Natacha Polony
"Le tollé provoqué par la
une de Libération sur ces électeurs de gauche qui ne voteront plus Macron a eu
une vertu : mettre au jour les mécanismes qui vont faire de cette année
préélectorale un cauchemar pour tout citoyen ayant encore un peu foi en la res
publica, la « chose publique »", analyse Natacha Polony [photo],
directrice de la rédaction de "Marianne".
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Photo: Annah Assouline |
Un peu plus d’un an avant la prochaine élection présidentielle. Certes, les Français s’en brossent le nombril avec le pinceau de l’indifférence. Dans l’immédiat, la seule chose qui pourrait éveiller leur intérêt serait l’annonce de la fin de cette pandémie, une date de réouverture des restaurants et des bistrots, et l’autorisation d’enfin retirer leur masque. Pourtant, les grandes manœuvres ont commencé. Comme tous les cinq ans, le nombre de candidats putatifs ou déclarés pourrait remplir une de ces salles de concert qui restent désespérément fermées. Comme tous les cinq ans, les médias sont en ordre de bataille pour commenter la course de petits chevaux et faire monter la cote des uns et des autres – d’un Michel Barnier auréolé de son combat contre la perfide Albion et de ses affreux brexiteurs à une Anne Hidalgo ainsi délivrée des polémiques sur l’échec de ses Sanisette écolo-moches.
Le tollé provoqué par la une de Libération sur ces électeurs de gauche qui ne voteront plus Macron a eu une vertu : mettre au jour les mécanismes qui vont faire de cette année préélectorale un cauchemar pour tout citoyen ayant encore un peu foi en la res publica la « chose publique », et plus particulièrement pour celui qui aurait dans l’idée que les médias ont leur part dans le processus de délibération démocratique. En l’occurrence, quand le journal Libération (qu’on peut difficilement soupçonner de faire la promotion du Rassemblement national) se contente de constater un phénomène et d’en rendre compte, il est accusé de « faire le jeu de… ». Même plus besoin de poursuivre la phrase, tant l’expression est usée. À vrai dire, elle guide depuis des années les choix de nombre de rédactions, très loin de toute réflexion sur le rôle véritable du journaliste. Cette fois, c’est pis : la photo de une semble « renvoyer dos à dos » les deux protagonistes. Crime inexpiable. Au fait, qui avait reproché à Jean-Luc Mélenchon son « silence écrasant » durant l’entre-deux tours de 2017 ? Ah oui, Libération…
"FAIRE LE JEU DE…"
La question qui se pose est
finalement de savoir quels sont les ingrédients pour être bien certain de faire
d’une campagne électorale une pantomime pathétique. Il y a l’option 2017 :
une affaire croustillante qui focalise sur la nécessaire
« transparence » et les promesses de grand nettoyage. Exit les sujets
de fond, la désindustrialisation, l’éducation, les inégalités, l’intégration,
le terrorisme (un an et demi après les 130 morts du Bataclan, il fallait le
faire…). Il y a l’option 2007 et les éditoriaux du Monde pour
expliquer que la candidature Bayrou, quand il faut absolument un second tour
UMP-PS, flirte avec le fascisme (oui, François Bayrou, l’homme de l’UDF puis du
MoDem…). Il y a l’option référendums sur l’Europe et sa version 1992, en pleine
guerre de Yougoslavie : « Voter non, c’est choisir l’épuration
ethnique. »
Il y a déjà longtemps que les
médias se sont prêtés à ce genre de jeu, oubliant que leur rôle est d’apporter
aux électeurs les informations et analyses qui leur permettront de choisir en
connaissance de cause, mais, surtout, de mettre en avant les débats qui
devraient être au cœur d’une campagne digne de ce nom. Sauf qu’à chaque instant
resurgit la question en forme de soupçon : « Mais vous, Marianne que
ferez-vous en cas de second tour Macron-Le Pen ? » Traduction :
le plus important n’est pas de travailler à éclairer les citoyens mais de
donner des gages.
ECHIQUIER POLITIQUE FIGÉ
Soixante-dix pour cent des
Français ne veulent pas d’un second tour Macron-Le Pen. Ils révèlent par là
qu’ils ont parfaitement compris en quoi la fixation d’une part de l’électorat
protestataire du côté du Rassemblement national fige l’échiquier politique et
empêche que surgissent des propositions permettant un véritable changement qui
ne soit pas le chaos ou le déchaînement des passions identitaires.
Voilà déjà plusieurs années
que le pays est à la croisée des chemins, et que tout esprit lucide sait que la
France ne peut se permettre de passer une fois de plus à côté de l’Histoire. La
crise ouverte par l’épidémie de Covid-19 nous confronte à l’éventualité d’une
perte de maîtrise de notre destin à échelle d’une génération. Hélas, l’un des
risques est que nous passions cette année à commenter la stratégie vaccinale et
les choix de reconfinement à géométrie plus ou moins variable. Au lieu de nous
projeter dans l’avenir, une telle campagne nous plongerait dans le jeu pervers
des coups de billard à trois bandes, où il s’agit avant tout d’expliquer qu’on
aurait épargné des vies, puisque, avec des « si », on refait le monde
et l’Histoire. Il faudra alors des trésors de persévérance aux journalistes
encore soucieux de leur mission pour mettre en avant des débats aussi austères
et complexes que l’indépendance énergétique, la survie des filières agricoles,
les méthodes d’apprentissage, le retour d’un véritable aménagement du
territoire, la politique du logement…, tous sujets dans lesquels nul ne peut se
prévaloir d’être dans le camp du « bien » face à celui des salauds.
C’est pourtant ce que les médias doivent à la démocratie.
Titre et Texte: Natacha
Polony, Marianne,
4-3-2021, 15h19
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