segunda-feira, 4 de julho de 2022

2022-2027 le chant du cygne du bloc élitaire

Réélu avec un score confortable en avril dernier, Emmanuel Macron n’est en réalité soutenu que par une minorité de Français. Barbara Lefebvre analyse cette situation intenable, qui ne peut selon elle que conduire à un réveil politique du peuple.


Depuis plus d’une décennie, politologues et journalistes, enquêtes et baromètres d’opinion viennent régulièrement décrire le scepticisme des Français à l’égard de leurs dirigeants nationaux, de leurs élus locaux et de leurs représentants au Parlement européen. Notre personnel politique est ainsi frappé d’une défiance qui ne cesse de croître au fil des scrutins, au rythme des crises. Certains commentateurs vont jusqu'à poser l’équation suivante : défiance = dépolitisation. On les entend dire que des masses considérables de citoyens électeurs sont entrées en sécession, soit à travers l'abstention, soit à travers ce qui serait un vote « protestataire ». Et hors période électorale, lorsque la contestation s'exprime par des mouvements sociaux, le système politico-médiatique se met immédiatement en marche pour les disqualifier en raison de leur supposée incapacité à se structurer de façon à être entendus par le système, ou au motif que les modes de révolte choisis peuvent conduire à des affrontements avec les forces de l’ordre.

Malgré un quinquennat de crises en tous genres (affaires politico-judiciaires étouffées, mouvement des Gilets jaunes, manifestations contre la réforme des retraites, crise sanitaire, guerre russo-ukrainienne) qui a épuisé les forces de la nation, a monté les Français les uns contre les autres et a exacerbé des peurs construites par la machine communicante macroniste, le fait qu’un peuple-électeur adresse plus de 60% des suffrages vers des candidats antisystème (de gauche et de droite) interroge. Peut-on vraiment parler de citoyens dépolitisés ? N’ont-ils pas exprimé au contraire une aspiration au changement qui est le signe d’une grande vitalité démocratique, d'une espérance politique de changement radical ? C’est d’ailleurs ce que semblent avoir compris Marine Le Pen (qui parlait au soir du 24 avril dernier « d’éclatante victoire ») et Jean-Luc Mélenchon (qui pense se hisser jusqu’à Matignon grâce aux législatives). L’une et l’autre sont en réalité les vainqueurs de cette élection présidentielle. Même si les postures antifascistes de La France insoumise interdisent encore pour l’instant que leurs électeurs respectifs, aux intérêts de classe pourtant communs, fassent bloc au second tour (nos compatriotes des outre-mer faisant tout de même exception à ce phénomène).

« Il n’y a pas d’alternative », a-t-on entendu maintes fois au cours d’un quinquennat qui aura revitalisé comme jamais le funeste slogan thatchérien, et qui pendant l’entre-deux-tours, aura prévalu sous la forme « pas d’alternative démocratique à Macron ». Tandis que Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon ont fait, à eux seuls, 45% des voix au premier tour, le parti unique des Raisonnables aura répété durant toute cette pseudo-campagne qu’il n’y avait pas d'autre voie possible que l'économie financiarisée, le mondialisme, le libre-échange, le moins-disant social, la flexibilité pour toujours plus d’emplois précaires, le consumérisme, la fast-fashion et les fast-foods. Au second tour, le RN a de nouveau été transformé en ennemi de la République. À l’instar de Vladimir Poutine qui voit des nazis partout en Ukraine, Emmanuel Macron et ses aides de camp écolo, socialistes, républicains, insoumis, communistes, ont vu des nazis dans les isoloirs où on osait voter Marine Le Pen… Mais que Mélenchon et ses troupes ne s’y trompent pas : s’ils avaient été en tête à l'issue du premier tour, ils seraient devenus dans la minute les forces extrémistes à abattre au nom des « valeurs de la République », ils auraient été « la lèpre populiste », comme les qualifiait Emmanuel Macron dès 2017, ils auraient subi le rouleau compresseur de la diabolisation médiatique.

