties vélo, ce que sa correspondance
nous apprend, refoule cet amour de la nature qui ne va pas avec la haine que
Sartre en a. Cette femme qui déclare le féminisme dépassé dès le premier
paragraphe du Deuxième Sexe (3), devient sur un malentendu
américain l’égérie de ce qu’elle a déclaré mort !
La philosophie française, y
compris celle qui cherche à s’émanciper de Sartre, se trouve contaminée par
cette religion artificialiste. Foucault, Deleuze, Guattari, Derrida écrivent
obsédés par l’ombre de ce géant encombrant.
Le structuralisme est une
machine de guerre qui aspire à en finir avec son autorité. La CIA ne s’y trompe
pas, qui se réjouit de ces nouveaux penseurs français (4) désireux d’en finir
avec un Sartre prosoviétique, marxiste-léniniste et révolutionnaire à
l’ancienne ! Par son innocuité politique, le structuralisme permet au capitalisme
de vaquer tranquillement à ses affaires. La French Theory sera bien évidemment
soutenue par les universités américaines ! Elle nous revient aujourd’hui comme
un boomerang. Le capitalisme s’en réjouit !
LE STRUCTURALISME EST UNE
MACHINE DE GUERRE QUI ASPIRE À EN FINIR AVEC SON AUTORITÉ.
LA CIA NE S’Y TROMPE PAS, QUI SE RÉJOUIT DE CES NOUVEAUX PENSEURS FRANÇAIS DÉSIREUX
D’EN FINIR AVEC UN SARTRE PROSOVIÉTIQUE, MARXISTE-LÉNINISTE ET RÉVOLUTIONNAIRE
À L’ANCIENNE!
La French Theory
s’évertue donc à tuer Sartre mais elle ne s’affranchit pas de son culturalisme
névrotique, de son artificialisme rabique, de sa haine pathologique de la
nature, de sa réduction du réel à l’intellectuel. Des années plus tard, le
sabir structuraliste, incompréhensible en français tant il est écrit par des
adeptes du volapük sartrien dopés aux amphétamines et autres substances
hallucinogènes, de l’aveu même de ces penseurs, traduit en anglais dans un
charabia augmenté dont on imagine mal de quel délire il accouche, commenté dans
des campus américains, engendre des clones qui défendent avec force rhétorique
et sophistique langagière une série de sottises du genre : il n’y a pas
naturellement d’hommes et de femmes, le sexe est une affaire de genre donc de
choix et de volonté, le phallus et le vagin ne sont que des constructions
langagières qui ne sauraient concerner le gynécologue car elles ne relèvent de
la linguistique, de la sémiologie et de la sémiotique. Pas de sexuel, que du
textuel. Lacan, qui a enseigné « il n’y a pas de rapports sexuels », devient
l’oracle de cette maison de fous !
Il n’y a pas non plus
d’hormones, ni de vagins, ni de pénis, c’est pourquoi, quand un homme veut
effectuer une transition de genre il a recours… aux hormones et à la chirurgie
plastique car, même une lecture intense, à fortes doses répétées, des
philosophes de la French Theory, ne suffit pas à faire régresser des seins
jusqu’à leur disparition ou à induire une prolifération du clitoris jusqu’à
devenir un pénis en bonne et due forme. Il faut moins un philosophe qu’un
pharmacien doublé d’un chirurgien.
Sartre & Beauvoir ont donc
pensé en leur temps comme l’apprenti sorcier : ils ont rendu possible une
Judith Butler aux États-Unis ou un Beatriz devenu Paul Preciado en France après
travail du bistouri et de la pharmacie plus que de la méditation des séminaires
de Lacan. Que le masculin ou le féminin ne soient pas naturels mais culturels,
effets de volonté, projets donc volonté, voilà qui a touché les classes les
moins intellectualisées de la société. Les lobbys LGBTQ+ s’évertuent désormais,
avec la bénédiction des gouvernements maastrichiens de droite et de gauche, à
porter cette bonne parole aux enfants des classes primaires. Il s’agit en effet
de fabriquer un troupeau d’animaux transsexués comme on clone des brebis ou des
vaches dans des laboratoires. Le paradigme religieux, sinon ontologique ou
métaphysique, disons : anthropologique, se trouve remplacé par un paradigme
vétérinaire.