Soumission et protection

Voilà donc comment, à coups de leçons de maintien, les élites essaient de dépolitiser les couches populaires. Pas besoin en revanche de se donner cette peine avec les étudiants, qui semblent spontanément obsédés par les questions sociétales et les minorités, aux dépens des enjeux politiques rassembleurs, c’est-à-dire ceux qui concernent l’ensemble des catégories sociales. Même l’enjeu climatique, qui devrait traverser et unir l’ensemble des Français, se voit accaparé dans son expression politique militante par des fils et filles de bourgeois urbains diplômés qui l’utilisent pour bâtir leur domination morale sur ces ploucs qui « fument des clopes, roulent au diesel, bouffent de la viande » et votent Le Pen. Pour dépolitiser une question sociale, économique ou culturelle, le progressisme néolibéral de l'extrême centre cherche sans cesse à neutraliser la tension entre les classes sociales en segmentant le plus possible le peuple en clientèles corporatistes ou communautaristes. Il va également s’ingénier à individualiser les enjeux politiques pour faire obstacle à toute coagulation collective qui structurerait une contestation idéologique puissante. Enfin, il crée les conditions de peurs collectives, d’anxiété systémique, pour infuser dans la société l’idée que la seule attente qui vaille à l’égard des dirigeants est la protection. Comme jadis le paysan ou le vassal vis-à-vis de son seigneur, le citoyen demande protection à son monarque-président, qui la lui concède en échange de corvées, de taxes, d’obligations diverses et surtout de sa soumission à l’ordre établi.

La quasi-disparition des contrepouvoirs dans la République hyperpersonnifiée du quinquennat macronien est une grave menace pour la démocratie. Il n’y a plus rien à attendre des forces syndicales à l’échelle nationale, rien non plus du côté de la gauche et la droite dites « de gouvernement » qui ont abandonné le peuple il y a trente ans. Dès 2004, le journaliste Éric Conan a décrit dans La Gauche sans le peuple (éd. Fayard) la sécession des élites de gauche et analysé l’inévitable transfert des classes populaires vers le vote Le Pen. Dans Marianne, le séguiniste Arnaud Teyssier a analysé récemment de façon tout aussi limpide la déroute de la droite classique : « La droite a totalement perdu le peuple, en tout cas une partie de la société qui ne se résumait pas à la bourgeoisie urbaine, alors que le grand projet du gaullisme a toujours été de rassembler bien au-delà de ces frontières (…). Pendant toutes les années 1990, Philippe Séguin a tonné, littéralement, contre cette conversion erratique et suicidaire, soutenant qu’il fallait arrêter de dégaulliser la droite et le RPR, préserver la dimension sociale, rassembleuse et patriote du gaullisme, sans bien entendu renoncer aux réformes de structure qui ont toujours été au cœur de la Ve République. Sinon, il n'y aurait plus de rassemblement, mais seulement une droite classique qui tendrait inéluctablement à se confondre avec le centre. C’est très exactement ce qui s’est produit avec la création de l’UMP, puis de LR, qui ont fini par se fondre dans un ensemble informe, au centre de la politique française. » Qui peut s’étonner dès lors de voir le PS et LR aspirés par la centrifugeuse macronienne ? Et Teyssier de poursuivre, toujours dans Marianne : « La prédiction de Séguin s’est accomplie, lui qui annonçait dès 1991 (vous apprécierez la précision jusque dans les chiffres) : “Un jour, le front républicain mettra Le Pen à 40 %.” En expliquant que les partis, en ne proposant qu’une seule et même politique économique, sociale, européenne, et en rejetant leur propre électorat en déperdition au nom d'arguments moraux ronflants et sonores, allaient perdre le peuple et la droite authentiquement de tradition gaullienne. » La messe est dite.

Agiter la peur

Emmanuel Macron n’est pas un accident de l’Histoire, il est le résultat logique de la recomposition d’une société de castes, du rétablissement d’une nouvelle société d’ordres (le clergé en moins, sauf à considérer que les vigies de la morale bien-pensante sont nos nouveaux curés et déroulent leurs homélies sous forme de tweets ou de chroniques télé-radio sans contradicteurs). Le macronisme révèle au grand jour le projet giscardien, mitterrandien puis chiraquien d’abandon de la souveraineté nationale au profit de la souveraineté européenne et de l’économie financiarisée. Jusqu’en 2007, l’alternance droite-gauche se faisait au rythme des cohabitations : Mitterrand-Chirac (1986-1988), Mitterrand-Balladur (1993-1995), Chirac-Jospin (1997-2002) ; l’inefficacité de la dyarchie au sommet de l’État n'a pas consolidé la confiance des Français dans la puissance publique, mais au moins le septennat de la Ve République, avec sa potentielle cohabitation à mi-mandat, garantissait-il une apparence minimale de représentativité. Quant au second mandat sans ambition de Jacques Chirac (2002-2007), il restera dans l'Histoire avec la pire trahison démocratique qui soit : le non-respect de la voix du peuple souverain lors de la consultation sur la Constitution européenne au référendum de 2005. Avec l'instauration du quinquennat en 2002 et l'alignement du scrutin législatif immédiatement après l'élection présidentielle donnant au monarque républicain une majorité durant tout son mandat, le dernier souffle d’une respiration démocratique – aussi insatisfaisante fut-elle – a disparu.

C'est donc entre 2007 et 2017 que les Français ont véritablement pu juger la droite et la gauche, seules au pouvoir ; d'abord avec Nicolas Sarkozy puis avec François Hollande. Et c'est ainsi que l'on comprend l'enracinement et l'aggravation de la défiance des Français : après l’outrage fait au « non » du référendum de 2005, les mandats UMPS furent équitablement marqués par des polémiques futiles, des affaires politico-judiciaires, un fiasco économique commun sur fond de désindustrialisation, un européisme béat sous la botte allemande, une immigration de masse sans politique d'intégration, une course fatale à la métropolisation et à la tertiarisation, une peopolisation indigne de la vie politique, une gouvernance clientéliste, un chômage endémique sur fond d’ubérisation et de précarité de l’emploi et, pour finir, le terrorisme djihadiste, conséquence de l’incubation islamiste en France au cours des dernières décennies. Dans ce contexte, l'élection du progressisme jeune et fringant incarné par Emmanuel Macron en 2017 n'a finalement rien d’un hasard. Bénéficiant d’une double-fenêtre d'opportunité politique en février 2017 (l'impossibilité pour François Hollande de se représenter d'une part, les affaires judiciaires de François Fillon d'autre part), inconnu de l'immense majorité des Français bien qu'il ait été secrétaire général adjoint de l'Élysée puis ministre de l'Économie, Macron s'est présenté comme l'homme de la rupture avec le système, de la disruption, de la « Révolution » (pour reprendre le titre de son unique ouvrage). Il déclarait ainsi en 2016 dans le journal Sud-Ouest : « Je ne fais pas partie de cette caste politique et je m'en félicite ; nos concitoyens sont las de cette caste. » En 2022, après avoir vu Emmanuel Macron et ses camarades progressistes à l'œuvre, beaucoup de désillusionnés rient jaune… En se trouvant par deux fois face à Marine Le Pen, il aura eu la tâche facile pour se faire élire puisqu'il pouvait compter sur la totalité du système politico-médiatique pour lancer l’opération Castor : « Faites barrage ». Pas besoin de programme, pas besoin de campagne pour convaincre, il a suffi d'agiter les peurs et son comparse « moi ou le chaos », de convoquer « les heures sombres de notre Histoire ». Certes, au fil des années, la rengaine est usée et les castors moins nombreux. L’abstention + le vote blanc + le vote nul atteignent 36%. Toutefois, l'organisation du scrutin permet au chef de l’État d'être réélu triomphalement avec 38,5% du corps électoral (58,6% des votes exprimés). Entre 2017 et 2022, il a perdu 2 millions de voix avec 18,7 millions d'électeurs (sur 35 millions de votants), quand Marine Le Pen en gagne 2,7 millions avec 13,3 millions d’électeurs. La dynamique n’est plus chez Macron. Depuis 2017, les Français ont compris qu’il était la synthèse de Chirac, Sarkozy et Hollande, l’incarnation décomplexée du néolibéralisme mondialisé.

Emmanuel Macron ne changera pas. Pas davantage que les couches populaires qui l’exècrent et n’en « démordront pas », comme l’a clairement analysé Christophe Guilluy : « Le point commun de ces contestations est toujours le même, aux accents gilet-jaunesques : la France qui gagne moins de 2 000 € par mois ne veut plus du modèle économique néolibéral. Les tentatives de remèdes proposées par le gouvernement ont donné l’impression que les révoltes avaient disparu. Mais nous assistons toujours à la révolte des premiers de cordée qu’on a encensés pendant la crise sanitaire, et des Gilets jaunes. Car rien n’a disparu depuis, précisément, les Gilets jaunes. Le diagnostic des gens ordinaires est solide, bétonné, et ils n’en démordront pas(1). »

Le consentement du peuple souverain à être gouverné par ceux qui sont désignés démocratiquement est de plus en plus fragile, et les pouvoirs publics ont conscience que le non-consentement peut s’exprimer désormais dans des termes puissamment contestataires, voire insurrectionnels. En ce sens, la séquence des Gilets jaunes n’aura été qu’un amuse-bouche.