Pourquoi dès lors s’étonner
qu’on puisse ne plus vouloir d’un enfant dans le ventre de sa mère, puisqu’il
ne saurait y avoir d’enfant naturel là où il n’y a qu’un projet culturel ? On
hésite à tuer un enfant dans le ventre de sa mère avec une piqûre mortelle
effectuée dans le cordon ombilical avant broyage de l’enfant sorti en purée de
viande de l’utérus où il se trouve avec un aspirateur, ces déchets étant
envoyés dans la poubelle avec les compresses tachées de sang, les pansements
maculés de sanies, mais on ne recule pas devant une interruption médicale de
grossesse sur un projet devenu caduque à cause d’un état dépressif, d’un
malaise existentiel, d’une rupture du couple, d’une mutation professionnelle ou
d’un chômage annoncé – d’une raison psychosociale qu’on pourrait dire sans trop
extrapoler freudo-marxiste.
Et la civilisation dans tout
ça ?
En la matière, il faut penser
en termes de longue durée. Non pas 100 ou 200 ans, mais 1 000 ou 2 000. C’est
la bonne mesure d’une civilisation.
On voit bien ce que ce projet
d’IMG a à voir avec la civilisation à venir. Précisons en passant que la
civilisation de demain est toujours préparée et produite par les barbares du
jour qui deviennent des héros une fois que cette sauvagerie a généré une civilisation
nouvelle. Il s’agit pour l’heure d’en finir avec le paradigme anthropologique
construit sur l’évolution de l’homme des tribus primitives décrites par Darwin
aux foules hébétées des mégapoles contemporaines. Cet homme est en passe de
mourir. Les barbares travaillent à ce projet négateur et nihiliste.
LA CIVILISATION DE DEMAIN
EST TOUJOURS PRÉPARÉE ET PRODUITE PAR LES BARBARES
DU JOUR QUI DEVIENNENT DES HÉROS UNE FOIS QUE CETTE SAUVAGERIE A GÉNÉRÉ UNE CIVILISATION
NOUVELLE.
On le sait, je l’ai souvent
dit, le réchauffement climatique, sorti de sa petite exploitation politicienne,
relève d’un destin astrophysique écrit : il nous enseigne que le soleil est
mortel, lui aussi, et que son long chant du cygne annonce un trépas aux mesures
de sa démesure, mais ce trépas documenté s’avère inévitable. D’où la nécessité
de penser à une sortie de cette planète pour sauver des humains qui feront
partie… du projet des dominants du moment, les oligarques des GAFAM.
De la même manière qu’un fœtus
se trouve euthanasié quand il ne fait plus partie du projet des humains qui
l’avaient voulu mais n’en veulent plus, quand il faudra se débarrasser des
humains surnuméraires, une variation sur le thème civilisationnel de l’IMG
permettra de passer à l’acte : piqûre létale, aspirateur de brisures de viande
et évacuation des déchets humains avant incinération…
L’obsolescence de l’homme est
programmée mais le grand philosophe Günther Anders, auquel on doit cette
expression, n’avait probablement pas imaginé à quel point il avait raison.
Dans Le Meilleur des mondes,
Huxley décrit « un totalitarisme courtois » qui ressemble à s’y méprendre à
celui de notre époque : haine du monde d’avant, destruction du passé,
séparation de la reproduction et de la sexualité, clonage industriel,
production d’enfants à la chaîne, tri des embryons, eugénisme, vente et achat
de bébés, banalisation des substances hallucinogènes, gouvernement par le
conditionnement, la persuasion, la drogue, la chimie, destruction de la
famille, sexualités nihilistes, commerce des corps, justification de la
pédophilie, mépris des livres, vente d’organes, religion végane, recyclage des
cadavres, industrialisation de l’alimentation, attaques de toutes les libertés.
Notre époque va même plus loin
en ajoutant : la fabrication d’enfants dans des utérus artificiels pilotés par
intelligence artificielle, c’est déjà le cas en Chine ; la préférence des
moustiques aux fœtus humains, c’est le programme éthique des animalistes ;
l’alimentation des populations avec de la viande cancéreuse, c’est le projet de
la viande clonée au nom de l’évitement de la souffrance animale par ceux qui
veulent industrialiser l’alimentation planétaire et en finir avec la paysannerie,
autrement dit : dénaturer et artificialiser ici aussi ; le projet de confier la
maternité à des mères cliniquement mortes, comme le souhaite une professeure de
philosophie éthique anglo-saxonne ; l’euthanasie des fœtus porteurs d'un bec de
lièvre, une pratique banalisée dans les hôpitaux français ; l’avortement
transformé en marqueur civilisationnel, selon le catéchisme des « progressistes
» français ; l’intoxication volontaire de la planète via des perturbateurs
endocriniens avec la bénédiction des gouvernements de droite et de gauche…
Ce projet, dit progressiste,
tient en un mot : réifier, c’est-à-dire transformer tout en chose, corps, cœur,
âme, afin de pouvoir tout vendre, tout échanger, tout acheter dans l’immense
marché planétaire d’un État total visant une civilisation totale : le rêve
réalisé du capitalisme avec le concours d’une gauche devenue nihiliste !