Convergence et structuration

L'action politique citoyenne ne se réduit pas à la participation électorale telle qu'elle est codifiée par les élites politico-médiatiques, moins encore par les « grands débats » organisés sur ordre de l'exécutif pour créer un outil de communication au seul bénéfice d’un interminable monologue présidentiel. Hormis les modalités traditionnelles de l’expression politique du peuple souverain (le militantisme partisan et le vote, tous deux en recul), il existe de nouvelles formes d’expression en cours de structuration. Les mouvements citoyens n’auront de portée qu’au prix d’une convergence élargie et une structuration partisane par la base, ce qui pose la difficile question de la désignation du leader. Le rôle de ces mouvements consistera principalement à organiser le non-consentement populaire, en particulier vis-à-vis de l’impôt qui est au fondement du système dirigeant. Sans le pouvoir de lever l’impôt, l’État n’est presque plus rien. Ces mouvements peuvent désormais se libérer des canaux médiatiques traditionnels en s’appuyant sur les nouveaux outils numériques qui permettent de militer et agir sur le terrain différemment. Bien entendu, ces mouvements citoyens éparpillés et relativement isolés semblent aujourd’hui désuets face au régime du parti de l’ordre. Ce dernier n’est pas solide mais pachydermique, et c’est là une nuance importante : sa lourdeur impressionne, certes, mais un essaim d’abeilles en colère peut produire un bourdonnement de nature à faire fuir un troupeau d’éléphants. Tandis que certains s’imaginent gouverner paisiblement un peuple français apathique, fataliste, ne peut-on au contraire imaginer, au regard des mouvements surgis de la « France périphérique » et des derniers scrutins, qu’est en train de se lever une force populaire attachée à la promesse d’équité républicaine, corrigeant les injustices sociales, qui créerait la possibilité d’une nouvelle abolition des privilèges ?

La dépolitisation espérée par les élites pour gouverner des citoyens aussi anomiques que possible a eu pour préalable la destruction minutieuse du système scolaire républicain, en séparant physiquement par la carte scolaire, et intellectuellement par l'instauration d'une exigence à géométrie variable vis-à-vis de l'acquisition des savoirs selon les origines sociales et culturelles. La destruction de l'Éducation nationale est allée de pair avec celle du métier d'enseignant, tant dans la qualité de sa formation que dans sa reconnaissance sociale. Cette destruction était indispensable à l'établissement de la domination du bloc élitaire, qui croit avoir triomphé puisque le dernier espace social républicain où des individus d'origines et de classes différentes pouvaient se côtoyer, se politiser ensemble pour former le corps civique, a disparu. C’est le fondement même de la promesse républicaine qui a été détruit et qu’Emmanuel Macron se promet d’achever par sa politique de « libération des énergies » (plus de contractuels, moins d’enseignants formés) et de gestion managériale des établissements scolaires !

Une révolution sur le modèle de 1848, fondée sur l’union des oppositions (qui se garderaient de laisser le loup la torpiller de l’intérieur pour instaurer sa future dictature plébiscitaire) au parti de l'ordre du roi citoyen Louis-Philippe Macron, serait susceptible de rétablir les fondements de la démocratie et de la République libre et souveraine. Nous sommes, en effet, dans une situation historique et politique proche du crépuscule de la monarchie de Juillet : un vaste groupe social (classes populaires, employés, salariés ubérisés) dans l'insécurité budgétaire et en situation de paupérisation, une petite bourgeoisie déclassée et exclue d'un système politique accaparé par les élites libérales bourgeoises des métropoles, une part significative de la jeunesse diplômée qui rejette le modèle consumériste et productiviste accélérateur du désastre environnemental. L’usure des structures sociales et politiques établies depuis bientôt quarante ans en France explique la profondeur de la défiance française, et ne peut que conduire à une explosion contestataire, dans la mesure où le pouvoir en place n’a que l’autoritarisme et la restriction des libertés publiques à proposer, comme on l’a vu avec les Gilets jaunes puis la gestion de la politique vaccinale. La défiance n’est donc pas tant porteuse de dépolitisation que d’une rage politique qui n’a pas encore trouvé son vecteur d’expression. Nos élites dirigeantes dansent sur un volcan, mais une fois encore, elles sont trop grisées par leur petite victoire pour apercevoir la grande défaite qui va les balayer…

Titre et Texte: Barbara Lefebvre, Front Populaire, nº 9, été 2022

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