Avant d’envisager les
caravelles intergalactiques, ce qui ne manquera pas d’arriver, les
civilisations diverses et multiples vont disparaitre. Les couleurs humaines se
diluent dans un vaste métissage généralisé. Les pensées s’uniformisent grâce
aux réseaux sociaux et, bientôt, comme un terrible accélérateur, grâce au
puçage des cerveaux humains auxquels Elon Musk travaille actuellement – le gouvernement
américain vient de lui en donner l’autorisation. Les épidémies ne manqueront
pas d’arriver avec la fonte accélérée du permafrost, la généralisation des
perturbateurs endocriniens, l’hypermédicalisation et la résistance aux
antibiotiques et, quand elles seront mortelles à coup sûr, les derniers hommes
retrouveront les instincts de leurs temps primitifs : le cannibalisme
cohabitera avec l’embarquement dans les vaisseaux interplanétaires… L’inculture
transformera l’homme surnuméraire en sauvage.
Les émeutes de juin 2023 ont
montré de quoi des bandes débarrassées de surmoi sont capables. J’ai entendu,
lors de reportages télévisés, des cris de bêtes et des danses sauvages autour
des butins, des voitures incendiées, des biens dégradés, des magasins pillés.
Je croyais mal entendre, j’entendais bien : des grognements comme j’en avais
entendu un jour dans une forêt au Kenya il y a plus de trente ans, c’étaient
ceux des singes ; cette fois-ci, c’étaient ceux de jeunes hommes…
Nous allons vers un État
total, un État unique planétaire. Jacques Attali n’écrit pas par hasard un
livre dont le titre est : Demain, qui gouvernera le monde ? La
question de la gouvernance mondiale s’y trouve clairement posée. Les aspirants
à cet empire sont déjà à la manœuvre, ils habitent sur la côte ouest des
États-Unis et mettent au point une matrice californienne afin de répondre à ce
défi qui, si l’on en croit Toynbee, est le moteur des civilisations.
Cet État total induira une
civilisation totale, une civilisation cette fois-ci universelle. Le Divers cher
au cœur du Victor Segalen des Immémoriaux aura disparu au profit d’une Monade
totale, totalisante et totalitaire. Si l’on veut une idée de ce à quoi tout
cela ressemblera, il faut lire 1984 d’Orwell et Le
Meilleur des mondes d’Aldous Huxley (5). Il semble que ceux qui
aspirent à cette gouvernance planétaire afin de travailler à la sortie, un
jour, de cette planète, aient fait un bréviaire de la lecture de ces deux
livres dits de science-fiction qui relèvent bien plutôt de la science politique
– du jour et de l’avenir.
La mort m’aura pris depuis
longtemps. Mais ce que j’en vois déjà ne m’inspire guère d’espoir. Je pressens
des barbares à ce jour déjà présentés comme des héros et leurs victimes huées
comme des salauds. L’inversion des valeurs se fera comme une inversion de pôles
magnétiques, d’un seul coup, et elle sera totale. Notre planète sera redevenue
la planète des singes. Des élus choisis par les patrons des GAFAM attendront le
temps de quitter cette jungle pour vivre une vie où le virtuel prendra la place
majeure.
L’odeur de la haie d’aubépines
de Combray ne sera plus qu’une sollicitation neuronale dans une vie
dématérialisée. Combray aura péri sous un soleil de fournaise. D’ailleurs, plus
personne ne saura ce que voulait dire « Combray », de la même manière que plus
personne ne sait aujourd’hui ce que signifie cet homme ithyphallique en
érection à tête d’oiseau qui tombe, percé par une flèche, dans la grotte de
Lascaux.
D’ici là : carpe diem.
Titre et Texte: Michel
Onfray, Front
Populaire, nº 14, septembre-octobre-november 2023
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